Intelligence artificielle et prévention de la faillite des entreprises

Par Dr Souhir Lahiani

Par Dr Souhir Lahiani

L’intelligence artificielle a profondément transformé de nombreux secteurs, et son potentiel pour prévenir la faillite des entreprises et optimiser les processus de fusions et acquisitions est de plus en plus reconnu. En Tunisie, où environ 200 000 entreprises ont fait faillite en 2023 selon le porte-parole de l’Association tunisienne des petites et moyennes entreprises (ANPME), Abderrazek Houas, l’IA pourrait jouer un rôle crucial pour inverser cette tendance préoccupante.

 Aujourd’hui, intégrer l’IA dans les entreprises est aussi essentiel que ne l’était l’adoption des applications mobiles il y a quelques années. Sam Altman, co-fondateur et PDG d’OpenAI, souligne qu’il est désormais impensable pour une entreprise de logiciels de ne pas avoir une application mobile. De même, il deviendra indispensable d’incorporer l’intelligence dans chaque produit et service. 

Prévenir la faillite des entreprises par l’IA
Actuellement, plusieurs techniques sont employées pour prévoir les faillites d’entreprises, notamment l’apprentissage supervisé, l’apprentissage non supervisé et l’apprentissage par renforcement. Les experts combinent ces trois technologies pour développer des algorithmes hyper optimisés. L’idée est de regrouper un maximum de données provenant de sources et formats divers pour élaborer des schémas prédictifs les plus précis possibles. Les résultats obtenus surpassent souvent ceux des méthodes traditionnelles, pourtant validées par le temps.
Pour décrire succinctement l’idée directrice de l’approche de l’analyse prédictive, on mélange des données financières et opérationnelles, des études de marché avec les tendances à venir, ainsi que des informations macro-économiques. L’objectif est de créer une projection fidèle de l’écosystème de l’entreprise, permettant de miser sur son développement ou, au minimum, sa pérennité.
L’une des principales forces de l’IA réside dans sa capacité à analyser de grandes quantités de données en temps réel et à identifier des tendances souvent invisibles à l’œil humain. Grâce à des algorithmes avancés de machine learning, l’IA peut fournir des insights précieux sur la santé financière d’une entreprise, détecter des signes précoces de difficultés économiques et générer des alertes annonciatrices de crises financières. 

L’impact de l’IA en Afrique
En Afrique, cette technologie pourrait être particulièrement bénéfique. Par exemple, en Afrique du Sud, où 109 entreprises ont fait faillite en 2024, les solutions d’IA peuvent offrir un soutien crucial aux entreprises en difficulté. En analysant des variables telles que les flux de trésorerie, les dettes, les créances et même les sentiments du marché, l’IA peut anticiper les problèmes financiers et suggérer des mesures correctives avant qu’il ne soit trop tard.
L’intégration de l’intelligence artificielle dans la gestion des entreprises représente non seulement une avancée technologique, mais aussi une opportunité majeure pour améliorer la résilience et la durabilité des entreprises dans des économies émergentes. Par une analyse prédictive et une gestion proactive des risques, l’IA a le potentiel de transformer le paysage économique, en prévenant les faillites et en facilitant des décisions stratégiques plus éclairées.
Cependant, l’adoption de l’IA dans les entreprises africaines n’est pas sans défis. Comme le souligne Fahd Azaroual, économiste au Policy Center for the New South, « l’intégration de l’Intelligence artificielle en Afrique présente des opportunités considérables, mais aussi des défis substantiels. Alors que certains pays africains se distinguent par leur engagement et leurs progrès dans la préparation à l’adoption de l’IA, d’autres sont confrontés à des obstacles majeurs tels que les inégalités structurelles et les fractures numériques ».
Les principaux obstacles incluent le manque d’infrastructure technologique, l’accès limité aux données de qualité et la nécessité de compétences spécialisées pour développer et gérer des solutions d’IA. Comme le précise Leonida Mutuku, chercheuse, experte en utilisation de données, et fondatrice et Directrice générale de l’entreprise Intelipro, « l’IA est, en fait, plus efficace lorsque le bon ensemble de données est disponible et peut être agrégé de manière stratégique » (source theafricaceoforum.com).
La Tunisie, comme de nombreux pays en développement, a connu pendant des années des difficultés avec une progression lente et des processus lourds dans son économie. Cependant, l’émergence des technologies, telles que l’intelligence artificielle (IA), l’Internet des objets (IoT) et l’apprentissage automatique, ouvre la voie à une croissance et à un développement sans précédent. Comme le souligne Hervé Tourpe, chef de l’unité consultative sur les questions numériques du FMI, « cette avancée ouvre de nouvelles opportunités tant dans le secteur public que privé ».
En 2023, certains pays se démarquent par leur préparation à intégrer l’IA dans leurs politiques socioéconomiques, bénéficiant d’un environnement politique favorable, d’investissements dans les infrastructures et d’une concentration croissante de talents spécialisés.
Le classement établi par Oxford Insights intitulé «Government AI Readiness Index 2023», a concerné 193 pays. Il s’est basé sur 39 indicateurs répartis sur quatre grands piliers, à savoir « Gouvernement », « secteur technologique », « Données et infrastructures » et « Secteur privé ». L’île Maurice, l’Égypte et l’Afrique du Sud émergent en tête du classement, soulignant leur engagement dans le développement d’écosystèmes propices à l’innovation technologique. Ces pays ont investi dans des politiques gouvernementales progressistes, favorisant ainsi l’essor des startups et des entreprises axées sur l’IA.
L’utilisation de l’intelligence artificielle en Afrique démontre son potentiel transformateur dans des domaines tels que la santé, l’agriculture et les services financiers. On peut citer quelques exemples illustrant comment l’IA peut transformer divers secteurs en Afrique, en améliorant les services de santé, en augmentant la productivité agricole, en sécurisant les transactions financières et en enrichissant l’éducation.

Une start-up tunisienne utilise l’IA pour reconstituer les sites archéologiques
Houda Bakir, cofondatrice de la start-up Historiar, organise en Tunisie plusieurs visites de sites archéologiques avec les lunettes de réalité virtuelle, ou bien juste l’application de réalité augmentée sur les smartphones. Selon Houda Bakir, l’IA améliore le travail manuel de reconstitution des sites. Historiar utilise l’IA dans l’expérience immersive, par exemple, la voix d’une femme a été clonée dans toutes les langues pour faire l’audiodescription.
Elle travaille aussi avec l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle, ainsi que des historiens et des archéologues pour que l’expérience soit la plus authentique possible et fidèle à la réalité historique.

Santé au Ghana
Au Ghana, l’IA est utilisée pour améliorer la précision et l’efficacité des diagnostics médicaux. La start-up «Mpharma» a développé une plateforme alimentée par l’IA qui assiste les pharmaciens et les médecins dans le diagnostic précis des maladies et la prescription appropriée de médicaments aux patients. Cette innovation aide à combler les lacunes dans les services de santé et à fournir des soins de meilleure qualité.

Agriculture au Nigeria
Au Nigeria, des plateformes de données comme Zenvus utilisent l’IA pour fournir aux agriculteurs des informations cruciales, ce qui améliore les rendements et la productivité agricole. En collectant et en analysant des données sur les conditions du sol, les niveaux d’humidité et les prévisions météorologiques, Zenvus aide les agriculteurs à prendre des décisions plus informées et à optimiser leurs récoltes.

Services financiers en Afrique du Sud
En Afrique du Sud, l’IA est employée pour améliorer l’efficacité et la précision des services financiers. La start-up «ThisIsMe» a développé une plateforme alimentée par l’IA qui permet aux institutions financières de vérifier l’identité de leurs clients de manière plus précise et sécurisée. Cette technologie réduit le risque de fraude et améliore la sécurité des transactions financières.

Éducation au Rwanda
Au Rwanda, l’IA est utilisée pour améliorer la qualité de l’éducation. Le gouvernement a collaboré avec IBM pour lancer le programme «IBM Digital – Nation Africa», qui propose des cours en ligne gratuits en matière d’IA, de cloud computing et de science des données aux jeunes Rwandais. Cette initiative vise à développer les compétences technologiques des jeunes et à préparer une nouvelle génération de professionnels qualifiés.

 L’IA au cœur des événements en Afrique en 2024
En 2024, plusieurs événements en Afrique ont mis en lumière la technologie de l’intelligence artificielle. En Tunisie, divers événements ont été organisés, mais le BigTech 2024 se distingue comme le plus grand. Prévu du 26 au 29 juin, cet événement sera dédié aux technologies, aux startups et au digital sur le continent africain et au Moyen-Orient.
La Tunisie réaffirme ainsi son engagement envers la transformation numérique et son ambition de jouer un rôle de premier plan dans le domaine de l’IA en Afrique. Le BigTech 2024 offre une plateforme précieuse pour explorer les opportunités et les défis liés à l’IA, tout en stimulant la collaboration et l’innovation dans le secteur numérique tunisien.
Il est le prolongement des réussites précédentes de 2 éditions d’afric’up : le sommet des startups africaines, d’une édition de Job Fair et de 7 éditions du Tunisia Digital Summit.
L’intelligence artificielle sera traitée en profondeur à travers des experts nationaux et internationaux de l’IA. 10 panels & 4 keynotes seront élaborés en partenariat avec TAIS. Des speakers de haut niveau animeront ces panels, tels que Dr Usama Fayyad, the executive director of Northeastern’s Institute for Experiential AI and a professor of the practice in the Khoury College of Computer Sciences, Dr Jamel Gafsi, General Manager, Microsoft Europe, Imed Zitouni, Director Of Engineering, Google, USA, Mohamed Karouia, Founder and Managing Partner of Executive digital partners, France, Nizar Yaiche, PwC Global Digital Leader, Former Finance Minister, Tunisia, etc.
Le programme BighTech inclut des ateliers spécialisés et animés par des compétences féminines en IT, telles que Jawaher Allala, CEO et co-fondatrice de Systnaps, experte en DATA/AI et Digital, France, Alya Yacoubi, VP AI & Data chez ZAION, France, qui présentera un discours principal sur le thème «Humaniser l’IA : Avancées dans la génération émotionnelle pour les modèles linguistiques», etc.

Célébration de l’excellence des femmes tunisiennes
La troisième édition de Women in Data Science Tunisia 2024 (WiDS Tunisia 2024) sera organisée lors de l’événement Bigtech 2024. WiDS Tunisia 2024 mettra en valeur les réalisations et les contributions des femmes tunisiennes dans le domaine des technologies de pointe.
Organisé par Reconnectt en partenariat avec l’organisation mondiale WIDS de l’Université américaine Stanford, cet événement mettra en avant les compétences exceptionnelles des femmes tunisiennes en intelligence artificielle (IA) et en science des données. Quatre ateliers de haut niveau seront animés par des expertes tunisiennes dans les technologies avancées et l’IA. Découvrez le dossier de presse de WiDS.
Reconnectt a réservé dans le cadre du salon Bigtech, un panel intitulé «Déverrouiller et autonomiser les chercheuses tunisiennes en IA» qui explorera les stratégies et les meilleures pratiques pour renforcer les capacités des chercheuses tunisiennes en IA.
Le panel accueillera des intervenantes distinguées telles que Narjès Bellamine Ben Saoud, professeure et directrice de l’École Nationale des Sciences de l’Informatique (ENSI) en Tunisie, Dorra Sellami, professeure titulaire en traitement d’images, vision par ordinateur et reconnaissance de formes à l’École Nationale d’Ingénieurs de Sfax (ENIS), Salma Jamoussi, chercheuse et professeure associée à l’Université de Sfax, à l’Institut Supérieur d’Informatique et de Multimédia, ainsi que Ghada Feki, professeure assistante en sciences informatiques à la Faculté des Sciences de Monastir, Université de Monastir. Le panel sera modéré par Fadoua Ouamani, professeure assistante en sciences informatiques à l’ENSI, Tunisie.
L’édition 2024 de WiDS Tunisia mettra également en lumière les parcours inspirants de deux femmes leaders dans l’industrie technologique. Il s’agit de Hela Atmani, CEO et co-fondatrice de Palm.AI, France, et Amira Romani, vice-présidente Senior de l’Innovation Globale et Technologie chez Siemens Healthineers, Allemagne.
Ces leaders partageront leurs expériences personnelles, offriront des conseils pratiques pour la progression de carrière et discuteront de l’importance de la diversité et de l’inclusion dans la création des technologies de demain.
L’IA représente une opportunité précieuse pour les entreprises africaines confrontées à des défis économiques majeurs. En prévenant les faillites et en optimisant les processus de fusion et acquisition, l’IA peut aider à créer des entreprises plus résilientes et prospères. Pour réaliser ce potentiel, il est essentiel de surmonter les obstacles technologiques et d’adopter une approche proactive envers l’innovation. En fin de compte, l’IA pourrait bien être la clé d’une nouvelle ère de croissance et de stabilité économique en Afrique.

Références bibliographiques :
« L’Intelligence artificielle en Afrique : défis et opportunités », rapport réalisé en mai 2024, par Fahd Azaroual, économiste au Policy Center for the New South (PCNS), Policy Brief – N° 23/24 – mai 2024.

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