Intelligence artificielle : Le Nouvel architecte des Prix Nobel 2024

Par Kaïs Mejri*

 Depuis des décennies, les chercheurs se heurtent aux mystères de la matière et de la vie. Aujourd’hui, grâce à l’intelligence artificielle (IA), ces mêmes chercheurs sont capables de percer des secrets autrefois inaccessibles. Les Prix Nobel 2024 en chimie et en physique démontrent à quel point l’IA a bouleversé notre capacité à comprendre et à modéliser des systèmes complexes, de la structure des protéines jusqu’aux comportements des matériaux.

 Le Nobel de Chimie 2024 : l’IA et la Révolution de la biotechnologie
Le Prix Nobel de Chimie 2024 a récompensé David Baker, Demis Hassabis et John Jumper pour leurs travaux dans la prédiction des structures protéiques. Cette avancée repose sur des technologies IA avancées, notamment des réseaux neuronaux et des techniques d’apprentissage profond (deep learning), qui ont permis la création d’AlphaFold. Ce programme, développé par DeepMind, a révolutionné la biologie moléculaire en prédisant la forme tridimensionnelle des protéines à partir de leurs séquences d’acides aminés. Cela a accéléré la recherche dans des domaines cruciaux comme la biotechnologie et la médecine.
Grâce à cette IA, il est possible de prédire la structure de millions de protéines avec une précision sans précédent, facilitant ainsi la conception de nouveaux médicaments et des thérapies personnalisées. AlphaFold a permis de réduire considérablement le temps nécessaire pour identifier les structures des protéines, une tâche qui prenait des années auparavant.

Le Nobel de Physique 2024 : comprendre l’infiniment complexe
Le Prix Nobel de Physique 2024 récompense des avancées similaires en physique, où l’IA a permis des percées majeures dans la modélisation des systèmes complexes. Les lauréats ont utilisé l’intelligence artificielle pour modéliser les comportements des matériaux et des systèmes dynamiques à une échelle atomique. Ces simulations, autrefois laborieuses, voire impossibles, sont maintenant réalisées à une échelle et avec une précision inégalées grâce aux algorithmes d’IA.
Ces innovations offrent de nouvelles perspectives dans des secteurs tels que l’énergie, où la conception de nouveaux matériaux est essentielle pour le développement de technologies durables.

L’IA : moteur de progrès dans tous les secteurs
L’intelligence artificielle ne se limite pas à la chimie et à la physique, elle s’impose dans tous les secteurs. En biotechnologie, notamment, l’utilisation de l’IA pour la prédiction des structures moléculaires a des implications considérables. Par exemple, la startup tunisienne InstaDeep a utilisé l’IA pour prédire la structure des protéines de la Covid-19 en partenariat avec BioNTech, aidant ainsi à mieux comprendre et à anticiper les mutations du virus. Cette approche a permis d’accélérer le développement de vaccins et de traitements, illustrant la capacité de l’IA à transformer la recherche médicale.
Outre la santé, l’IA trouve des applications dans des secteurs tels que la finance, l’énergie ou encore la lutte contre le changement climatique. Des modèles basés sur l’intelligence artificielle sont désormais utilisés pour prédire les évolutions météorologiques ou optimiser les réseaux d’énergie.

L’IA et les défis éthiques et juridiques
Malgré ses prouesses, l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la science pose des défis éthiques. Les chercheurs doivent veiller à l’intégrité des données utilisées dans les algorithmes d’IA, notamment en matière de biais et de vie privée. Par ailleurs, le développement rapide de l’IA soulève des questions concernant son rôle dans les découvertes scientifiques et ses implications sur le plan juridique.
En 2021, des juridictions en Australie et en Afrique du Sud ont reconnu une IA, DABUS, comme inventeur d’un brevet. Cette décision marque un tournant dans la manière dont les inventions produites par des systèmes intelligents sont traitées. Bien qu’étant encore limitée, cette reconnaissance juridique soulève des questions cruciales sur l’attribution de la propriété intellectuelle dans un monde où l’IA contribue de manière croissante à l’innovation.

Un avenir prometteur, mais rempli de défis
L’IA a incontestablement permis d’accélérer la recherche scientifique à un rythme sans précédent, et les Prix Nobel 2024 le prouvent. Toutefois, cette technologie n’est pas sans limitations. L’IA dépend de vastes quantités de données pour fonctionner efficacement, et elle est vulnérable aux problèmes d’overfitting, où les modèles apprennent trop bien les données d’entraînement mais échouent à généraliser les nouvelles données.
Alors que l’intelligence artificielle continue de transformer la science, il est essentiel de maintenir une collaboration étroite entre les chercheurs humains et les algorithmes d’IA. L’expertise humaine reste essentielle pour guider et interpréter les résultats produits par les systèmes intelligents. Dans les décennies à venir, nous pourrions voir l’IA contribuer davantage à des découvertes révolutionnaires, non seulement en chimie et en physique, mais aussi dans des domaines comme la climatologie, l’astronomie et même la philosophie scientifique.

Un futur construit en collaboration avec l’IA
Les distinctions accordées en 2024 soulignent que l’intelligence artificielle est devenue un catalyseur incontournable du progrès scientifique. Bien que ne pouvant pas encore «gagner» un Nobel, l’IA accompagne désormais les plus grandes découvertes. Cependant, l’avenir de l’IA sera aussi façonné par les débats juridiques et éthiques entourant son utilisation. Tandis que l’IA continue de repousser les frontières du savoir, elle soulève des questions cruciales sur son rôle en tant que cocréateur dans notre quête d’innovation.

Les chercheurs et les régulateurs devront collaborer pour maximiser son potentiel, tout en assurant que les progrès réalisés bénéficient à l’ensemble de la société et respectent des normes éthiques rigoureuses.

*PDG de l’Agence foncière industrielle

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