Décidément, la Tunisie n’en finit pas de rater des rendez-vous et de précieuses occasions pour sortir du cercle vicieux dans lequel elle s’est empêtrée et pour que la classe politique arrive à se réconcilier aussi bien avec elle-même qu’avec les Tunisiens. Le dérapage du débat politique dans l’insignifiant et, parfois même, dans l’ignominie comme le montre bien le démarrage titubant des discussions budgétaires, renseigne fort sur la cécité d’une classe politique dont le discours a cessé d’être audible par les Tunisiens. Au moment où leur mandature arrive presque à expiration, notre élite politique et nos dirigeants font preuve d’une impuissance et d’une incapacité manifestes à faire bouger les choses, à conduire le pays vers un véritable changement. A preuve, ils n’ont pas su et pu trouver le bon terrain et la bonne formule qui leur permettent de se mobiliser au service du pays et de trouver des réponses aux attentes des Tunisiens, gagnés par la désillusion et un tantinet, par un brin de fatalisme.
Alors que l’on s’attendait à un sursaut salutaire qui viendrait limiter les dégâts, offrir à nos politiques l’occasion de se faire amende honorable envers ceux qui les ont choisis, et au moment où le pays affronte des défis homériques qui exigent lucidité, courage et responsabilité, notre frustration ne fait que grandir et notre dépit ne fait que se renforcer par l’inconsistance d’une classe politique prompte à exhiber ses divergences dans des combats dont les visées sont peu nobles et à étaler au grand jour ses lubies pour le pouvoir, rien que pour le pouvoir.
Alors que le pays est au bord de l’implosion sociale, de la banqueroute financière, et que le doute n’en finit pas d’habiter les Tunisiens, le débat public est constamment dévié de sa bonne trajectoire, des problématiques essentielles. Ce qui intéresse les Tunisiens est complètement éludé par les élus et les leaders politiques, plus intéressés à régler leurs comptes, à étaler leur linge sale au public et à poursuivre leurs guerres fratricides, qu’à se mettre à l’ouvrage.
Qu’a-t-on entendu ou proposé de sérieux pour éviter que les divergences entre le gouvernement et l’UGTT ne dégénèrent en crise sociale dont les conséquences risquent d’être lourdes pour le pays ? La réponse fut un silence assourdissant, excepté peut-être la présence folklorique de certains élus dans la grande marche de protestation, organisée le 22 novembre dernier par l’UGTT, suite à l’échec des négociations sur les augmentations salariales dans la fonction publique.
Qu’a-t-on fait pour éviter que l’année scolaire ne soit, une nouvelle fois encore, hypothéquée et le sort de nos élèves, pris en otage par l’incongruité d’un syndicat qui nous a habitués périodiquement à ses frasques et dérives incontrôlables ?
Qu’a-t-on fait, enfin, pour éviter la fragmentation du paysage politique national et la perversion de l’action, aussi bien gouvernementale que parlementaire ? Chaque fois qu’on attend une réponse, un message clair, la classe politique s’illustre par son absence à l’appel, par son incapacité manifeste, également, à présenter des alternatives, des pistes de sortie de crise et des démarches concertées pour favoriser le compromis. En lieu et place, les acteurs politiques se pressent au portillon pour faire un effeuillage indigne de leurs querelles, de leurs convoitises, de leur avidité et surtout de leur impertinence.
L’éclatement d’une énième polémique, le jour du démarrage à l’ARP de la discussion du budget de l’Etat pour 2019, est loin d’être fortuit. Un acte de parasitage qui a été concocté pour vicier davantage une vie politique tombée dans les caniveaux de l’insignifiance et de la futilité, qui illustre bien l’incapacité de nos politiques à être en phase avec la sphère réelle. Il s’agit d’une autre guerre, cette fois-ci, par procuration, lancée contre un gouvernement issu d’une alliance factice et piloté par un président d’un parti qui joue un rôle qui n’est pas le sien.
A qui peut profiter l’installation du pays dans l’anarchie et l’instabilité ? Le doute, la colère et la frustration qui gagnent les Tunisiens, lassés d’un discours auquel manquent la clarté et la consistance, ne peuvent-ils pas être le terreau où peuvent fleurir la violence, l’extrémisme et le terrorisme ? La classe politique qui s’est illustrée par son insouciance, aura– t-elle, par la suite, la légitimité de s’interroger sur les raisons profondes qui ont généré ces phénomènes pervers ? Tout en perdant la face et surtout la crédibilité, cette classe qui a failli à ses devoirs, montre aujourd’hui une soif insatiable de rééditer son coup et de chercher à embobiner et à infantiliser une fois encore les Tunisiens.