La table ronde organisée le jeudi 28 février par le Conseil d’analyse économique sur la conjoncture économique 2018 et les perspectives 2019 a permis, encore une fois, de tirer la sonnette d’alarme sur les dangers guettant le pays, qui peine à retrouver les chemins de la croissance et à préserver ses équilibres macroéconomiques. Un constat grave, qui donne le tournis, en raison d’une gouvernance calamiteuse des affaires du pays, de l’impossibilité manifeste de conduire les réformes et de la propension des pouvoirs publics à privilégier le jeu électoraliste, plutôt qu’à rechercher des pistes de sortie d’une crise qui a gagné en ampleur et en complexité.
Au moment où tous les spécialistes et experts économiques et financiers sont unanimes sur la nécessité de mener une action vigoureuse et des réformes urgentes pour éviter au pays les scénarios du pire, l’on est surpris par l’optimisme à la limite béat de nos dirigeants qui semblent ignorer qu’un tsunami risque à tout moment de tout emporter avec lui, si l’on ne se résout pas à agir vite et ne pas se tromper de cible.
Paradoxalement, au moment où le diagnostic est connu par tout le monde, que l’on ne peut plus cacher des chiffres qui donnent parfois le tournis, on ose dire que nos équilibres ne sont pas menacés et que les conditions de la relance de la croissance sont désormais réunies. Alors qu’il est impérieux de rechercher les voies pouvant renforcer la confiance et encourager l’initiative et l’investissement, nos dirigeants, engagés dans la bataille électorale, versent plutôt dans un populisme ahurissant, primaire. A cet effet, l’annonce solennelle par la présidence du gouvernement au cours de la semaine écoulée du non renouvellement de la convention avec la COTUSAL, a surpris, dévoilant les desseins de l’équipe de Youssef Chahed d’exploiter certains dossiers qui ont suscité souvent des polémiques et de faux débats, pour gagner en notoriété et en popularité, plutôt que de défendre un certain intérêt national. Dans le cas d’espèce, il aurait fallu que le ministre de l’Industrie, des PME et de l’énergie saisisse l’entreprise en question officiellement et publie un communiqué de presse pour la circonstance pour montrer que l’Etat tunisien veille au grain.
Tout le tapage médiatique et la mobilisation des responsables politiques pour justifier une telle décision, montrent somme toute le dérapage de l’action gouvernementale et l’exploitation de certains dossiers pour des visées politiciennes. Faire le buzz dans le cas d’espèce est contre-productif, et donne par-dessus tout, un mauvais signal.
En effet, la mobilisation du gouvernement aurait dû se focaliser sur le plus urgent. Tel est le cas, par exemple, de la toute urgence d’assurer un rythme de production continu dans le bassin minier de Gafsa. A ce propos, l’on peut se demander à quoi sert de proclamer les sites de production et les installations stratégiques et vitales, zones militaires interdites, quand l’application fait toujours défaut et qu’il suffit d’une poignée de personnes pour que la paralysie de l’activité dans le bassin minier de Gafsa, aujourd’hui sinistré, soit totale.
Le paradoxe se reflète à travers l’impuissance de l’autorité publique d’arrêter les dégâts. Un chiffre illustre bien le malstrom qui est en train de précipiter ce secteur vers l’abîme. En huit ans, tout le secteur aura perdu l’équivalent de 12 milliards d’euros, alors que les effectifs se sont multipliés par trois. En lieu et place d’arrêter les dégâts, on se complaît dans la facilité et le saupoudrage qui risquent d’emporter dans leur sillage ce secteur stratégique, resté prisonnier des calculs et des choix hasardeux.
Il se reflète également à travers l’incohérence des acteurs politiques et leur incapacité à faire bouger les choses. Prisonniers d’un dogmatisme pesant, nos politiques sont derrière l’aggravation de la situation énergétique du pays et de l’aggravation du déficit commercial du pays devenu abyssal (sur les 19 milliards de dinars, 6 milliards de dinars proviennent de l’importation d’énergie). En effet, parce qu’on a appris à mettre tout le monde dans le même sac et que la suspicion de corruption est devenue un sport national, l’on a fini par enregistrer le départ des plus grandes compagnies pétrolières et par constater que le pays ne couvre plus que 50% de ses besoins en énergie.
Il se reflète, enfin, à travers l’explosion exponentielle de la masse salariale. Sous l’effet conjugué des recrutements anarchiques et des augmentations arrachées sous la pression, la masse salariale absorbe désormais plus de 40% des dépenses budgétaires et atteint 14% du PIB. Le drame, c’est que cet accroissement s’est fait souvent au détriment de l’investissement et du développement régional.
Face à cette situation pour le moins grave, les perspectives d’avenir restent incertaines, puisque la volonté de conduire le changement et de mettre en route des réformes douloureuses et essentielles reste aux abonnés absents. Pour mettre le pays sur les rails, restaurer la confiance et saisir toutes les opportunités, le populisme ne peut être la meilleure des thérapeutiques.