Intelligence artificielle : Pour une gouvernance éthique et responsable

Dans un monde où l’intelligence artificielle (IA) redéfinit les pratiques dans tous les secteurs, les enjeux éthiques, juridiques et stratégiques prennent une importance capitale. La Tunisie, confrontée à l’absence d’une stratégie nationale claire et d’un cadre législatif adapté, doit urgemment repenser ses priorités pour accompagner cette révolution technologique. L’intégration réussie de l’IA repose non seulement sur des innovations techniques mais aussi sur une gouvernance éthique et responsable des données.

Par Dr Souhir Lahiani

 Le panel présenté lors du TPMDAY 24 met en lumière des réflexions stratégiques, éthiques et réglementaires pour guider cette transition. Des experts de renom partagent leurs visions sur les défis et opportunités liés à l’IA, en explorant ses applications pratiques, ses implications sur les projets et les enjeux de conformité et de protection des données. Cette rencontre vise à inspirer des actions concrètes pour positionner l’écosystème tunisien face aux transformations numériques mondiales.
En Tunisie, l’absence d’une stratégie nationale claire et d’un cadre législatif adapté freine le développement de l’IA, rendant indispensable une réflexion collective sur les rôles, responsabilités et défis des acteurs de cet écosystème.
L’objectif principal est de mettre en place un cadre réglementaire et législatif solide pour accompagner la transition numérique, tout en assurant les conditions nécessaires à sa réussite. Cela exige une révision urgente des textes juridiques actuels, souvent dépassés, afin qu’ils reflètent les réalités technologiques et sociétales.
Lors du TPMDAY 24, Hanny Alshazly, Directeur général pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) du Project Management Institute, a ouvert l’événement par une intervention marquante. Ce rendez-vous a souligné l’immense potentiel de l’IA pour renforcer une gestion de projet structurée, en illustrant son rôle déterminant dans la concrétisation des ambitions nationales.
Le premier panel, intitulé « L’IA dans la gestion de projets : utilisation de cas, défis et opportunités », a exploré comment l’IA révolutionne la gestion de projets. Les discussions ont porté sur des cas d’utilisation concrets, les défis à relever et les opportunités d’acquérir de nouvelles compétences tout en redéfinissant le rôle des gestionnaires de projets. Le panel a démontré que l’IA, lorsqu’elle est bien intégrée, peut optimiser les ressources, anticiper les risques et accélérer l’exécution des projets.
Les intervenants, parmi lesquels Afef Belhadj, Ahmed Chabchoub, Hanny Alshazly et Karim Ahres, avec la modération de Naouel Ben Zina, ont enrichi les échanges par leurs perspectives diversifiées. Ensemble, ils ont exploré des applications pratiques et des stratégies innovantes pour tirer parti de l’IA dans la gestion de projets, ouvrant la voie à des transformations significatives.

Enjeux juridiques et éthiques de l’intelligence artificielle
Le second panel, intitulé « Éthique, réglementation, gouvernance des données et protection des données dans l’IA pour la gestion de projets», a exploré des thématiques essentielles à l’ère de l’innovation : les défis éthiques de l’adoption de l’IA, les cadres réglementaires et leur conformité, ainsi que la gouvernance et la protection des données, autant d’éléments cruciaux pour la réussite en gestion de projets.
Parmi les intervenants, des experts reconnus ont apporté des perspectives complémentaires à l’intersection des technologies avancées et de leurs implications éthiques, juridiques et stratégiques. Dr Maledh Marrakchi, docteur ingénieur en informatique, cumule plus de 30 ans d’expérience en tant qu’enseignant-chercheur et expert en Machine Learning. Cofondateur de la Tunisian AI Society, il explore les enjeux de gouvernance et d’éthique liés à l’IA. Dr Chiheb Ghazouani, juriste spécialisé en droit numérique et en propriété intellectuelle, a supervisé des opérations de fusion-acquisition majeures et s’intéresse à l’impact des nouvelles technologies sur les affaires. Kamel Rezgui, enseignant-chercheur et avocat, a joué un rôle central dans la régulation des télécommunications et la protection des données personnelles en Tunisie, notamment à travers son travail sur le projet de code du numérique.
Lors des discussions, une vérité clé a émergé : la transformation numérique et organisationnelle repose sur une gouvernance éthique et responsable des données. Dr Marrakchi a souligné l’importance de trouver un équilibre entre réglementation et innovation, en s’inspirant de l’Union européenne, leader en matière de régulation de l’IA. Pour la Tunisie, il s’agit de s’aligner sur ces standards tout en développant un cadre juridique propre pour maximiser les opportunités de l’écosystème national.
Les intervenants préconisent une législation flexible, soulignant que des régulations trop rigides, comme celles adoptées en Europe, pourraient freiner les entreprises.
Dr Ghazouani a présenté l’exemple du Rwanda, qui a fait de l’innovation un moteur de son développement économique. Sa politique nationale sur l’IA et ses avancées en matière d’éthique et de droits de l’homme illustrent une gouvernance axée sur le progrès social. En collaboration avec Singapour, le Rwanda a lancé en 2024 le « AI Playbook for Small States », un guide sur les bonnes pratiques pour intégrer l’IA dans des contextes spécifiques.
Kamel Rezgui a élargi la discussion en abordant les opportunités et risques de l’IA : optimisation des processus métiers, innovations dans la santé et les transports, mais aussi menaces liées à la cybercriminalité, à la surveillance massive et à l’exploitation abusive des données personnelles. Il a plaidé pour une régulation qui encourage l’innovation tout en protégeant les droits fondamentaux. Cependant, l’IA présente également des risques. Elle peut être détournée par des acteurs malveillants, exposant à des cyberattaques, à une surveillance généralisée ou à l’utilisation d’armes autonomes. Les défis éthiques sont nombreux, notamment l’opacité des algorithmes, le manque de sens commun des machines et les discriminations dans l’accès aux services. L’exploitation abusive des données personnelles, comme l’illustre l’affaire Cambridge Analytica, soulève de graves inquiétudes quant à la protection de la vie privée. Sur le plan social, l’IA risque d’accentuer la fracture numérique et de rendre l’humanité excessivement dépendante des machines.
Face à ces enjeux, une régulation adaptée est indispensable pour maximiser les bénéfices découlant de l’IA tout en limitant ses risques. Trois approches principales émergent. Les États-Unis privilégient une réglementation flexible favorisant l’innovation. L’Union européenne adopte une stratégie axée sur la protection des droits et des libertés. La Chine, de son côté, pilote le développement de l’IA à travers une forte intervention étatique.
Enfin, Achref Ghorbel, membre actif de la Fédération mondiale des organisations d’ingénieurs (WFEO), a insisté sur l’importance de structures centralisées comme les PMO (Project Management Offices) pour exploiter pleinement les outils et opportunités offerts par l’IA. Il a appelé à un investissement massif dans la formation et la certification pour bâtir des institutions solides et alignées sur les Objectifs de développement durable (ODD).
Ce panel a mis en évidence le principe selon lequel seule une collaboration étroite entre expertise technique, juridique et stratégique permettra de construire un avenir où l’IA profitera pleinement à la société dans le respect des valeurs éthiques.
En conclusion, l’IA doit être conçue et utilisée de manière responsable, transparente et en cohérence avec les valeurs sociétales, tout en stimulant l’innovation. Comme l’a souligné Dr Rezgui à la fin de son intervention : «La technologie évolue plus vite que les gouvernements, il est donc crucial de bien comprendre ses conséquences avant de légiférer». (citation d’Eric Schmidt, ancien PDG de Google). Ce constat appelle à un équilibre entre innovation et régulation pour bâtir un avenir où l’IA profitera à l’ensemble de l’humanité.
Pour réussir, la transformation numérique et organisationnelle doit s’appuyer sur une gouvernance éthique et responsable des données.

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