L’observatoire national des inégalités sociales en santé (ONISS) a été créé à l’initiative d’un groupe de réflexion composé d’experts en santé publique, d’économistes en santé, de sociologues, d’anthropologues et de de juristes. La Professeure Habiba Ben Romdhane, qui chapeaute ce projet, nous en dit un peu plus sur les objectifs et les leviers d’actions de cette nouvelle institution.
Pourquoi cet observatoire ?
En tant que chercheure ayant fait des enquêtes sur le terrain sur la mortalité maternelle en 1994 et en 2010, sur la transition épidémiologique, sur le système de santé en Tunisie, sur les maladies cardiovasculaires et le diabète dans les pays en transition, en tant qu’ancienne ministre également et responsable de la santé, j’ai vécu de très près ces inégalités en santé qui prennent souvent racine dans l’environnement , les déterminants sociaux et qui parfois sont liées au système de santé qui les aggravent.
Quelles sont ces inégalités en santé et quels sont les leviers d’actions de l’ONISS ?
La révolution tunisienne a levé le voile sur beaucoup de problèmes d’inégalités sociales, en particulier dans le domaine de la santé et notamment dans les régions de l’intérieur. Cependant ces inégalités n’existent pas seulement dans ces régions-là, elles sont aussi enregistrées dans les zones périurbaines des grandes villes où il y a des populations qui souffrent dans leur chair en raison d’un manque d’accès aux soins. Les inégalités sont des iniquités et elles sont surtout injustes. C’est pour cela qu’elles doivent être au centre de la politique de santé.
En fait, le concept renvoie aux conditions dans lesquelles l’individu nait, grandit, travaille, tisse des relations sociales ainsi que son environnement, son logement, etc. Tous ces facteurs socioéconomiques et environnementaux évoluent et influent sur l’individu et son état de santé. Par ailleurs on distingue les déterminants sociaux, qui sont liés à la culture et au niveau d’éducation et les déterminants économiques, qui sont liés aux revenus. Mais on prend également en considération les déterminants sanitaires comme la disponibilité et l’accessibilité financière des services de santé et enfin la politique de santé.
Comment se manifestent ces inégalités ?
Elles sont mesurées par des indicateurs de mortalité, de morbidité, de santé subjective et de recours aux soins pour les maladies, à la prévention. En fait, les inégalités sont très importantes en matière de prévention pour les diverses maladies entre les différentes régions du pays. Dans ces termes, on voit ici la différence de prise en charge entre les maladies transmissibles et les maladies non transmissibles. Pour les maladies transmissibles la prévention se fait par la vaccination qui était gratuite et obligatoire et qui se pratique de manière systématique pour tous les enfants quel que soit leur milieu. Dans ce contexte, il existe une petite population réfractaire, mais on n’observe pas la différence entre les régions et les groupes sociaux. En revanche, les maladies non transmissibles comme les maladies cardiovasculaires et le diabète par exemple, qui se définissent par leur chronicité et par la complexité de leur prise en charge et de prévention, cristallisent les inégalités sociales et mettent à nu le dysfonctionnement du système public, de la première à la troisième ligne. Pour ces pathologies, nous enregistrons d’importantes inégalités sociales et disparités régionales.
La mortalité maternelle est également un problème de santé marqué par de grandes inégalités sociales et disparités régionales. Globalement, le taux de mortalité maternelle enregistré en Tunisie est de l’ordre de 45 pour 100.000 naissances. Il est inférieur à 20 au Liban, il se situe aux alentours de 1 à 2 dans les pays scandinaves et autour de 8 dans les pays d’Europe du Sud. Les femmes continuent de mourir bêtement en Tunisie, quand elles accouchent. La mortalité maternelle est marquée aussi bien par les déterminants sanitaires (disponibilité, accessibilité, qualités des services de soins) que par les déterminants sociaux (éducation, conditions de vie, niveau économique, etc.).
L’exclusion sociale et le chômage aggravent ces inégalités avec un risque d’appauvrissement lié aux dépenses catastrophiques en santé, celles qui surviennent lors d’un évènement imprévu de santé, en cas d’intervention d’urgence, en cas de maladies graves alors que le patient n’a pas de couverture sociale, etc. C’est désormais une réalité pour beaucoup de Tunisiens.
Quel est le message que vous adressez aux lecteurs ?
Mon message est que les inégalités de santé sont désormais une réalité tunisienne, elles sont injustes et donc inacceptables et l’État doit avoir la responsabilité et le premier rôle pour les combattre. La société civile doit être vigilante quant aux choix politiques pour réduire les inégalités sociales de santé. Enfin, l’équité doit être le marqueur du progrès social en Tunisie.
Propose recueillis par Samira Rekik