Impasse politique et crise économique : Oser aujourd’hui le changement

 Nous vivons aujourd’hui un grand mythe. C’est le fait de dire que nous avons réussi la transition politique et qu’il nous faut réussir la transition économique. Ce n’est malheureusement pas la réalité, car nous sommes en pleine transition politique et celle-ci pèse lourdement sur l’économique. Aujourd’hui, la situation est encore plus complexe car nous sommes dans l’impasse. En effet, le gouvernement « d’union nationale » se retrouve sans aucun appui politique. Le parti-mère du Chef du gouvernement semble éclater. La Centrale syndicale (UGTT) tient au départ du Chef du gouvernement et de son équipe, après avoir tout obtenu ou presque. Le seul et l’unique parti soutenant ce gouvernement reste Ennahdha qui ne souhaite pas prendre toute la responsabilité et risque de lâcher le gouvernement dès lors qu’il s’aperçoit que ses intérêts sont menacés. A l’heure actuelle, le changement de gouvernement devient inévitable et ce dernier n’a aucun intérêt à faire de la résistance, car cela ne sert désormais à rien. Les dés sont jetés et tout indique qu’un nouveau gouvernement prendra place rapidement.
Après deux ans d’exercice, la Tunisie se trouve toujours au milieu du gué, paralysée par un climat d’incertitude sans précédent, caractérisé par de fortes tensions politiques, économiques et sociales. Les Tunisiens manifestent une perception de la réalité extrêmement pessimiste, alimentée par une nette dégradation de la situation économique. Il n’est peut-être pas le bon moment d’opérer un remaniement de taille mais les Tunisiens attendent encore des actions concrètes. Cependant, les faits ne trompent pas, le bilan de l’actuel gouvernement n’est guère brillant et le tableau de la conjoncture économique demeure obscur. L’économie tunisienne a perdu sa capacité de résilience et le ralentissement économique amorcé en 2014 s’est accentué cette année, marquant une nette rupture.
Commençons par l’essentiel : la croissance n’est toujours pas au rendez-vous. En effet, même si le PIB affiche pour le premier trimestre une croissance relativement acceptable en glissement annuel de 2,5%, celle-ci demeure très fragile et non durable. Les moteurs de la croissance demeurent encore grippés, rendant hypothétique la prévision de croissance de 3% du PIB pour cette année.
En conséquence, le taux de chômage est toujours au même niveau de 15,4% et il va falloir chercher à le réduire au risque d’une explosion sociale irréversible. Les derniers évènements de Kerkennah ont montré le niveau de déprime et de désespoir des jeunes Tunisiens. Le déficit courant ne cesse de se dégrader et pourrait s’établir à 9% du PIB en 2018. De plus, la nature structurelle du déficit commercial va continuer à exercer une forte pression sur le taux de change et exigera, si elle se poursuit, une dévaluation du dinar.
Ce bilan s’est traduit par une augmentation inquiétante de la dette publique qui pèse désormais un peu plus des deux tiers du PIB (72%), par la dépréciation de la valeur de la monnaie nationale et par la remise des financements bancaires accordés à l’économie au strict minimum nécessaire pour permettre aux grandes entreprises de continuer à rembourser leurs dettes.

Sortir du conformisme
Le futur gouvernement n’a plus d’autres choix que d’entamer un vrai changement ou se résigner à un long déclin. Pour sauver et relancer l’économie tunisienne, il faut plus que des « mesurettes » prises dans l’urgence. Il faut s’armer de beaucoup d’audace, d’imagination et de courage afin de pouvoir améliorer le difficile quotidien des Tunisiens. Car il faut admettre que notre pays se trouve dans une situation difficile. Il est temps de réagir avant qu’il ne soit trop tard. Il faut avoir la conviction que s’il faut mener des réformes, c’est certes pour construire mieux à terme mais aussi parce que la situation actuelle n’est plus acceptable.
En ces temps particulièrement difficiles, il est temps d’inverser les sentiments de déprime et de “ras-le-bol” qui caractérisent notre société depuis des mois. Mais avant tout, il faut accepter de sortir du conformisme, mettre sur la table les questions taboues et oser le changement. Mais pour cela, il faut de la confiance. En effet, les Tunisiens ont perdu confiance en leurs responsables mais aussi en eux-mêmes au point qu’ils ne se sentent plus capables de se prendre en mains. Ce sentiment s’avère très inquiétant dans la mesure où la Tunisie devrait faire face à de lourds défis économiques. Il va donc falloir redonner confiance rapidement à la population et surtout réparer les multiples fractures de la société tunisienne avant qu’il ne soit trop tard.
Ces fractures demeurent en effet bel et bien. De nombreux slogans régionalistes apparaissent tous les jours et risquent de s’amplifier. Sous un autre angle, les hommes d’affaires n’ont pas encore conscience que le temps des privilèges est révolu. Si la Révolution nous a permis d’exiger des droits, elle a aussi exigé des devoirs et personne ne devrait demeurer au-dessus de la loi. Le gouvernement doit mener une lutte sans merci contre les privilèges et les acquis infondés. Il faut aussi avoir le courage de faire des idées de business et non pas des lois contraignantes. Autrement dit, il faut passer d’une économie de rente à une économie de concurrence innovante. Le gouvernement payera peut-être cher le prix de ces mesures mais en recueillera la reconnaissance du peuple et aura prouvé sa détermination et son courage à prendre des risques pour l’intérêt général. C’est ainsi que l’on pourra sauver notre Tunisie.
La tâche est aujourd’hui immense. Corruption à tous les étages, lourdeurs administratives. L’image de la Tunisie se dégrade notamment auprès des investisseurs étrangers avec une augmentation du niveau de perception des lourdeurs administratives. Et il est temps de faire un grand ménage, car quand on repousse depuis plus de 20 ans des réformes aussi nécessaires, il arrive un jour où il faut tout engager en même temps. Aujourd’hui, les réformes peuvent donc nécessiter des décisions relativement brutales, même si idéalement, elles devraient être menées avec le soutien de l’opinion, d’où l’importance de la communication et pas n’importe laquelle, celle basée sur un discours de vérité.

Mohamed Ben Naceur

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