Intelligence artificielle et santé : Une révolution en marche

Par Dr Souhir Lahiani

Par Dr Souhir Lahiani

 L’ère de l’Intelligence artificielle (IA) marque une transformation profonde dans de nombreux secteurs, et la santé ne fait pas exception. En effet, l’IA se positionne comme un acteur incontournable dans le domaine médical, touchant à toutes les disciplines et spécialités. Les systèmes d’intelligence artificielle générative (SIAgen), en particulier, suscitent un vif intérêt grâce à leur capacité à produire rapidement des textes souvent pertinents.

Des applications variées
Les applications de l’IA générative dans le domaine de la santé sont multiples et variées. Ces systèmes peuvent être utilisés pour assister les professionnels de la santé dans la rédaction de notes d’information, ce qui peut considérablement alléger leur charge administrative. De plus, l’IA peut contribuer à la rédaction de thèses, facilitant ainsi le travail des chercheurs et des étudiants en médecine. L’intelligence artificielle ne se limite pas au diagnostic médical. Au-delà du diagnostic, l’intelligence artificielle peut aider à concevoir et doser des traitements personnalisés, adaptés aux besoins de chaque patient. De nombreuses études attestent de l’efficacité de l’intelligence artificielle pour diagnostiquer certaines maladies. C’est notamment le cas de certains cancers, dont le cancer de la peau.
En outre, les SIAgen sont capables d’aider à la conception de projets de recherche. Ils peuvent générer des propositions de programmes de recherche, apportant une aide précieuse aux chercheurs en leur fournissant des bases solides sur lesquelles ils peuvent ensuite construire et affiner leurs travaux. Cette capacité à produire des textes rapidement et efficacement permet de gagner un temps précieux, souvent crucial dans le domaine de la recherche médicale.
Les SIAgen fonctionnent à partir d’un auto-apprentissage basé sur un nombre extrêmement élevé d’exemples, ce qui est très différent de l’approche humaine, basée sur l’expérience, la signifiance et la recherche de vérité. Cela leur permet de trouver un mot à partir du précédent et du contexte et de générer des textes avec une grande rapidité mais sans qu’actuellement les sources des textes générés soient connues. Même si association de mots ne signifie pas automatiquement causalité, les résultats impressionnent par la fréquence élevée de réponses pertinentes, au risque de méconnaître les erreurs souvent appelées « hallucinations ». 

Une nouvelle ère pour les essais cliniques
Plusieurs études et recherches récentes essayent de sensibiliser les acteurs du domaine de la santé aux opportunités offertes par l’IA, dont le livre blanc “Données de santé artificielles : analyse et pistes de réflexion”, publié le 6 mai 2024, par l’Université Paris Cité. En effet, les données artificielles en santé ouvrent de nouvelles perspectives en permettant d’accroître la puissance des essais cliniques, d’effectuer davantage de tests dans un environnement sécurisé, contribuant ainsi à la mise au point de thérapies innovantes répondant aux besoins des patients.
Pour le Dr Raphaëlle Parker, principal scientifique en recherche translationnelle chez Janssen Pharmaceutical Companies of Johnson & Johnson, l’utilisation de l’IA dans le domaine de la santé présente des challenges particulièrement complexes inhérents aux types de données sur lesquelles elle s’appuie (données sensibles, sparses, hétérogènes, quantités souvent limitées…). « Cependant, les efforts de recherche de ces dernières années qui s’attellent à répondre à ces défis spécifiques, permettent aujourd’hui d’entrevoir un potentiel vertigineux, entre autres et en particulier, dans le domaine des études cliniques, portant des promesses d’études moins chères mais surtout plus justes, plus inclusives et plus efficaces. Le recours à des données artificielles, nécessite un effort commun et soutenu d’acteurs divers et complémentaires afin d’avancer de la manière la plus efficace possible », selon lui.

L’Importance cruciale d’investir en santé en Tunisie à travers l’exploitation des technologies d’IA
La Tunisie se trouve à un tournant critique de son histoire en matière de santé publique. Alors que le pays forme chaque année entre 800 et 900 jeunes médecins, un nombre alarmant de ces professionnels choisissent de quitter le pays pour des opportunités à l’étranger. Cette migration massive des médecins, qui représente environ deux promotions par an, est une conséquence directe des conditions de travail défavorables, des salaires peu attractifs, et du manque de perspectives de développement de carrière en Tunisie.

Un appel à l’action pour sauver le système de Santé
L’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) a publié en avril 2024, un rapport intitulé “Analyse approfondie de la migration des professionnels de santé tunisiens. Un appel à l’action concertée pour un système de santé viable”. Ce rapport confirme les avertissements répétés des syndicats et autres structures représentant le secteur de la santé, qui appellent depuis des années à un plan de sauvetage efficace pour prévenir l’effondrement du système de santé tunisien.

Selon les données de l’Agence tunisienne de coopération technique (ATCT), la migration des personnels de santé représente en moyenne 72% du total des recrutés à l’étranger entre 2009 et 2022, avec une part particulièrement élevée pour les médecins spécialistes (21%) et seulement 7% pour les médecins généralistes. Jusqu’à avril 2023, cette tendance s’est aggravée, avec les personnels de santé représentant plus de 92% des recrutements satisfaits via l’ATCT. Les destinations privilégiées incluent l’Europe, notamment l’Allemagne (21% de croissance annuelle moyenne), le Canada (20%), l’Afrique (10%) et les pays arabes (7%).
Face à cette crise, il est essentiel que le gouvernement tunisien investisse davantage dans le secteur de la santé, non seulement pour améliorer les conditions de travail des professionnels de santé, mais aussi pour créer un environnement stable et sécurisé propice au développement de carrière. L’une des voies prometteuses pour atteindre cet objectif est l’exploitation des technologies de l’intelligence artificielle (IA).
Les technologies d’IA peuvent révolutionner le secteur de la santé en Tunisie de plusieurs manières. Les outils d’IA peuvent alléger la charge administrative des médecins, leur permettant de se concentrer davantage sur les soins aux patients. Par exemple, les systèmes d’IA peuvent automatiser la rédaction de rapports médicaux et la gestion des dossiers, rendant le travail quotidien des médecins plus efficace et moins stressant.
En intégrant les technologies d’IA, les professionnels de la santé peuvent accéder à des formations continues et à des programmes de recherche innovants. Cela peut favoriser un environnement de travail stimulant et riche en opportunités de développement professionnel. 

Précautions et enjeux éthiques
L’utilisation de l’IA générative doit être encadrée et maîtrisée. Il est essentiel de comprendre les principes de fonctionnement de ces systèmes pour les utiliser à bon escient. Les textes produits par ces IA peuvent contenir des erreurs ou des approximations. Par conséquent, une validation humaine reste indispensable pour garantir l’exactitude et la pertinence des informations générées.
Dans ce sens, l’OMS a publié un rapport sur l’IA « Ethics and governance of artificial intelligence for Health »*, le 28 juin 2021 soulignant que l’IA constitue un grand espoir pour améliorer la prestation des soins et la médecine dans le monde entier mais à condition de placer l’éthique et les droits humains au cœur de sa conception de son déploiement et de son utilisation.
Selon les spécialistes, certains risques sont à craindre, comme celui de surestimer les avantages de l’IA dans le domaine de la santé quand cette technologie vient supplanter les stratégies de base nécessaires pour parvenir à la couverture sanitaire universelle. Les systèmes conçus et entraînés à partir de données des pays à revenus élevés peuvent ne pas fonctionner pour des populations à revenu faible. Plus encore, les intérêts des patients et des communautés peuvent être négligés au profit de puissants intérêts commerciaux des entreprises technologiques ou de ceux des gouvernements (surveillance et contrôle social).
« Les systèmes d’intelligence artificielle générative (SIAgen) impressionnent par leur capacité à produire en quelques secondes des textes souvent pertinents, mais aussi parfois erronés ». Ainsi, « tous ont en commun qu’une validation humaine est indispensable avant leur mise en œuvre », prévient l’Académie nationale française de médecine, dans son rapport réalisé dans la période de mai à octobre 2023.
Les systèmes d’intelligence artificielle générative, ouvrent des perspectives fascinantes pour le domaine de la santé. Les applications sont vastes et prometteuses, mais nécessitent une utilisation prudente et informée. L’Académie française de médecine souligne toutefois que « ces systèmes présentent des risques avérés de leur conception à leur utilisation et à leurs évolutions ». « Ils doivent donc faire l’objet de considérations précises et claires en considérant les modèles de fondation mis sur le marché et les SIAgen comme des systèmes à haut risque dans le cadre de la finalisation du règlement européen sur l’intelligence artificielle (IA Act) ».
En comprenant les principes de fonctionnement de ces systèmes et en restant vigilants quant à leurs limitations, les professionnels de la santé peuvent tirer pleinement parti des avantages offerts par l’IA, contribuant ainsi à une amélioration significative des pratiques médicales et de la qualité des soins. Cette technologie essentiellement pour les pays africains, peut transformer le secteur de la santé en un pilier de stabilité et de développement économique. γ

*Duguet, Anne-Marie. « Place du numérique et de l’intelligence artificielle dans l’activité médicale. Éléments pour une réflexion commune entre médecins et entreprises ». L’entreprise et l’intelligence artificielle – Les réponses du droit, édité par Alexandra Mendoza-Caminade, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2022

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