Le gouvernement Youssef Chahed qui a presque deux mois d’activité se trouve étrangement esseulé, manquant cruellement d’appui pour traduire toutes ses intentions en actions, et discrédité par ses partenaires qui ne daignent pas à lui faire assumer toutes les difficultés que connait le pays.
Alors que l’heure de vérité a sonné, très peu se sont rangés à ses côtés et l’unité, dont il tire sa légitimité, s’est trouvée factice. Face à la gravité de la situation, chacun a préféré défendre ses propres causes, les intérêts qui lui procurent une position confortable, refusant de se mouiller dans un processus douloureux, difficile et inévitable qui pourrait certes sauver le pays mais qui n’apporte pas de dividendes politiques. Pourtant, tout le monde était au fait du diagnostic et des thérapeutiques à administrer à un pays qui frôle la catastrophe, acceptant de signer solennellement un accord dont ils ont vite oublié ses exigences et ses contraintes.
Hormis la déconfiture dont pâtit Nidaa Tounes, devenu l’ombre de lui-même et d’Ennahdha qui se complait dans un jeu opaque, les organisations nationales, les experts de tout bord et l’élite politique se cramponnent dans une résistance passive contre toute réforme, contre tout changement.
La levée de boucliers enregistrée ces derniers temps contre le projet de loi de Finances 2017, en témoigne amplement. Un rejet qui surprend et, en même temps, dérange dans la mesure où il reflète les contradictions flagrantes dans lesquelles se sont tombées certains partis politiques, les organisations nationales et quelques corps de métier. Un manque de cohérence qui vient d’un discours à deux vitesses qui reconnait d’une part le caractère grave de la crise que traverse le pays, la nécessité d’entreprendre de mesures urgentes, le besoin de consentir des sacrifices et l’impératif d’épargner le pays des scénarios du pire et d’autre part une pratique qui stigmatise toute initiative, bloque tout processus de réforme et ne propose rien en échange.
La grogne provoquée par les nouvelles dispositions du projet de la loi de Finances 2017 chez les avocats et les médecins dentistes a fourni un bien mauvais exemple. Pour la deuxième année consécutive, les deux professions libérales refusent d’adhérer à une réforme fiscale qui devrait consacrer, en principe, l’égalité de tous dans l’accomplissement de ce devoir et l’acceptation par tous, des règles de la transparence. Le combat d’arrière-garde, livré par les avocats et les médecins dentistes, qui ont montré une forte détermination à préserver leurs acquis et à rejeter frontalement une réforme qu’ils ont vite qualifiée d’anti nationaliste, d’injuste et de partiale, ne peut que les décrédibiliser aux yeux d’une opinion publique, lassée de la montée en puissance d’un corporatisme synonyme de refus de partage de sacrifice. Peut-on au nom de certains principes que tout le monde a pris le pli de défendre depuis le 14 janvier 2011, accepter une quelconque exception, un traitement différencié devant la loi ? Ce qui surprend, dans le cas d’espèce, c’est l’appel lancé à travers les syndicats des avocats et des médecins dentistes à la désobéissance dans l’application des dispositions proposées par le gouvernement, comme si certains privilégiés devraient être exemptés du caractère contraignant de la loi qui ne s’applique que sur les moins nantis !
Si dans le cas du projet de loi de Finances 2017, le gouvernement céderait aux pressions, cela consacrerait fatalement son échec, hypothéquerait durablement sa capacité d’entreprendre et le plongerait, comme ce fut le cas, pour tous les gouvernements qui l’ont succédé, dans une spirale infernale qui affecterait sa crédibilité et mènerait son action dans une voie sans issue.
Dans le bouillonnement qui prévaut depuis quelques semaines, quelle image refléterait le pays, qui s’apprête à abriter au courant de novembre 2016 la conférence internationale sur l’investissement qui devrait déclencher le processus de relance de l’investissement et de la croissance ?
La résistance au changement et aux réformes est un argument qui ne peut aucunement restaurer la confiance des opérateurs et des investisseurs et encore moins de rebâtir une nouvelle image du pays, celle d’une Tunisie solidaire et capable de relever les défis, en mesure d’entreprendre et de transcender les difficultés dans le cadre du consensus et de la recherche du compromis.