Interview exclusive de M. Dan Petre, Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères de Roumanie “La Révolution est un privilège et une dette”

Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères de Roumanie, M. Dan Petre est venu en Tunisie à la tête d’une délégation pour avoir des entretiens avec plusieurs responsables tunisiens.

Compte tenu de l’expérience roumaine en matière de transition démocratique, nous avons tenu à recueillir ses impressions et ses réflexions suite à cette visite.

 

Vous êtes venu en Tunisie pour une visite de travail de trois jours : quels sont les objectifs ?

La Tunisie est un partenaire historique de la Roumanie, chaque pays joue le rôle de pont dans sa région : la Tunisie a une position centrale au cœur du Maghreb et la Roumanie est un pont entre l’Europe occidentale et orientale.

C’est pourquoi La Roumanie doit donner “un coup de main à la Tunisie”, si besoin est, dans sa transition démocratique. Il ne s’agit pas du tout de donner des leçons, loin de nous cette idée. Plusieurs pays de la rive Sud de la Méditerranée passent par un processus de démocratisation, or la Roumanie a vécu les mêmes débats, il y a quelques années, que ceux pratiqués par la Tunisie aujourd’hui.

J’ai rencontré au cours de mon séjour M. Mustapha Ben Jaafar, président de l’Assemblée Nationale Constituante et j’ai eu des entretiens avec le Ministre de la Justice, le Ministre du Commerce ainsi que mon homologue le Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes. J’ai eu aussi un entretien avec le président de la Ligue de Tunisienne de Défense des Droits de l’Homme et ai ressenti chez tous mes interlocuteurs une ferme volonté de construction d’un système démocratique.

Je suis venu proposer des programmes sur l’organisation des élections, la réforme de la Magistrature, ainsi qu’un séminaire sur les défis de la reconstruction.

Il s’agit d’éviter les erreurs commises par la Roumanie pendant sa transition.

Notre objectif c’est d’avoir un dialogue politique, un échange d’informations et une dynamique renouvelée des relations bilatérales. Nous voulons trouver des solutions à la coopération économique : bâtir un cadre juridique et ouvrir la voie aux opérateurs économiques du secteur privé pour agir dans l’intérêt du développement des deux pays.

 

Quelles sont vos impressions sur la situation socio-politique actuelle de notre pays ?

Il y a certes une énormité de la tâche, les revendications sociales, politiques et professionnelles sont nombreuses et variées : on veut tout et tout de suite.

Il y a beaucoup de priorités et la Tunisie se trouve face à des choix difficiles. La Roumanie a dû relever les mêmes défis : il y a la constitution à élaborer avec définition des institutions, révision des lois et réorganisation de la justice après des années de dictature et en même temps reconstruire l’économie et développer les régions marginalisées.

“La précarité ne fait pas le citoyen” d’où la nécessité d’attirer les investisseurs et de promouvoir l’emploi.

Même si “ça fait un peu désordre” il faut préserver le droit des citoyens de protester et de manifester sur la place publique.

Il faut se donner du temps, être résolu, garder le souffle et l’énergie pour mener à bien la transition démocratique qui a «besoin de phares et de balises».

Les politiques, les citoyens et les journalistes ont une dette envers ceux qui ont risqué leur vie pour faire la révolution.

En Tunisie «je me suis trouvé comme à la maison». Je pense que la Tunisie est sur le bon chemin et qu’elle doit s’y tenir. Les revendications sociales sont un phénomène normal qui découle de l’apprentissage de la démocratie et de l’exercice des droits. C’est pourquoi il faut créer des institutions de dialogue social qui négocient les accords entre le gouvernement, le patronat et les syndicats. C’est un dialogue constructif nécessaire pour assurer la paix sociale.

La relance de l’économie prend du temps et il n’y a pas de baguette magique pour tout avoir en même temps. Asseoir la démocratie prend du temps.

 

Quelles sont les perspectives pour la coopération entre les deux pays ?

On peut faire beaucoup de choses ensemble, le potentiel existe, nous pouvons et devons le développer. Il faut dire d’abord que les échanges commerciaux s’élèvent à presque 200 millions de dollars par an et qu’elles ont augmenté de 30% après la Révolution.

Nous devons inciter les hommes d’affaires à se rendre visite, à se connaître et à construire des projets ensemble.

Nous sommes en contact avec les chambres de commerce et les associations de chefs d’entreprise dans ce sens pour bâtir des relations commerciales et des accords d’investissement.

Nous avons une importante communauté d’étudiants tunisiens en Roumanie car nous avons développé l’enseignement dans les langues étrangères traditionnelles, notamment le français.

Nos institutions universitaires : Institut polytechnique, Académie commerciale, Business-School, Institut diplomatique… ont un savoir-faire reconnu.

Des archéologues roumains ont participé déjà en 1974 aux fouilles de Carthage dans le cadre de l’Unesco.

Il y a lieu de diversifier le volet culturel car le potentiel est vaste.

 

Que fait la Roumanie pour la promotion du partenariat entre l’Union Européenne et la Tunisie ?

L’Union Européenne doit être ouverte à ses partenaires du Sud et la Tunisie a droit à des relations permanentes, soutenues et privilégiées avec l’Union Européenne. A ce propos, la Roumanie est l’avocat de la Tunisie pour l’obtention du statut de partenaire avancé. Il appartient à la Tunisie de “pousser dans ce sens”, de négocier avec les instances européennes pour obtenir le maximum d’avantages dans le cadre de ce nouveau statut.

 

Comment favoriser l’intégration de l’économie tunisienne dans l’UE ?

L’Union Européenne est le principal bailleur de fonds de la Tunisie avec des contributions pour le budget de l’Etat et une aide financière pour les infrastructures.

Il y a lieu d’œuvrer dans le sens d’une complémentarité économique croissante entre l’UE et la Tunisie avec les investissements des entreprises privées.

Il y a un acquis communautaire, celui de la législation européenne qui doit être adaptée et adoptée par les pays du Sud, pour une compatibilité accrue des standards de qualité afin de favoriser les exportations des pays du Sud vers l’Europe. Il y a là une dynamique de travail à soutenir pendant quinze ans.

La coopération parlementaire doit également connaître une progression et plusieurs autres chantiers doivent être également engagés.

Pour la relance de son économie, la Tunisie dispose de plusieurs potentialités à faire fructifier. Commercialiser son importante capacité touristique et hôtelière, adossée à un patrimoine historique, riche comme le prouve le musée du Bardo avec sa merveilleuse collection de Mosaïques.

Investir fortement dans la filière agricole pour avoir des produits à haute valeur ajoutée. Les services comportent de grandes possibilités de croissance : commerce, banques. Le commerce est dans l’ADN du Tunisien depuis 3000 ans, c’est pourquoi travailler avec ses voisins Maghrébins constitue pour la Tunisie une source de prospérité.

La Tunisie est un pays à dimensions gérables sur le plan territorial. La Roumanie a multiplié par trois son PIB en dix ans dans les années 90, cette performance est tout à fait à la portée de la Tunisie aussi.

 

Que pensez-vous de l’Union pour la Méditerranée car le processus est actuellement en panne ?

Je crois fermement en ce projet.

Actuellement, le partenariat Euro-méditerranéen a besoin d’un cadre de coopération structuré. La Méditerranée est le berceau d’une civilisation qui date de 5000 ans et a besoin d’un cadre organisé pour promouvoir le développement de la rive Sud.

Il y a lieu de transmettre aux pays du Nord de l’Europe la volonté politique de promouvoir le développement des pays de la Méditerranée.

Il serait opportun qu’il y ait une réunion au Sommet des pays du Maghreb pour donner un signal fort et relancer le projet de l’Union pour la Méditerranée.

On voit l’Union du Maghreb Arabe comme la voix privilégiée des pays du Sud pour négocier avec l’Union Européenne.

Concrètement, il y a plusieurs projets communs à réaliser. D’abord la dépollution de la Méditerranée qui est une urgence, ensuite la promotion du partenariat économique renforcé, le plan solaire méditerranéen. Enfin la mise en place d’un partenariat culturel et humain avec le développement des échanges culturels et interhumains – jeunesse, étudiants, tourisme.

 

Y a-t-il une solution pour la crise de la dette souveraine en Europe car elle a impact sur l’économie de notre pays ?

Je suis persuadé que l’UE peut et doit résister à la crise de la dette souveraine.

D’ailleurs le Pacte budgétaire a été adopté dans ce but, ses principales dispositions étant les suivantes :

Les Etats doivent limiter à 3% leur déficit budgétaire tandis que le déficit structurel doit être maintenu à un niveau inférieur à 1% du PIB. La dette publique ne doit pas dépasser 60% du PIB.

Il y a certes une politique d’austérité qui doit aller de pair avec le besoin de croissance mais effectivement elle a un impact sur les pays partenaires.

Il faudrait repenser et inventer une nouvelle compétitivité économique de l’Europe qui ne soit pas faite aux dépens du Social.

L’Europe doit se réindustrialiser, faire revivre d’anciennes habitudes, promouvoir un nouveau modèle de consommation, encourager l’artisanat. Plusieurs chantiers sont à mener de front au niveau social, politique et économique.

La dynamique européenne doit se réinventer en permanence.

Nous devons aller vers les Etats Unis de l’Europe car il y a un besoin d’un nouveau projet de “plus d’Europe” : Il faut construire le citoyen européen.

 

On voit l’Union du Maghreb Arabe comme la voix privilégiée des pays du Sud pour négocier avec l’Union Européenne.

 

Un CV prestigieux

M. Dan Petre diplômé d’études approfondies en “Histoire et civilisations” de l’Ecole des Hautes études en Sciences Sociales/Paris. Après avoir obtenu une licence en Histoire et Philosophie à l’université de Bucarest, M. Petre entame une carrière d’enseignant-chercheur à l’université de Bucarest et occupe plusieurs postes notamment à la Faculté des Sciences politiques.

De 1996 à 2000 il devient conseiller d’Etat, chef du département de politique étrangère de la Présidence roumaine.

De 2002 à 2007 il devient directeur exécutif du centre d’Etudes internationales et stratégiques à la Faculté des Sciences économiques/Bucarest.

En 2010 il est nommé Directeur exécutif de l’Institut pour la coopération régionale et la prévention des conflits.

En 2012 il est nommé secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères.

 

Entretien conduit par Ridha Lahmar

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