Interview croisée avec Pierrette Ben Dhia et l’avocat d’Abdelaziz Ben Dhia, Ali El Khaldi

« Mon mari est malade, il est temps de le libérer »

Inculpé dans l’affaire de financement du RCD depuis février 2011, Abdelaziz Ben Dhia, ancien ministre-conseiller de Ben Ali est incarcéré depuis 28 mois dans la prison de Mornaguia, en détention provisoire, alors que d’autres détenus dans la même affaire ont été libérés provisoirement. Son épouse, Pierrette Ben Dhia et son avocat, Maître Ali El Khaldi, tirent la sonnette d’alarme sur son état de santé et sur les abus concernant le traitement de son affaire. Ils nous informent, par ailleurs, que Ben Dhia assume sa responsabilité politique pour avoir fait partie du régime Ben Ali. 

 

 

Tout d’abord, actuellement, dans quel état se trouve votre mari Abdelaziz Ben Dhia ?

Il est diabétique et cardiaque. Son incarcération  a compliqué son état de santé, même s’il continue à prendre ses médicaments et à suivre un régime alimentaire strict. Mais il ne bénéficie pas d’un suivi médical approprié.

 

Arrivez-vous à le voir régulièrement ?

Mme Ben Dhia : Je le vois une fois par semaine pendant 20 minutes derrière une vitre, dans le couloir. Parfois son avocat, Me Ali El Khaldi réussit à avoir une entrevue, avec lui, en général quand  mes enfants viennent de France.

 

Et qu’en est-il de ses conditions de détention ?

Mme Ben Dhia : Il ne s’en plaint pas. La chambre dans laquelle il se trouve avec d’autres détenus est propre. En ce qui concerne la nourriture de la prison, il ne la consomme pas puisqu’il suit un régime alimentaire spécifique. Quant au traitement que lui réservent les policiers, il dit qu’ils sont corrects et respectueux.

 

Ben Dhia est en détention provisoire depuis 28 mois. Qu’en est-il de l’affaire du financement du RCD dans laquelle il se trouve inculpé ? 

Me. Ali El Khaldi : Il a été incarcéré le 12 mars 2011, dans le cadre de l’affaire du RCD. Ben Dhia devait être libéré provisoirement avec Abdallah Kallel (ancien président de la Chambre des conseillers) et Mohamed Ghariani (Secrétaire général du parti du RCD) vers le 10 juillet. Mais une semaine auparavant un nouveau mandat de dépôt a été émis contre mon client dans une affaire de malversation relative à l’hôtel Boufares à Sidi Bousaïd. C’est une affaire qui dure depuis plus de deux ans et dans laquelle, il a été auditionné une seule fois en mars 2011, juste après son incarcération. À voir son dossier il n’y a aucune preuve. Il est inculpé selon l’article 96 du Code pénal qui stipule «qu’est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende, tout fonctionnaire public ou assimilé, qui use de sa qualité et de ce fait, se procure à lui-même ou procure à un tiers, un avantage injustifié.»

 

Le juge a-t-il ordonné de vérifier ses comptes bancaires ?

Me. Khaldi : Oui et il n’a rien trouvé. Même la Commission de confiscation des biens a arrêté le gel de ses biens. 

 

A-t-il été acquitté dans l’affaire du financement du RCD ?

Me. Khaldi : L’affaire est toujours en cours, sauf qu’il y a eu la libération provisoire de personnes impliquées dans cette affaire, comme Ghariani et Kallel qui ont été relâchés, car les délais de détention provisoire de 14 mois maximum sont arrivés à terme. Ce n’était pas le cas pour Ben Dhia.

 

Comment expliquez-vous ce traitement particulier  qui lui a été réservé ? Et avez-vous toujours confiance en la justice tunisienne ?

Mme Ben Dhia : Oui, malgré tout.  Mais je me demande s’il n’y a pas eu acharnement contre mon mari. Je ne saurais pas dire qui est derrière et pourquoi ?

 

Y a-t-il eu des négociations informelles, avec  le parti au pouvoir ou d’autres parties, pour le libérer ?

Mme Ben Dhia : Non.

Me. Khaldi : Cette affaire a été, au début, traitée politiquement, uniquement pour mettre les trois personnes clés du régime Ben Ali : Abdelaziz Ben Dhia, Abdallah Kallel et Abdelwaheb Abdallah en prison. Le pouvoir en place, à cette époque (février 2011) voulait la peau de ces trois personnes.

Mais par la suite, il y a eu une succession de plusieurs gouvernements et l’affaire aurait pu être traitée autrement !

Me. Khaldi  Oui, mais le processus judiciaire avait été déclenché et il n’était plus possible de revenir en arrière. Par contre, on avait essayé de ménager ces personnalités politiques au niveau de la détention. Reste qu’il existe beaucoup de flou dans le traitement par la justice des affaires dans lesquelles sont inculpés mon client et d’autres hauts responsables du régime Ben Ali. Sinon comment pouvez-expliquer que dans l’affaire du RCD les acteurs principaux, à savoir les présidents du parti et les vice-présidents restent en liberté, alors que les Secrétaires généraux comme Ben Dhia, Kallel et Ghariani sont inculpés et emprisonnés ?

 

Abdelaziz Ben Dhia, a-t-il un problème particulier avec Ennahdha ?

Me. Khaldi  Au contraire. Lorsque les leaders d’Ennahdha, dont Rached Ghannouchi, étaient sur le point d’être condamnés à mort en 1985,  trois personnes sont intervenues afin de faire pression sur la Cour de Sûreté de l’État pour que des peines capitales ne soient pas prononcées à leur encontre. Il s’agit de Béchir Sfar, Ben Ali et Ben Dhia (qui était Secrétaire général du PSD) à cette époque.

 

Avez-vous essayé de faire valoir cet argument auprès de ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui?

Mme Ben Dhia : Je me suis assurée que Ghannouchi se rappelait de cet épisode. Mais je ne peux pas aller jusqu’à le faire valoir auprès de lui. Je ne voudrais pas que mon mari sorte de prison parce qu’il a eu recours à un «piston», mais parce qu’on n’a rien trouvé contre lui. Je voudrais qu’il sorte la tête haute.

 

Ben Dhia a-t-il regretté d’avoir fait partie du régime de Ben Ali ?

Me. Khaldi : Si Abdelaziz Ben Dhia garde bon moral, c’est parce qu’il défie quiconque dirait qu’il a collaboré avec les Trabelsi ces dix dernières années. D’ailleurs, il n’est impliqué dans aucune affaire de malversation avec eux, ni avec d’autres.

Oui, mais il assume quand même une responsabilité politique ?

Me. Khaldi : Les tribunaux de l’ordre judicaire n’interviennent pas pour punir la responsabilité politique.

 

Mais reconnaîtrait-il sa responsabilité ?

Mme Ben Dhia : Bien sûr qu’il reconnait avoir eu une responsabilité politique. Mais c’est aussi quelqu’un, qui a fait son devoir. Il a servi la Tunisie. Qu’il ait travaillé dans un système où il y a eu des déraillements, cela est une réalité. Mais quel régime politique au monde qui est parfait aujourd’hui ?

 

Quand on fait de la politique, on assume…

Mme Ben Dhia : Justement, mon mari est depuis plus deux ans en prison. Je pense que cela est suffisant ! Il faut le faire sortir, sinon il va mourir là-bas. C’est ce que souhaiterait  le peuple tunisien ?

 

Estimez-vous donc qu’il devrait être jugé selon la justice transitionnelle ?

Mme Ben Dhia : Je le voudrais bien, mais mon mari a 78 ans et je ne pense pas qu’il pourrait attendre dans ces conditions jusqu’à la mise en place de ce dispositif en Tunisie. Je crois que Ben Dhia a servi de bouc émissaire. Il faut qu’il sorte, sinon il crèvera en prison et cela ne servira jamais l‘image du pays.

 

Beaucoup de grands responsables politiques du régime Ben Ali ont été incarcérés du temps de Béji Caid Essebssi et lui en veulent toujours, même après leur libération. Est-ce que Ben Dhia en fait partie ?

Me. Khaldi : Il n’y a pas de preuves que Béji ait été derrière son incarcération. Moi-même je lui ai posé la question un jour et il m’a répondu que ce sont des suppositions, et que tant qu’il n’ y avait pas de preuves tangibles, il ne pourra pas se prononcer sur le sujet.

 

Quel regard porte Ben Dhia sur ce qui se passe aujourd’hui dans le pays ? Et compte-t-il refaire sa vie de politicien lorsqu’il sortira de sa prison ?

Mme Ben Dhia : Il se garde d’émettre un avis sur ce qui se passe. Il a décidé de ne plus reprendre la politique. En plus, il est malade et usé et il a beaucoup maigri.

Propos recueillis par H.Z.

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