Saisissant l’opportunité de la tenue de son assemblée générale ordinaire, le 14 mai, la CTFCI a organisé un débat présidé par Slim Chaker, ministre des Finances avec pour thème “La réforme fiscale et la loi de Finances complémentaire pour 2015”.
La réforme de la fiscalité et la recapitalisation des banques publiques se présentent comme des conditions essentielles pour assurer les conditions d’une relance effective de l’activité économique.
Les conditions de la relance
Dans son mot introductif, Foued Lakhoua, président de la CTFCI a dressé un diagnostic de la situation de notre pays. Une économie en berne, épuisée par le chômage, une croissance du PIB atone soit 2,3% en 2014, de fortes pressions exercées sur le budget de l’Etat et un dérapage du déficit commercial. A cet égard, il a rappelé les cinq grandes réformes du gouvernement qui concernent respectivement la fiscalité, le partenariat public-privé, la loi sur le commerce ainsi que la recapitalisation des banques publiques.
Quels sont les contenus et les conditions de mise en place de ces réformes ?
Le président de la CTFCI a affirmé qu’il y a des préalables pour réussir ces réformes structurelles, comme la mise en place d’institutions constitutionnelles pérennes, la sécurité et la stabilité politique du pays, ainsi qu’une paix sociale durable pour éviter que les processus de production ne soient interrompus.
La relance de notre économie implique l’application de la loi pour éviter qu’un nombre restreint de personnes empêche la majorité de travailler.
Elle implique, également, une administration fiscale performante, une justice fiscale et une douane efficace capable de lutter contre la contrebande et le commerce parallèle. Foued Lakhoua a ainsi replacé le débat du jour dans la conjoncture actuelle du pays.
Trois urgences
Rached Fourati, expert comptable, président de la commission fiscalité au sein de la CTFCI, a présenté au ministre des Finances un ensemble de mesures d’ordre fiscal destinées à favoriser la dynamisation de l’activité des PME, à promouvoir l’investissement et la création d’emplois.
Trois urgences ont été identifiées : la sécurité, l’investissement destiné à réduire le chômage et enfin la lutte contre la fraude, la contrebande et le commerce parallèle.
Certaines mesures, qui relèvent de l’injustice fiscale, devraient être prises pour libérer l’énergie et les moyens nécessaires destinés à promouvoir l’investissement chez les PME.
A cet effet, il a été proposé que les PME/PMI bénéficient, au même titre que les grandes entreprises, du remboursement total du crédit de TVA dans un délai de 7 jours. Il faut dire que les PME connaissent une crise de trésorerie grave qui paralyse leur activité alors que les banques elles-mêmes souffrent de cette situation.
L’expert comptable propose de supprimer la caution de 20% dans les situations de contentieux : pourquoi obliger une entreprise à verser 20% sur un litige qui porte sur l’interprétation d’un texte si au bout de 2 ou 3 ans elle pourrait être acquittée ? C’est une immobilisation coûteuse et inutile.
Pour les entreprises exportatrices, s’interroge-t-on, à quoi cela sert d’autoriser la vente de 50% de leurs produits sur le marché local si l’Administration leur interdit d’encaisser la contrepartie en dinars ?
L’intervenant a suggéré de revoir la logique des pénalités à supporter par les entreprises qui sont un obstacle à tout apurement de créances fiscales.
Les facteurs de la relance économique
Ahmed El Karm, président du Directoire d’Amen Bank, a présenté un ensemble de propositions de nature à relancer de façon significative l’économie tunisienne et la sortir de son marasme actuel.
« Notre pays est confronté actuellement à deux risques majeurs : le risque sécuritaire et le risque économique, émaillé d’une multitude de conflits sociaux. », a-t-il indiqué. Un gouvernement de coalition ne peut prendre que des mesures laborieuses or les réformes structurelles sont nécessaires.
Cependant, l’application de la loi pourrait apporter 2% de croissance supplémentaires, une réconciliation nationale au sens économique du terme pourrait renforcer le sentiment de confiance chez les hommes d’affaires. Ahmed El Karm suggère quatre mesures susceptibles de favoriser la relance de l’investissement.
Une amnistie de change afin de rapatrier les 550 millions d’euros appartenant à 150 hommes d’affaires tunisiens déposés dans des comptes en Suisse, moyennant une imposition de 10%.
Décréter la convertibilité totale du dinar, serait, selon lui, un excellent message de confiance pour la communauté économique internationale. Supprimer le contrôle de change : si on peut sortir de l’argent facilement cela appelle à le faire venir sans difficulté.
Décréter une amnistie fiscale vis-à-vis de l’économie parallèle qui concentre 50% de l’économie globale dans le cadre d’une loi que l’on pourrait appeler “loi de solidarité et de prospérité”.
Absence de l’Etat : obstacle au développement
Au cours de son intervention, Slim Chaker, ministre des Finances a fait clairement comprendre à l’auditoire qu’il connaît bien les lenteurs et les complications de l’Administration pour les avoir vécues lorsqu’il était dans le secteur privé mais qu’il n’est pas question d’occulter les mérites et le rôle positif de cette même Administration qui a permis au pays de rester debout durant les moments difficiles de la révolution.
Les difficultés économiques du pays sont dues à la succession de 6 gouvernements différents en moins de cinq ans. L’absence de l’autorité de l’Etat dans les régions est responsable du faible taux de réalisation des projets de développement soit environ 50% alors que les crédits budgétaires sont disponibles.
Insécurité, difficultés foncières et financières, craintes justifiées des entreprises chargées de l’exécution, augmentations vertigineuses des coûts, manque de confiance dans l’avenir, sont responsables de cette situation de crise.
Ministres et gouverneurs, censés être des locomotives pour tirer les administrations centrales et régionales, n’ont pas connu la stabilité nécessaire pour assumer ces rôles durant plus de quatre ans.
Le problème majeur actuellement consiste à remettre en marche l’économie du pays, pour cela le partenariat public-privé est indispensable pour promouvoir l’investissement au même titre que le soutien de la communauté financière internationale.
“Nos problèmes ne sont pas des problèmes de financement des projets mais des problèmes de capacité d’exécution”.
Loi de Finances complémentaire 2015 : Les trois réformes-clès
Ayant constaté que tous les indicateurs économiques de notre pays sont au rouge, à l’exception de la balance commerciale, le ministre des Finances a affirmé qu’il est urgent de prendre des mesures pour la relance de l’activité économique à court terme.
C’est la forte pression fiscale qui s’exerce sur certains articles qui est à l’origine de la contrebande selon Slim Chaker qui propose de faire baisser l’imposition sur ces articles à un maximum de 40%, cela pousserait les contrebandiers à intégrer l’économie réelle. Le ministère des Finances pense ainsi au bout de trois ans réduire de 80% la contrebande qui représente actuellement 50% de l’économie globale.
Ainsi la démarche du gouvernement serait de légaliser ce qui est prohibé, pour en faire un objet de prélèvement fiscal au profit du Trésor. Le ministère des Finances a décidé de réformer la Douane qui compte 8000 personnes, alors que le Maroc avec un territoire beaucoup plus vaste n’en compte que 3000 personnes.
Il s’agit de “faire un travail sur les hommes” : formation et recyclage.
La Douane a besoin de s’équiper en matériel moderne : scanners, système d’information et de privilégier les contrôles à postériori.
Les PME ont besoin d’accéder à des financements au meilleur coût, c’est pourquoi, il est urgent de réformer les trois banques publiques : recapitalisation, changement de gouvernance, assainissement financier, amélioration des ratios prudentiels.
Aucune précision n’a été avancée à propos d’une privatisation partielle des banques publiques
Pour les banques privées, la BCT est en train de préparer une nouvelle loi bancaire.
La fiscalité comporte beaucoup d’injustice, elle est supportée surtout par les salariés. Il n’y a pas d’équité car la majorité des forfaitaires qui ont des revenus élevés devraient rejoindre le régime réel et payer leurs impôts.
La réforme fiscale est une nécessité et une urgence en raison des besoins du budget de l’Etat. Aucun calendrier n’a été évoqué par le ministre. En 2016, le ministère optera pour une gestion budgétaire par objectifs.
Précisions de l’ambassadeur de France
François Gouyette, ambassadeur de France à Tunis qui assistait aux débats de la CTFCI a rebondi à propos du nécessaire soutien de la communauté internationale pour la relance de l’économie tunisienne, évoqué par le ministre des Finances.
100 millions d’euros d’investissements directs français ont été réalisés en 2014 en Tunisie soit une croissance de 10% par rapport à 2013, a tenu à préciser François Gouyette.
Au cours de la même année, l’Agence française de développement a contribué de façon exceptionnelle à travers ses différents instruments au financement de grands projets en Tunisie.
En outre, la France a été le seul pays à militer auprès de l’Union européenne pour que le plafond de l’aide budgétaire attribuée à la Tunisie soit porté de 250 à 300 millions d’euros par an.