Quand l’Etat s’affaiblit et se montre incapable d’assumer ses missions essentielles, tout devient permis et toutes les dérives inévitables. Quand l’application de la loi relève de l’impossible, le sens de la responsabilité perd tout son sens et la hiérarchie est partout bafouée, l’incurie s’installe et tout le monde se délecte à braver l’interdit. Dans le contexte particulier que vit actuellement la Tunisie,
citoyens ordinaires, employés dans le secteur public ou secteur privé, acteurs politiques et sociaux ont franchi le Rubicon de l’intolérable, de l’inénarrable. Pour marquer leur défiance à tout, ils croient dur comme fer que tout est permis, y compris le fait de chercher noise aux intérêts du pays, à la viabilité des entreprises et à l’image de la Tunisie, qui par les agissements des uns et des autres provoquent incrédulité, sarcasmes et railleries. Parce que tout simplement, on sent qu’il n’y a plus aucune limite, même à la bêtise, aucun référentiel moral qui pousse à la retenue et au questionnement. Résultat ; on foule aux pieds les institutions qui, par la faute de tout le monde, ont beaucoup perdu de leur lustre. Les lois et les règlements russi.
Le plus grave, c’est que les dépassements, les errements et les négligences ne sont plus des cas isolés, mais plutôt répétitifs et étrangement banalisés. Si les premiers accidents, incidents ou autres cas aberrants ont, à un certain moment, suscité étonnement, voire même circonspection et irritation, aujourd’hui,ils entrent dans la normalité des choses, suscitant à peine des réactions timides de dépit ou tout simplement un silence narquois.
Il ne s’agit plus de problème de défiance à l’ordre public ou social, mais des actes de sabotages systématiques qui produisent, la plupart du temps, des pertes considérables à la communauté, des dysfonctionnements sérieux au niveau des services et une dévalorisation de l’image du pays, qui donnent l’impression qu’il est à l’abandon, ingouvernable…
Un pays qui peine à retrouver ses repères et qui souffre terriblement d’une déficience de pilotage, en raison d’une classe politique décalée, incapable d’accorder ses violons, de faire le distinguo entre ce qui est essentiel et accessoire et obnubilée par l’accaparation du pouvoir, quel qu’en soit le prix à payer. Parce qu’elle s’est montrée incapable de donner l’exemple, de développer un débat public qui oriente et éclaire, les Tunisiens ont fini, chacun à sa façon et avec les moyens dont ils disposent, par emboiter le pas à cette classe, en versant dans une anarchie que rien ne semble pouvoir arrêter.
En témoignent l’insouciance, la négligeable et l’impunité qui sont devenues les facteurs distinctifs dans notre vie sociale et une menace réelle au contrat social censé organiser la vie dans la cité, codifier les relations et établir les responsabilités.
Un triptyque qui résume bien l’absence de toute gouvernance dans la gestion des affaires du pays et, surtout, l’ampleur prise par des dépassements, des comportements irrationnels et des accidents parfois spectaculaires qui ont tendance à se multiplier et à gagner en complexité.
C’est particulièrement, dans le secteur du transport que le bât blesse, que les problèmes de toutes sortes ont tendance à s’amplifier et que les pouvoirs se montrent incapables de faire face à cette déferlante. Outre la succession, soit par négligence ou par de simples actes de sabotage, des accidents ferroviaires dans notre pays qui ont coûté des vies humaines et des pertes considérables pour une entreprise publique qui croule sous les déficits et qui est prise en tenaille par des syndicats aveuglés par l’esprit revendicatif, du grand désordre que connaît l’aéroport de Tunis Carthage, où quand un avion décolle à l’heure devient un véritable événement, la collision survenue dernièrement entre le navire de la CTN Ulysse et le porte-conteneurs chypriote grec Virginia, nous a fait plonger dans les abysses de l’abîme.
Cet accident, qui restera longtemps dans les annales du transport maritime mondial, par la négligence de l’équipage tunisien et sa persistance à persévérer dans l’erreur et le déni, a été le révélateur de la chute vertigineuse de notre pays dans les gouffres de la bêtise, de l’intolérable voire même de l’anarchie.
Avec l’érosion des responsabilités à toutes les sphères et à tous les échelons, la domination du laxisme et de l’insouciance, on ne peut pas s’attendre à mieux.
Au bout du compte, quand un simple ouvrier fait un acte de rébellion et bénéficie d’une immunité comme cela avait été vécu, il y a deux ans, clouant le car-ferry Carthage pendant plus de 48 heures, devient la référence, quand les grèves sauvages enclenchées en août dernier par des agents de la CTN créant le chaos au port de la Goulette, n’ont pas été suivies de mesures disciplinaires exemplaires, il est tout à fait évident que ce qui s’est produit à bord d’Ulysse ne peut étonner outre mesure. Il est l’aboutissement naturel d’un sentiment d’impunité qui a gagné les Tunisiens, lequel a été entretenu par les dérives syndicales à l’origine de cette tourmente infernale.
Face à l’insouciance, ce qui choque le plus est manifestement l’impuissance des pouvoirs publics. Au moment où le ministre tunisien du Transport a prouvé sa faiblesse et son incapacité à tenir un discours ferme et à faire le ménage, notamment suite au comportement honteux de l’équipage du navire Ulysse, le ministre français de l’environnement François de Rugy n’a pas mâché ses mots exprimant toute sa « honte pour ces individus inconséquents dont la bêtise est désolante »
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