Inondations: Comment sauver les meubles ?

Le Grand Tunis n’a pas totalement coulé sous les eaux le 28 octobre 2019 parce qu’il est protégé par Dieu. Mais imaginez la situation si les pluies diluviennes, qui sont tombées pendant deux heures, avaient duré 10 ou 15 heures d’affilée. Cela aurait abouti, à Dieu ne plaise, à une situation d’apocalypse. Le comble pour un pays qui souffre de stress hydrique que de subir des inondations graves.
En fait, les inondations sont un problème récurrent que les pouvoirs publics ont occulté, négligé et sous-estimé depuis toujours dans notre pays.
En effet, depuis les inondations catastrophiques mémorables de 1969, notre pays n’a pas cessé de connaître tous les trois ou quatre ans des inondations graves suite à des pluies torrentielles.
Or, les pouvoirs publics n’ont pas entendu les multiples sommations : des drames humains, des dégâts et des pertes matérielles coûteuses dans toutes les régions du pays sans prendre les décisions nécessaires pour protéger villes, villages et populations contre les « colères de la nature ».
Ce qui s’est passé dans le Grand Tunis est très grave. Il a suffi de 100 mm de pluies dans la nuit du 27 au 28 octobre 2019 pour paralyser l’ensemble de l’agglomération : routes coupées, moyens de transport publics interrompus, circulation automobile engorgée, lignes de chemin de fer bloquées, chaussées détériorées, voitures emportées par les eaux…
Pas seulement : les eaux boueuses et chargées de détritus ont envahi des milliers d’habitations dans plusieurs quartiers de l’Ariana, la Soukra et Raoued, mais aussi dans plusieurs quartiers populaires, localités de banlieue comme Radès et villages ruraux à l’ouest de la capitale.
Les pertes et les dégâts sont à chaque fois énormes, tandis que le coût en vies humaines est irremplaçable.
Certes, dans les pays riches, il y a les assurances et les dédommagements de l’Etat quand il s’agit de catastrophes naturelles mais chez nous, chaque famille doit assumer elle-même ses pertes et il n’y a même pas un abri collectif.
Le coût d’une journée de travail perdue dans la capitale est inestimable. Mais le traumatisme subi par la population n’a pas de prix, il a un coût très élevé en ce qui concerne l’investissement, la productivité du travail, la confiance en l’Etat et dans l’avenir du pays.
Il faut dire que les causes sont multiples. D’abord, il y a les défaillances des pouvoirs publics qui se situent à plusieurs niveaux : manque de prévention des pluies par le curage des oueds et le nettoyage des canalisations, mais aussi absence d’infrastructures appropriées pour l’écoulement des eaux.
La population assume également une part de responsabilité : constructions anarchiques de logements dans les lits d’oueds et les zones creuses, dépôts de gravas et d’objets divers, ce qui bouche les canalisations.
D’après le ministre de l’Equipement, le budget d’investissement de l’Etat est de l’ordre de 6 milliards de dinars par an, dont 40% seulement concernent le ministère de l’Equipement, les 60% restants sont répartis entre plusieurs autres ministères. Ce montant n’a pas varié depuis dix ans, or avec 50% de baisse de la cotation du dinar, la valeur réelle du volume d’investissement dans les infrastructures a donc régressé de moitié.
Ce budget est nettement insuffisant pour faire face aux besoins réels du pays. Selon le même ministre qui s’exprimait sur une chaîne de radio privée à propos des récentes inondations catastrophiques, les services compétents  du ministère ont procédé ces derniers mois au curage des lits d’oueds et au nettoyage des canalisations pour favoriser l’écoulement des eaux de pluies. Il a précisé que les réseaux d’évacuation des eaux de l’ONAS ne permettent pas d’absorber les volumes d’eau provenant des pluies diluviennes qui se sont abattues avec intensité durant la nuit du 27 octobre dans le Grand Tunis.
De son côté, Jamel Ksibi, président de la Fédération nationale UTICA des entreprises de BTP, a déclaré sur les ondes d’Express FM que c’est la procédure d’octroi des marchés publics sur appels d’offres selon le critère du moins-disant, qui est à l’origine des problèmes rencontrés par la fragilité des infrastructures de base.

Il poursuit : il y a un autre problème grave qui ruine les entreprises de BTP dans notre pays, à savoir les retards de paiement de l’Etat qui portent préjudice à l’équilibre financier des entreprises. Ces délais de paiement relatifs à des travaux réalisés vont jusqu’à deux ans et leur montant global est de l’ordre de 250 millions de dinars.
Par ailleurs, selon un ingénieur en bâtiment, expert en matière d’infrastructures hydrauliques, conseiller municipal à El Mourouj, il n’y a pas de plan national, et a fortiori ni régional ni local, de grande envergure prévu pour l’évacuation des eaux de ruissellement découlant des eaux de pluie, alors que la définition même de notre climat méditerranéen est celle des pluies torrentielles en automne et en hiver, appelées à cause du réchauffement climatique, à devenir plus intenses et plus fréquentes.
L’évacuation des eaux de ruissellement obéit à des normes différentes de celles des eaux usées : gros diamètres des canalisations, accès facilités pour le curage, bassins de décantation, débouchés prévus en mer ou dans les lacs.
Cet ingénieur n’a pas manqué de déplorer à juste titre que les décisions en matière d’investissements, d’appels d’offres et de projets à réaliser, sont prises par des diplomés de l’ENA en fonction de critères financiers uniquement et non par des ingénieurs, connaisseurs des véritables solutions technologiques qui s’imposent pour résoudre à long terme les problématiques hydrauliques et infrastrucuturelles.
La solution réside dans un plan national d’évacuation des eaux de surface. Celui-ci doit imputer au ministère de l’Agriculture tout ce qui est génie rural : barrages, collecte et ruissellement des eaux de surface.
Le ministère de l’Equipement étant responsable de tout ce qui est infrastructures hydrauliques routières, autoroutières, ponts, évacuation des eaux de surface.
Tandis que dans les périmètres communaux, ce sont les mairies qui sont responsables de l’évacuation des eaux, quitte à créer un « syndicat » pour fédérer les moyens et financer les projets collectifs.
Pour le Grand Tunis, il faudrait un organisme de coordination et de gestion des crises, le réseau ONAS étant réservé aux eaux usées, à ne pas confondre avec les eaux pluviales.

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