Plus le temps passe, plus nos interrogations ne trouvent pas de réponses, plus on ne sait comment sortir de nos frustrations et plus on s’aperçoit que la Tunisie est prise dans un tourbillon de contradictions, d’immobilisme et de surenchères qui la tirent vers l’arrière, grippant son processus de transition et annihilant toutes ses tentatives d’impulser un développement soutenu et inclusif.
Ce qui interloque, d’une semaine à l’autre, c’est l’impuissance manifeste qui gagne la sphère politique qui, face à l’amplification des difficultés économiques, financières et sociales, semble s’accommoder de la politique de l’autruche. Un tel constat trouve sa manifestation dans l’insensibilité de ceux qui nous dirigent à tout ce qui se passe et leur incapacité à transcender les défis par l’anticipation et un engagement clair à même de restaurer la confiance et l’espoir chez les Tunisiens.
Deux événements ont suscité chez l’opinion publique des réactions différenciées sans réussir à faire sortir les pouvoirs publics de leur torpeur. Plus que jamais affaiblies et en mal de soutien, les autorités ont préféré accuser le coup, que réagir, prendre l’initiative de communiquer autrement afin de rectifier le tir, remettre les pendules à l’heure ou dans le deuxième cas, mettre un terme à une dérive syndicale qui rien ne semble pouvoir arrêter.
Il en est ainsi des déclarations du chef de la mission du Fonds monétaire international en Tunisie, Bjorn Rother, qui ont, tout à la fois, surpris, suscité appréhensions et un brin de scepticisme. Au moment où le taux de change du Dinar ne cesse d’observer une dégringolade sévère affectant sérieusement nos échanges, notre endettement, et alimentant une spirale inflationniste sans précédent, quelle recette nous propose le chef de la mission du FMI ? Déprécier davantage le Dinar de 10% à 20% pour améliorer la compétitivité de l’économie ! Pour se faire amende honorable, Bjorn Rother a voulu crever l’abcès en niant que le FMI est derrière les réformes douloureuses que le gouvernement Chahed essaie de mettre en œuvre, s’agissant notamment du système de compensation ou de la privatisation des entreprises publiques. En taclant le gouvernement sur ces dossiers sensibles, l’institution de Breton Woods lâche ainsi le gouvernement d’Union nationale, coupable à ses yeux de ne pouvoir faire bouger les choses et de ne pas assurer une meilleure gouvernance des affaires du pays. Même si l’on comprend la volte-face du FMI sur ce dossier, objet d’une grande controverse et que l’UGTT considère comme une ligne rouge, l’on n’arrive pas à saisir la portée du silence assourdissant observé par le gouvernement, notamment des autorités monétaires, sur la dépréciation du Dinar. Alors que la confiance des opérateurs économiques est entamée et que leurs craintes se sont accrues, aucune réaction officielle n’a été enregistrée au sujet de la recette proposée par le FMI, ni sur ses impacts éventuels. La dépréciation de la monnaie nationale sera-t-elle un remède miracle pour combattre l’inflation, comprimer un déficit commercial abyssal, réduire l’endettement extérieur du pays ou impulser l’investissement ? Ni le ministre des Finances ni le Gouverneur de la BCT n’ont daigné répondre ou, à tout le moins, apporter une précision, ne serait-ce que pour calmer le marché et éviter que la déclaration ne produise son effet néfaste sur la valeur du Dinar.
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Sur un autre plan, la grève de deux jours des agents de la STAM a été perçue au niveau officiel comme un événement ordinaire. Hormis l’indignation des organisations patronales, des chambres de commerce ou des médias, cette grève sauvage, qui a paralysé le poumon de l’économie tunisienne, n’a suscité que des réactions timides de la part des autorités publiques qui ont préféré, une fois encore, accuser le coup que mettre à l’index l’irresponsabilité des agents qui ont cherché à s’approprier un processus décisionnel qui ne leur appartient pas. Au moment où le port de Radès est devenu, en raison des défaillances au niveau de sa gestion et de ses performances, un cas d’école en matière de baisse de productivité et d’érosion de compétitivité ( la Tunisie est classée 110e en matière d’indice de performance logistique) et une source constante de préoccupation pour les opérateurs économiques, les agents de la STAM ont franchi le Rubicon en cherchant à se prévaloir en tant qu’autorité effective de ce port.
Pour avoir la mesure de l’anarchie qui règne dans cette zone logistique, dont la congestion pèse 1,6% du PIB, imperméable à toute modernisation et à toute forme d’organisation rationnelle, les agents de la STAM ont imputé leur mouvement au refus de l’administration de leur proposition portant révision vers la hausse des tarifs portuaires. Outre l’inversion des rôles, c’est le sentiment d’impunité qui a été le leitmotiv ayant encouragé des agents d’exécution à faire cette fuite en avant et à causer des dégâts collatéraux à un pan entier de l’économie tunisienne.
Dans le cas d’espèce, et le ministre du transport et le premier responsable de la STAM ont préféré caresser les agents de la STAM dans le sens du poil. Ne pouvant rien faire face à la toute-puissance de syndicats qui enfreignent toutes les règlementations, ils se sont complu dans des discours vagues qui consacrent leur impuissance et leur incapacité à assumer entièrement leurs responsabilités.