Immigration, le tremplin politique

Entre l’Occident et la question migratoire, un pacte politique est désormais scellé. Au cœur de toutes les campagnes électorales, depuis quelques années, l’anti-immigration fait gagner des scrutins, fait et défait des gouvernements, propulse des figures ou des partis longtemps marginalisés. En Europe et aux Etats-Unis, la rampe de lancement pour atteindre les plus hautes sphères du pouvoir est devenue l’adhésion au courant mondial, montant, de l’extrême droite qui fait porter à l’immigration le chapeau de tous les maux des sociétés occidentales. Ces partis et mouvements islamophobes, anti-arabes et racistes — nouvellement repentis de l’antisémitisme — incarnent pour des électeurs de plus en plus nombreux la solution « au fléau » de l’immigration. Le discours politique d’extrême droite, un discours propagandiste, truffé de mensonges et exagérant des faits quand ils sont liés à un migrant, légal ou illégal, —l’extrême droite ne se soucie pas de faire la distinction —, a contribué à accroître la peur de l’étranger et le refus de sa présence sur le sol européen. Des problèmes liés à la migration illégale ? Il en existe, beaucoup. De l’insécurité ? Aussi. Mais dans quelles proportions ?
Des rapports de l’Union européenne (données de l’Eurostat), démontrent que la situation réelle est loin de la « submersion » que craignent les Européens, notamment les Français : environ à peine 5% de la population européenne (plus de 446 millions d’âmes) est constituée de ressortissants de pays tiers. L’immigration dans l’Union européenne est, à une écrasante majorité, légale (étudiants, travailleurs, rapprochement familial), avec des cartes de séjour délivrées par les autorités compétentes, indiquent encore les données officielles. Il ne s’agit pas là de banaliser l’immigration, légale ou illégale, et son impact sur le pays d’accueil mais de nuancer les propos alarmistes de certains dirigeants politiques selon lesquels l’immigration se ferait en masse, sans contrôle et préparerait le « grand remplacement » qui menace l’identité et la culture des populations européennes.
En tout état de cause, l’Union européenne durcit sa réglementation migratoire et réintroduit les contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen.
En France où se concentrent le plus grand nombre de Maghrébins, des mesures plus restrictives sont attendues, le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, en fait la principale mission de son département, dans un climat exacerbé par la crise diplomatique entre la France et l’Algérie dont une des retombées a touché les migrants algériens en situation régulière. L’expulsion hâtive vers son pays d’origine de l’un d’entre eux sans passer par la case judiciaire pour des faits reprochés pénalement en est l’exemple le plus édifiant.C’est en instrumentalisant cette question migratoire que l’extrême droite a fait son nid et a grandi. Force est de constater que, désormais, l’ensemble de l’Occident construit ses politiques publiques sur le sujet
de l’immigration. L’exemple le plus éloquent est celui du nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump. Symboliquement, le premier décret qu’il a signé le jour de son investiture était celui relatif à l’expulsion directe des migrants illégaux, une de ses principales promesses de campagne présidentielle. Leader française de l’extrême droite, la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, séduite par l’idée trumpiste, a sauté sur l’occasion pour promettre qu’elle en ferait de même avec les migrants algériens dès qu’elle accèderait à la présidence de la République française. C’est tout dire du cheval de Troie que représente la question migratoire qui, sous prétexte de contrôler une (fausse) immigration de masse, donne l’occasion de mettre à exécution des lois discriminatoires suprématistes, dans un passé récent prohibées, voire de régler des comptes historiques qui restent en travers de la gorge de certains nostalgiques de l’époque coloniale.
Entre-temps, les pays de départ se vident et s’exposent à une situation inédite, celle de se transformer, à leur tour, en des déserts médicaux et d’être confrontés à une pénurie d’ingénieurs, d’universitaires, d’architectes et d’autres professions élitistes, formés avec l’argent du contribuable. A titre d’exemple, 6500 médecins étrangers ont participé aux dernières Epreuves de vérification des connaissances (EPV) en France. C’est dire « la chance » que peut être l’immigration pour les pays d’accueil, n’en déplaise aux courants d’extrême droite. Le véritable problème se pose, donc, avec plus d’acuité chez nous. Nous risquons le coup de manquer, à notre tour, de médecins, de devoir attendre des mois avant d’obtenir un rendez-vous chez un médecin. Une situation inimaginable avant que l’exode des médecins ne devienne un fléau. Nous risquons aussi de manquer d’ingénieurs au moment où la Tunisie a du retard à rattraper en matière d’infrastructures de base et de tout genre, d’innovations technologiques et de formation de la relève. Même la main-d’œuvre qualifiée est en train de partir, par la voie légale de surcroît, par le biais de la coopération bilatérale avec l’Italie, l’Allemagne et dernièrement des accords ont été signés avec l’Union européenne. Certes, cela permet de décongestionner le marché de l’emploi national incapable d’absorber toutes les demandes mais le rythme auquel les ressources humaines tunisiennes formées et qualifiées sont en train de partir et qui vont dorénavant manquer à l’appel, suscite des inquiétudes. L’enseignement supérieur toujours gratuit favorise, certes, le remplacement des départs mais il ne compense pas les compétences expérimentées qui sont censées encadrer les nouveaux arrivés sur le marché de l’emploi.
La migration vers les puissances économiques et technologiques est aussi une chance pour nos jeunes qui vont à la recherche de nouvelles expériences. Mais là où le bât blesse, c’est que le pays se vide de « ses cerveaux » tout en étant contraint de « reprendre » ses ressortissants indésirables dans les pays d’accueil.
La leçon à tirer est celle de trouver les moyens de séduire nos compétences pour les convaincre de rester, ou de revenir. Ce n’est pas demain la veille.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana