Les publicités trompeuses et l’étiquetage cachent souvent une foule de produits nocifs qui vont des pesticides aux sucres ajoutés et des additifs chimiques aux substances allergéniques. À l’heure où la production alimentaire vise les plus bas coûts pour engranger le maximum de bénéfices, les aliments sont en train de s’éloigner de leur état naturel et d’entrer dans l’étrange univers des industries agroalimentaires.
Trop de sucre et de sel
Un médecin nutritionniste nous a assuré, sous le couvert de l’anonymat qu’une « catastrophe sanitaire majeure attend les prochaines générations à cause de tous les poisons que l’organisme accumule, entre pesticides, sucres ajoutés, plats saturés de sel, de gras, de conservateurs chimiques… » En effet, le secteur agroalimentaire déploie des trésors de créativité pour attirer le consommateur et pour vendre toujours plus. Or ces produits agricoles et leur transformation industrielle fait qu’ils sont bourrés de molécules aux interactions mal connues.
A coups de spots publicitaires matraqués jour et nuit, les marques persuadent les consommateurs des vertus de leurs produits pour la santé, sans jamais en apporter la preuve. Et notre médecin d’affirmer : « cette situation ressemble à celle des crèmes antirides dont les industriels des cosmétiques vantent les mérites sans tests scientifiques qui prouvent réellement leur efficacité… Or tout le monde sait qu’aucun remède miracle ne réduit les rides et tout ce cirque c’est de la fausse publicité ! »
Parmi les aberrations que nous avons rencontrées, il y a l’ajout de graisses animales dans des produits aussi divers que le savon, les céréales ou certains types de pain, sans oublier les brioches et autres croissants soi-disant au beurre…
Les bouillons censés apporter la différence dans la marmite sont en fait une assiette de maladies chroniques, notamment parce qu’ils sont saturés de gras et de sel. Ces cubes donnent l’illusion du goût, ce qui fait croire que les repas sont bien assaisonnés, alors que tout est artificiel.
Ce qui fait dire à un fin gourmet rencontré au marché central : « à notre époque, on resplendissait de santé et on était toujours en pleine forme, car on mangeait sainement. Aujourd’hui je ne trouve des produits de qualité que chez quelques vieux commerçants qui ont su garder des traditions saines pour la fabrication des fromages, les conserves, les olives… ».
Une jeune dame qui l’entend confirme ses propos : « ma défunte maman mettait des tomates fraîches dans les pâtes, des légumes frais pour les divers plats, enrichis d’ail, d’oignons, de pois chiches et de fèves. Cela donnait un goût exquis à ses plats. Avec son départ, c’est tout un univers qui a disparu et il ne me reste plus que les souvenirs lointains de l’univers de mon enfance et que je n’ai plus jamais retrouvés… »
En effet, ce que nous avons constaté c’est que les femmes recourent de plus en plus aux additifs culinaires de nos jours parce qu’elles n’ont plus beaucoup de temps pour faire la cuisine. Nos ménagères se rabattent de plus en plus sur les bouillons en cube qui donnent le goût du poisson, des légumes, des épices ou de la viande, même si les conséquences sont désastreuses, avec des maladies chroniques et silencieuses.
Publicité mensongère
Le pire, c’est la publicité organisée autour des produits de l’industrie alimentaire : on a souvent affaire à des effets d’annonces du genre : « nos recettes ont été améliorées, nos plats sont plus légers, nos sauces sont plus naturelles… » Or comme nous l’a affirmé le seul industriel qui a accepté de nous répondre : « il est impossible de garantir un niveau élevé de qualité sans arômes ajoutés. Le consommateur trouverait cela trop fade et s’en irait voir ailleurs… »
Il ajoute : « il y a 400 (quatre cent) additifs autorisés utilisés couramment et plus de 4000 (quatre mille) autres, qui sont présents sans avoir besoin de recourir à une autorisation, car ils sont considérés comme naturels… » Et quand on l’interroge sur le pourquoi de tant d’additifs, il répond le plus naturellement du monde : « les produits naturels coûtent très cher, comme par exemple la vanille. Si on n’utilisait pas son alter ego chimique, il faudrait vendre le pot de yaourt plusieurs Dinars le pot ! »
Et c’est là qu’intervient notre nutritionniste qui connait bien cette version des faits : « on a constaté que de nombreux enfants, mais aussi des adultes, développent des allergies aux origines peu connues et les salles d’attente des allergologues ne désemplissent pas. Voilà un métier d’avenir, malheureusement ! »
Le sel est l’autre grand problème car sa consommation chez les enfants reste trop élevée, surtout lorsqu’il consomme des aliments transformés. Notre spécialiste le confirme, chiffres à l’appui : « les céréales du petit déjeuner, le pain, les biscuits et les gâteaux représentent la principale source d’apport en sel alimentaire, soit 36%, suivis par les produits transformés à base de viande comme le poulet, la dinde, les merguez et le salami, avec 19%. Puis vient le lait et ses dérivés comme le fromage, soit11%. »
Côté boissons, les choses ne sont pas meilleures puisqu’on ne boit pas un jus d’orange en boite, mais de l’eau où baignent des arômes et des colorants, qui sont autant des produits chimiques saturés de sucre. Tout est ajouté : la couleur orange, le goût des agrumes, le sucre… La palme revient à certains sodas qui contiennent jusqu’à onze morceaux de sucre par canette !
Et la liste des produits qui n’ont plus rien de naturel est bien longue : les biscuits apéro sont saturés de sel, la margarine même bio, faite à base d’huiles végétales est industrielle et la plupart du temps elle contient des additifs. La confiture est une conserve faite avec des fruits cuits et du sucre, quand ce n’est une purée de carottes et de courges trop cuites et parfumées chimiquement, ce qui ne leur laisse aucune vitamine, en plus de la tromperie sur la marchandise et sur l’étiquetage.
Côté conserves, les légumes en boite comme les petits pois ou le maïs ne contiennent plus aucune énergie vitale et sont donc totalement inutiles. La mayonnaise, la moutarde, le ketchup, les câpres ou les cornichons industriels sont chargés d’additifs et autres acidifiants. Quant aux produits surgelés comme les frites, les poissons, les viandes ou les pizzas perdent une grande partie de leurs propriétés gustatives.
Face à cette invasion qui détériore le sens du goût et contribue à provoquer des problèmes de santé, plusieurs propositions nous ont été suggérées par nos interlocuteurs. Il faudrait créer une association du « bien manger » qui réunirait nutritionnistes, diététiciens et spécialistes de la santé. C’est difficile de changer les habitudes, mais il faut s’y atteler et rééduquer les tunisiens et en particulier les jeunes, en leur apprenant à manger plus sainement, afin de découvrir plus de goût, plus de saveur, plus d’authenticité.
Certes les aliments industriels ont un côté pratique : ils sont prêts à être consommés, ce qui fait gagner un temps précieux dans une journée surchargée de travail et de stress. Mais comme nous l’avons constaté à travers cette enquête, les produits frais contiennent plus de vitamines, de minéraux et de nutriments nécessaires à une bonne santé, alors que les aliments industriels contiennent de nombreux additifs qui sont en majorité néfastes pour la santé.
Au bout de cette enquête qui dévoile des réalités embarrassantes, il y a au moins une note positive : de nombreux tunisiens commencent à changer leur mode de consommation et à se détourner de ces produits nocifs pour leur santé. Ils recherchent ceux qui sont naturels, simples, goûteux… Mais il faut reconnaitre que l’obstacle principal pour une alimentation saine reste l’argent, car les producteurs se sont aperçus de la hausse de cette demande et ils tentent d’en profiter, comme toujours !
Yasser Maârouf