Avant même de rendre son contenu public, les quelques ballons d’essai fuités, ont provoqué un tollé, un rejet énergique et de fortes appréhensions. L’annonce officielle des dispositions fiscales contenues dans le projet de loi de Finances 2018, a fourni la preuve que les craintes exprimées étaient justifiées et bien réelles.
Manifestement, le pays est arrivé à un tel stade, parce que les dix gouvernements qui se sont succédé depuis 2011, ont été impuissants, incapables de mener des réformes, laissant pourrir la situation et les problèmes s’accumuler dangereusement. Aujourd’hui, le gouvernement Chahed 2 se trouve dos au mur et il lui revient ou de convaincre ou de payer les frais. Avec un déficit budgétaire devenu abyssal, des caisses qui risquent de mener le système de sécurité sociale à la faillite, des entreprises publiques qui croulent sous le poids des difficultés financières, la marge de manœuvre est devenue presque nulle et la vision stratégique absente. Pour desserrer des contraintes insoutenables et se conformer, surtout, aux exigences des institutions de Bretton Woods qui détiennent les derniers robinets possibles de financement, le gouvernement Chahed a préféré recourir à de vieilles recettes, aux solutions de facilité, au risque de rendre l’environnement des affaires incertain, voire imprévisible.
Pourtant, tous les spécialistes et experts en matière de finances, répètent à satiété qu’il aurait été plus simple d’actionner les dispositifs existants, d’appliquer tout l’arsenal juridique et fiscal mis en œuvre ces dernières années pour arriver au même résultat, atteindre l’objectif escompté. C’est par ce moyen que le gouvernement aurait pu s’épargner des tensions inutiles, des manifestations de rejet hostiles, qu’il aurait pu améliorer de façon substantielle les ressources publiques et soulager le budget de l’Etat sans recourir à de nouvelles mesures fiscales pénalisantes et bloquantes.
Chaque année, le débat et les controverses que suscite le projet de loi de Finances, trouvent leur origine dans le manque de cohérence de ce projet qui ne renvoie à aucune philosophie claire ou un référentiel précis. Alors qu’il devait se décliner en trois orientations essentielles et prévoir des mesures courageuses pour relever les défis de l’équilibre des finances publiques, de l’investissement, ainsi que de la réalisation des grandes réformes économiques, ce projet apparaît, dans sa configuration actuelle, comme la somme de mesures fiscales pénalisantes.
On a tendance à oublier que la loi de Finances est, avant tout, un projet qui s’inscrit dans le cadre d’une stratégie de développement. Cette articulation entre les objectifs et les instruments pouvant aider à leur concrétisation, est devenue absente. En sacrifiant la planification, les gouvernements se sont contentés de naviguer à vue et la loi de Finances se transforme tout simplement en un cadre qui permet à l’Etat de collecter le plus d’impôt possible afin d’équilibrer du mieux qu’il peut, le budget.
Le premier résultat qui ressort du projet de loi de Finances 2018 récemment présenté, laisse dubitatif. La plupart des dispositions annoncées sont en contradiction avec les objectifs qu’on essaie d’atteindre, s’agissant notamment de la volonté d’impulser la croissance, l’investissement et de converger vers un meilleur équilibre budgétaire. Est-il loisible, dans le cas d’espèce, en alourdissant les charges de l’entreprise et en bloquant ses activités, d’espérer un renforcement de sa compétitivité et de ses dispositions à investir et à créer de l’emploi ?
Le second enseignement se réfère au cadre fiscal, malmené par une instabilité qui est en train de desservir le site tunisien des affaires et de dissuader les opérateurs, en manque de visibilité, à investir ou à entreprendre. Enfin, dans le contexte difficile que connait le pays, à défaut d’un plus grand volontarisme, d’une propension des pouvoirs publics à agir sur les facteurs de blocage et d’inertie, la loi de Finances est devenue un instrument de collecte facile de l’impôt dont paient les frais les organisations transparentes et organisées.
Quand tout le monde exprime la même peur et ressort les impacts négatifs éventuels de ce projet, c’est qu’il y a anguille sous roche prouvant, peut-être, qu’il a été quelque peu improvisé et concocté dans des bureaux fermés, même si on prétend qu’il est une résultante d’un processus participatif.
Même si le coup est parti, tout n’est pas perdu. La balle est dans le camp des élus qui devraient engager un débat profond et serein afin de conférer à ce projet sa cohérence et d’en faire un véritable levier au service de la relance de l’économie et de la libération des initiatives.