Incompétence et incohérence

Parce qu’on a pris le pli, depuis 2011, de gérer au plus pressé, on a fini par oublier l’essentiel dans la gestion des affaires de l’Etat, à savoir la dimension stratégique de toute action entreprise. Cet oubli, la Tunisie est en train de le payer cash, que ce soit en termes de son image ou en ceux de ses intérêts.
Quand on  prépare mal nos dossiers, quand notre diplomatie se distingue par sa nonchalance, quand nos lobbies deviennent peu réactifs et quand l’anticipation fait cruellement défaut, l’on ne peut pas s’attendre à des miracles. L’on ne peut que subir les événements et manifester surprise et désappointement des effets induits qui en découlent. Crier par la suite tout son dépit, parler de complot, de trahison ou de catastrophe ne peuvent en rien nous faire oublier notre part de responsabilité. Notre inaptitude à éviter ces écueils ou à prendre garde pour ne pas  tomber dans ces pièges, trouve sa parfaite déclinaison dans l’approximation et l’amateurisme qui caractérisent notre manière de gérer les affaires du pays. Il ne s’agit pas de la première déconvenue que connaît notre pays, faute d’anticipation et de suivi rigoureux des dossiers les plus sensibles. Au rythme où vont les choses, ce ne sera pas non plus la dernière raclée qu’on aura à subir.  Ce qui est en cause avant tout, c’est notre système de gouvernance et de nomination aux postes de responsabilité qui laisse le champ grand ouvert aux médiocres, en barrant la route devant le mérite et la compétence. Un système où le clientélisme et la prédominance de l’esprit du clan l’emportent sur toute autre chose. Depuis la Révolution de 2011, la Tunisie n’est-elle pas devenue l’objet de toutes les manipulations et d’insatiables désirs de sa classe politique de partager le gâteau ?
Pour cette raison évidente, l’adoption,  le 6  décembre dernier,  par l’Union européenne d’une liste d’Etats qui ne font pas le nécessaire pour lutter contre l’évasion fiscale où  notre pays figure en bonne place, est tombée tel un couperet, prenant le monde politique et les milieux économiques  de court et provoquant une sorte de séisme et de questionnements lancinants.
La raison est simple, on s’est longtemps bercé d’illusions en croyant que le capital sympathie dont la Tunisie a pu bénéficier depuis 2011, constitue une sorte d’immunité, voire un motif qui le dispense de faire le nécessaire. Nos dirigeants ont, peut-être, oublié un important postulat : les relations internationales sont régies par une  loi  implacable, celle des intérêts. Ils ont ignoré également que  pour s’épargner les affres des mauvaises surprises, il ne faut pas  compter sur l’amitié seulement de nos partenaires et leur compréhension de nos difficultés.   On a oublié qu’ils peuvent également nous demander des comptes quand on se montre défaillant ou quand notre dossier, plus que défendable, est traité avec une légèreté déconcertante.
Que font nos diplomates, l’armada de conseillers qui déambulent à la Kasbah et nos leaders d’opinion, qui se plaisent à meubler les plateaux télévisés pour entretenir les surenchères, en ne voyant rien venir à l’horizon ?  D’autres pays ont pu s’éviter cette situation, en mobilisant leurs diplomates et en utilisant les atouts dont ils disposent. Résultat : leur nom a été retiré de la liste noire à la dernière minute. Pourquoi pas nous ? Parce que, tout simplement, à l’incompétence et à la suffisance s’ajoute chez nous l’indifférence.
Pourquoi  également l’Union européenne a choisi ce moment pour exhumer ce dossier ?
Il faut avouer que dans cette affaire, qualifiée par de nombreux spécialistes d’absurde, on a été puni par notre principal partenaire économique, à savoir la France dont le ministre des Finances, Bruno Le Maire, a préféré jouer les deux poids deux mesures en tenant à imposer des sanctions à des pays faibles qui n’ont, à ses yeux, ni poids ni influence. Comment expliquer dès lors  que  les amis et les autres puissances où l’évasion fiscale et l’opacité en matière fiscale sont érigées en règle, n’ont même pas été cités ?
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On a été trahi aussi par un partenaire qui ne cesse de nous pousser à  aller de l’avant dans l’ouverture de notre économie et à nous présenter l’ALECA comme le sésame pour gagner en compétitivité et en complémentarité avec cet ensemble. On  a été floué par cette Union européenne qui ne cesse de déclarer tout son soutien à la Tunisie tout en nous attendant au premier tournant pour nous punir et nous montrer du doigt.
Pourquoi agiter maintenant cette liste alors que de nombreux experts avancent d’autres, établies en toute indépendance, conformément à des critères crédibles et sans être sous  l’influence d’une quelconque partie ?
Pour Éric Vernir, chercheur associé à l’IRIS (Institut français des relations internationales et stratégiques), la liste présentée peut être considérée comme une supercherie, une façon gratuite de stigmatiser des pays faibles. Il affirme, dans une analyse publiée sur le site de l’IRIS, qu’ « avec les listes de territoires non coopératifs officielles,  les États privilégient toujours les considérations diplomatiques et autres « intérêts supérieurs », au détriment de l’équité fiscale internationale. Par conséquent, les pays les plus forts ou les plus amis, voire soumis, échappent à l›indignité de la liste noire ».
Aujourd’hui, les dés sont pipés et ce ne sont pas certainement les propos apaisants tenus le lendemain par l’ambassadeur de l’Union européenne à Tunis qui vont réparer le préjudice subi par la Tunisie. Le fait de retirer notre pays de cette liste en janvier prochain ne changera rien à la donne. Puisque le Commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, a élaboré une liste à géométrie variable, aucun membre de l’Union européenne n’est blacklisté, pas même Malte, ni le Luxembourg, l’Irlande ou les Pays Bas. Absurde non ! n

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