Le compte à rebours des prochaines élections a commencé et les 218 formations politiques dans la course se lancent, dans un désordre ahurissant, dans un processus dont ils maîtrisent mal les règles et ignorent l’aboutissement.
Dans cette longue course d’obstacles aux législatives et présidentielle, le terrain politique est miné, la visibilité demeure difficile et les pronostics sont impossibles à faire. Si au départ, ils partent avec des chances égales, l’on s’aperçoit, en cours de route, qu’ils ont du mal à se débarrasser d’un lourd legs qui leur colle à la peau et d’un déficit de confiance qu’ils sont incapables de restaurer.
Nonobstant ce handicap et un climat d’incertitudes qui règne dans le pays, de malaise aussi et de perte de confiance des Tunisiens dans la classe politique, les acteurs politiques sont loin de jeter l’éponge ou plutôt de retenir les enseignements de la claque qu’ils ont subie lors des Municipales de mai 2018. Loin d’avouer leurs carences, ils foncent dans une précampagne en usant de tous les moyens, y compris les coups bas, devenus le caractère distinctif de l’action politique dans notre pays.
Tous ou presque s’affairent à créer une légitimité par la stigmatisation de l’autre, de l’adversaire politique. d’où les révélations scabreuses, les scandales à répétition qui éclaboussent les figures partisanes, outre l’étalage des divisions et des dissensions des acteurs politiques qui, aveuglés par l’accaparation du pouvoir, ont perdu tout sens de combat politique, de débat qui construit et de vision qui permet d’avoir une perspective.
Alors que les partis s’agitent d’une manière confuse et désorientée dans des processus factices de fusion et d’alliances afin de sauver ce qui peut l’être, d’autres sont gagnés par le doute et le questionnement et, cerise sur le gâteau, l’on enregistre l’entrée en scène d’acteurs nouveaux, censés observer une plus grande neutralité ou plutôt ne pas figurer dans les starting blocks de cette course aux élections. Signe évident de leur dérapage suspect, les activistes de la société civile et du tissu associatif, qui ont longtemps tiré une certaine légitimité en inscrivant leur action sur le terrain humanitaire notamment, montrent subitement une appétence pour le pouvoir et la gestion des affaires du pays. Manifestement, ce faux usage de l’humanitaire pour des visées inavouées et pour le moins suspectes, vient ajouter une autre couche à l’opacité qui caractérise les prochaines élections où l’essentiel est sacrifié au profit de calculs infiniment politiciens.
Le corps électoral, auquel reviendra normalement la décision de choisir ses représentants et son président sur la base d’engagements clairs et de choix consensuels et précis, est à nouveau laissé pour compte, ignoré même. On préfère l’utiliser, le manipuler, l’embobiner, lui présenter des broutilles, non le considérer comme la finalité de tout pouvoir de décision. Les électeurs sont perçus comme la somme d’individus, non de sujets qui cherchent à affirmer leur pleine citoyenneté et à participer activement au renforcement des bases d’une démocratie participative.
D’où les paradoxes d’une vie politique où les combats se cantonnent dans les coulisses, les salles fermées entre acteurs politiques qui sont en rupture avec leur sphère réelle, avec ceux-là mêmes qui sont censés les représenter. Une lutte sans merci entre adversaires politiques qui ne sont pas mus par une quelconque velléité de servir les Tunisiens, leur présenter une alternative ou un argument qui leur permet d’espérer, mais plutôt gagnés par la rage de prendre le pouvoir au prix de vagues promesses qu’ils sont dans l’incapacité totale de satisfaire ou d’honorer.
Le résultat le plus palpable de ce désordre que vivent les partis politiques, en cette période de fortes turbulences, se décline à travers l’indigence du débat public.
Ce qui fait cruellement défaut, c’est le débat d’idées, l’absence de programmes crédibles, de vision cohérente et d’acteurs responsables et engagés.
A quatre mois des élections, un brouillard épais se poursuit et très peu sont en mesure de savoir qui fait quoi et où le processus en gestation peut mener un pays qui peine, depuis plus de huit ans, à retrouver ses repères et qui est devenu, par l’incapacité de ceux qui se sont succédé au pouvoir, ingouvernable.
Dans la déconfiture actuelle qui caractérise le paysage politique national, ce qu’on feint d’ignorer, c’est que quel que soit le vainqueur des prochaines élections, il lui sera impossible de mener à bien des réformes, de remettre l’économie en état de marche ou d’apaiser les tensions et les mécontentements sociaux. Parce qu’il lui sera difficile de gérer un lourd héritage résultant d’une accumulation d’incompétence, d’insouciance et de calculs malsains.
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