La liberté d’expression en débat !

L’interview d’Abou Iyadh qui devait être diffusée sur Mosaïque FM le 4 février a été interdite de diffusion par décision judiciaire. L’affaire en cours suscite à nouveau le débat sur la liberté d’expression.

Lundi 4 février, alors que des millions d’auditeurs de Mosaïque FM attendaient avec impatience l’interview de Seif Allah Ben Hassine (connu sous le nom d’Abou Iyadh) réalisée par le journaliste, Nasreddine Ben Hadid, Nawfel Ouertani, l’animateur phare de l’émission «Midi Show», a annoncé à l’antenne la décision judiciaire de l’interdiction de diffusion. Motif : «Seif Allah Ben Hassine  est poursuivi en justice pour assassinat prémédité, pour complot contre la sureté de l’État à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières, pour attaques contre des personnes et des biens, pour appartenance à une organisation terroriste et usage du territoire national pour des actes terroristes contre un pays tiers (…). L’interview peut influencer le cours de l’instruction, comme elle peut contenir des fuites et des messages codés de nature à entraver les poursuites des autres parties du complot et perturber l’ordre public.»

La direction de la radio a appris l’interdiction grâce à un fax qui lui est parvenu une heure avant la diffusion. Du coup, tout le contenu de l’émission a été orienté pour dénoncer cette décision, jugée comme étant une atteinte à la liberté d’expression rappelant l’époque de Ben Ali. Plusieurs arguments ont été employés par l’animateur et ses invités, dont la présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) et celle des Syndicats des entreprises médiatiques (SEM), à savoir que l’interdiction devait se produire après la diffusion de l’interview et non en amont afin d’être sûr de l’appréciation juste du juge, de ce qu’il avait qualifié comme une «atteinte à l’ordre public». On a rappelé, par ailleurs, le fait que cet argument ambigu est toujours d’usage pour faire taire la parole libre. On s’est même étonné qu’il existe encore dans le nouveau Code de la presse (décret-loi 115), malgré le fait qu’il avait causé bien des dégâts à la presse du temps de la dictature.

De son côté, Nasreddine Ben Hadid a jugé qu’il avait fait son travail de journaliste et qu’il ne trouve aucune justification à la décision de l’interdiction, surtout que désormais il peut lui-même encourir jusqu’à 4 ans de prison s’il refuse de fournir des informations sur sa source.

D’autres voix ont attiré l’attention sur l’absence d’une instance de régulation de l’audiovisuel qui aurait pu intervenir dans de tels cas d’interdiction de diffusion, en lieu et place de la justice. Mais étant donné que le décret 116  qui stipule la création de la HAICA (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle) n’a pas encore été mis en application, on peut s’attendre à tous les débordements causés par le vide juridique.

L’affaire de l’interview d’Abou Iyadh n’est pas la première du genre. Un précédent a eu lieu avec l’interdiction de l’interview de Slim Chiboub sur Attounissiya TV et qui avait causé une grande polémique avant d’être finalement autorisée de diffusion.

À qui profite cette affaire ?

Reste à savoir maintenant quelle est la nécessité d’une telle polémique et si la liberté d’expression n’a pas réellement de limites.

Car si l’on analyse bien la situation, on ne comprend pas vraiment l’utilité de donner une tribune publique à un terroriste, ancien collaborateur d’Al-Qaida, qui ne nie pas ses liens actuels avec elle et qui est, de surcroit, recherché par la justice nationale et internationale. Pourquoi lui offrir la possibilité de passer sur les ondes d’une radio, la plus populaire du pays (selon les derniers chiffres de Sigma Conseil) et à une heure de grande écoute ? Pour lui offrir cette chance de se défendre, alors que tout le monde sait à quel point il est impliqué dans ce qui se passe en Tunisie, comme dans certains actes terroristes et dans l’envoi de notre jeunesse pour combattre en Syrie ? Qu’allait-il nous dire de plus ? Pourquoi lui permettre de semer le doute et la confusion dans cette société qui est déjà tourmentée par tant de violences et d’inquiétudes ?

Donner la parole à Abou Iyadh est équivalent à offrir  la possibilité à Abdelmalek Droukdal, le chef actuel de l’AQMI, de justifier ses actes.

La réalité est qu’il y a trois bénéficiaires dans toute cette affaire : lui-même, qui a réussi, sans grand effort, à bénéficier d’une tribune pour dire ce qu’il veut (de plus le matériel d’enregistrement est le sien, et l’on se demande si les questions n’étaient pas déjà préparées et choisies par lui) ; le journaliste, qui pense réaliser un scoop (mais à quel prix ?) ; et finalement la radio, qui espère battre des records d’audience.

Mais le pauvre citoyen qui s’y intéresse ? Lui, qui n’a rien demandé d’autre qu’être en paix. On suscite chez lui un besoin qu’il n’a pas, pour ensuite le laisser plus perplexe que jamais.

Faire du sensationnel et mettre cela sur le compte de la liberté d’expression est aussi une aberration qui mériterait d’être dénoncée.  Le principe de la liberté d’expression en absolu n’existe dans aucun pays du monde. Chaque nation définit les lignes rouges à ne pas dépasser, lesquelles peuvent nuire à sa stabilité. On ne donne pas la parole, par exemple, à ceux qui incitent à la violence et à la liquidation des citoyens d’un même pays.

Il est nécessaire d’ouvrir un dialogue national et de définir une plateforme de valeurs communes à respecter. Faute de quoi la porte sera ouverte à toutes les interprétations. L’existence d’un Code de déontologie et d’instances régulatrices du secteur médiatique est plus qu’urgente.

Hanène Zbiss

 

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