J-2 avant la tenue du second tour des élections législatives françaises prévu ce dimanche 19 juin 2022, le compte à rebours progresse et on continue de se poser des questions quant à la coalition qui remportera les élections sachant que la majorité des duels du second tour opposent les candidats du parti centriste Ensemble et ceux de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) soit dans 276 circonscriptions sur un total de 577 circonscriptions. Et la 9e circonscription des Français de l’Étranger qui couvre le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest (hors Bénin, Ghana, Nigeria et Togo) n’échappe pas à la règle. Arrivé en tête au premier tour avec 40 % des suffrages, le candidat de la NUPES sur cette 9e circonscription, le franco-tunisien Karim Ben Cheikh, revient dans cette interview accordée à Réalités Online sur les grands axes de son programme, ses priorités ainsi que sur ses chances de remporter le second tour face à la candidate de la majorité présidentielle Élisabeth Moreno, classée deuxième avec 28 % des voix au premier tour. INTERVIEW.
Si vous aviez à vous présenter à nos lecteurs, que diriez-vous ?
Je suis Karim Ben Cheikh, né en Tunisie d’une mère française et d’un père tunisien. J’ai grandi dans ce pays, j’y ai fait mes études, d’abord à l’école tunisienne, puis au lycée français de la Marsa où j’étais interne. Je suis un produit de la République française. Ce sont les bourses sociales du gouvernement français qui m’ont permis de faire mes études secondaires, puis supérieures en France. C’est un concours de la République qui m’a permis ensuite de devenir diplomate et de servir l’État Français pendant 16 ans, dont les 4 dernières comme Consul Général au service des Français établis au Liban.
Diplomate de carrière pendant seize ans, qu’est ce qui vous a motivé pour candidater à la députation sur la 9e circonscription aux couleurs de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) ?
Vous savez, cette question on me la pose souvent. Pourquoi mettre entre parenthèses une carrière prometteuse de haut fonctionnaire pour candidater au poste de Député. En fait, cela m’est apparu comme une suite logique. Quand vous êtes vous-même un Français de l’étranger, quand vous avez passé 4 ans à servir les français établis hors de France et à vous battre pour eux, quand vous avez passé 4 ans à constater la réduction des moyens alloués aux Français de l’étranger, quand vous avez passé 4 ans à constater la déliquescence du service public qui leur est dédié, quand vous constatez sur le terrain les limites de votre action en tant que consul général et que vous savez que les clés sont à l’Assemblée Nationale, la conclusion est une évidence. Le choix de la 9e circonscription, en est une autre, c’est celle où je suis né et où j’ai passé la moitié de ma vie.
Vous vous êtes qualifié au second tour avec un score très rassurant, qu’est ce qui a joué en faveur de cela ? Et quelles sont les chances de Karim Ben Cheikh au second tour face à une candidate de la majorité présidentielle qui n’a débuté que très tardivement sa campagne du 1er tour et qui essaye aujourd’hui de se rattraper sur le terrain ?
40% des électeurs m’ont fait confiance et je les en remercie. Cela fait huit mois que je suis sur le terrain. Je suis allé à la rencontre des Français dans près de 23 villes de la circonscription. Je leur ai présenté les axes de mon programme, je les ai écoutés, nous avons eu des dizaines et des dizaines de débats, partout. Nous avons aussi rassemblé, avec les militants, les élus locaux, les associations qui souhaitaient l’union de la gauche et des écologistes autour de ce programme. Nous avons fait l’union ici dans la neuvième dès les premiers mois de 2022. Donc, c’est le résultat d’un long travail de terrain porté par les militants, par des bénévoles, par des Français de l’étranger, comme moi.
Ce travail de terrain, ainsi que l’enthousiasme et la dynamique suscités par la formation de la NUPES, cette union de l’ensemble des partis de la gauche et de l’écologie, ont permis cette très belle première place au premier tour.
Entre les deux tours, j’ai fait le choix de poursuivre ce travail de terrain et de continuer le dialogue avec les Français car la mobilisation doit continuer. Je n’ai pas dévié de ma ligne, ni de mon programme. La candidate de la majorité sortante, plutôt que de préparer un projet, plutôt que d’assumer le bilan des cinq dernières années, a fait le choix d’une campagne de mensonges et de fake news pour ce second tour. Je suis tour à tour un “danger d’extrême-gauche« , “un affreux partisan d’une double fiscalité” et un “danger pour la République”. Très sincèrement, c’est ridicule et désolant pour le débat politique. Je ne suis pas sûr qu’on puisse nommer cela “se rattraper sur terrain”. Rien ne justifie pour autant cette agressivité et des mensonges en série. Les Françaises et les Français de la 9ème circonscription méritaient mieux que cela mais j’observe que la 9ème circonscription n’est pas un cas isolé en la matière.
En tant que binational et ex-diplomate français au Maroc, aux États-Unis et au Liban, vous connaissez certainement les « maux » des Français de l’étranger dont en particulier les binationaux ? Quels sont selon vous les problèmes les plus marquants et quelles solutions possibles ?
L’une des principales préoccupations des Français de l’étranger à mon sens est bien entendu, l’éducation. Quel projet pédagogique proposer à nos enfants et à quel prix ? Sur le modèle il faut être clair, donner au réseau des établissements français les moyens de porter un projet ambitieux, et il faut sortir des excès de la privatisation du réseau. Ensuite sur l’accessibilité, il faut nous assurer que plus aucun enfant français ne sera exclu du réseau éducatif pour des questions financières. Il y a de nombreux Français, parfois binationaux, qui vivent et travaillent avec des contrats locaux, ou des salaires moyens, bien loin des avantages des “packages” qu’offrent les grandes entreprises et qui couvrent bien souvent les frais de scolarité. Il faut donc nécessairement des mesures de justice sociale à l’égard des plus vulnérables, qui doivent être exonérés de frais de scolarité. Cela passe par une mesure d’équité pour toutes les autres familles, en leur garantissant qu’elles n’auront jamais à consacrer plus de 20% de leurs revenus à la scolarisation de leurs enfants.
L’autre préoccupation est la protection sociale. Comment redonner à la Caisse des Français de l’Étranger les moyens de remplir son rôle, celui de proposer une protection sociale efficace, accessible et équitable pour les français établis hors de France. Il faut là aussi, changer de cap. Cette caisse a pris le chemin d’une forme de fonctionnement assurantiel privé il y a quelques années et il est urgent aujourd’hui de lui redonner une ambition de service public et de la rendre accessible à tous, et surtout aux plus vulnérables. Savez-vous que la participation de l’État à cette caisse n’a cessé de diminuer ces dernières années. Elle est aujourd’hui de 380 000 euros par an pour le monde. Soit 13 centimes d’euro par Français de l’étranger. C’est indigne !
Quelles sont les plus grandes priorités que vous souhaitez aborder une fois élu ?
Mes priorités seront budgétaires avant tout. Il faut plaider l’augmentation des moyens que ce soit les moyens humains en redonnant notamment aux consulats des ressources pour les services d’état civil et les services sociaux. C’est ce que j’appelle rebâtir des services publics de proximité. Il faut inclure dans ce périmètre des postes pour le contrôle de l’homologation des établissements d’enseignement français à l’étranger. Deuxième priorité, les budgets sociaux et notamment les bourses scolaires et les dépenses sociales qui forment aujourd’hui à peine 110 millions d’euros par an, soit 40 euros par Français de l’étranger. Je plaiderai l’alignement du budget social des Français de l’étranger sur celui d’un département français moyen hors RSA, soit 400 millions d’euros environ. Enfin, il faut favoriser des politiques de rapprochement de reconnexion des Français de l’étranger avec le territoire national, j’y suis très attaché.
Qu’en est t-il de la réduction par la France du quota de visas Schengen attribués aux ressortissants des pays du Maghreb ? Aujourd’hui il y a des professeurs, des médecins, des universitaires et des journalistes qui se voient refuser le Sésame. Ce rejet de visa concerne également des parents de binationaux ? Comment expliquez-vous cette décision prise par les autorités françaises et quel rôle comptez-vous jouer à ce sujet en cas de votre élection ?
Je demanderai le retrait immédiat des restrictions automatiques de visa pour les trois pays du Maghreb. C’est une mesure inutile, néfaste pour les relations de la France avec ces trois pays et qui abîme l’entente entre nos peuples. Elle a été présentée comme une sanction à l’égard de pays qui sont nos partenaires et elle condamne des populations entières à l’immobilité, des gens qui vont en France régulièrement pour des projets, des études, des traitements médicaux parfois. Il y a une charge symbolique nocive dans ces mesures qu’il s’agira de gommer pour retisser un dialogue sérieux sur les mobilités.
Le mot de la fin ?
J’espère plutôt que cette campagne n’est qu’un début. Cette expérience a été longue et riche, exaltante, parfois frustrante mais j’en ressors avec une détermination encore plus forte. J’ai désormais la responsabilité de porter les espoirs et les attentes de nombreux compatriotes qui m’ont soutenus. Ils peuvent compter sur mon engagement sans faille. Je ne les oublierai pas.
Interview réalisée par Hajer Ben Hassen