Après les promesses déçues du sommet du G8 de Deauville (France) de 2011, la présence du président de la République, Béji Caïd Essebsi, en juin prochain, au sommet du G7 à Berlin, en Allemagne annoncera-t-elle la concrétisation d’un soutien effectif des grandes puissances à la jeune démocratie tunisienne, actuellement à la croisée des chemins et qui fait face à de grands défis sécuritaires, économiques et sociaux ? La dernière visite effectuée par le Président allemand en Tunisie a été une occasion renouvelée pour rappeler le caractère exemplaire des relations unissant les deux pays et surtout les bonnes dispositions exprimées par ce partenaire important à renforcer davantage son appui à la Tunisie au cours de la prochaine période.
Depuis 2011, la coopération entre l’Allemagne et la Tunisie n’a pas fléchi. Malgré les aléas d’une conjoncture nationale qui a été souvent difficile, l’activité des entreprises allemandes, installées en Tunisie, s’est poursuivie.
Au cours de cette période, le concours de l’Allemagne a observé une évolution satisfaisante, qu’il s’agisse de financement de certains programmes ou de reconvention d’une partie de la dette de ce pays en investissements.
Ce qui est important à relever, c’est le sentiment d’optimisme et de confiance qu’expriment aujourd’hui les entreprises allemandes installées en Tunisie. En effet, leur volume d’investissement a augmenté et sur les 250 entreprises implantées en Tunisie aucune n’a quitté le site tunisien. Selon Natasha Boussiga, Directrice générale adjointe de la Chambre Tuniso-Allemande de Commerce et d’Industrie (AHK), « en dépit des difficultés qu’elles ont rencontrées depuis la Révolution, les entreprises allemandes ont fait preuve de beaucoup de patience ». Mieux encore, en 2014 ces entreprises ont exprimé une certaine satisfaction et appréhendent les perspectives pour l’année 2015 avec optimisme. Les résultats de l’enquête réalisée par l’AHK auprès de 192 entreprises allemandes implantées en Tunisie et publiés récemment, viennent confirmer ce sentiment.
Les investisseurs allemands opèrent essentiellement dans les domaines du textile, des composants automobiles, du plastique et des services. Les entreprises sondées par l’enquête emploient plus de 45.000 personnes et sont représentatives, au niveau de leurs tailles respectives, de l’ensemble des entreprises à participation allemande en Tunisie.
Confiance et optimisme
L’enquête de l’AHK révèle que les entreprises allemandes continuent d’afficher leur confiance pour le site tunisien. Ce facteur explique en quelque sorte leur conscience des difficultés actuelles que connaît la Tunisie post-révolution et qui ne peuvent être totalement résolues que sur le moyen et le long termes.
L’enquête montre que le secteur textile est le plus touché par la crise, alors que l’industrie électrotechnique semble mieux confronter les turbulences conjoncturelles. La différence au niveau des performances des deux secteurs concerne tous les facteurs : chiffres d’affaires, investissement, exportations, emploi et prévisions pour l’année 2015. Au moment où la majorité des entreprises opérant en électrotechnique ont vu leurs chiffres d’affaires, le recrutement, les exportations et l’investissement augmenter, les entreprises du secteur du textile ont présenté un bilan mitigé et leurs chiffres se sont inscrit dans une courbe descendante.
Pour ce qui concerne les perspectives pour 2015, les attentes relatives aux exportations et aux effectifs, les entreprises exportatrices allemandes implantées en Tunisie se montrent optimistes. Environ 50% des entreprises prévoient une augmentation de leurs investissements, contre 3,7% seulement qui prévoient une diminution. Sur ce plan également, la répartition sectorielle montre une augmentation significative pour le secteur électrotechnique où 56,7% envisagent une augmentation des investissements et 33,3% n’entrevoient pas de changement. Ce qui est significatif, c’est qu’aucune entreprise du secteur ne prévoit une baisse des investissements. Dans le secteur du textile, 51,2% des sociétés ne prévoient aucun changement de leurs investissements, contre 31,7% qui s’attendent à un renforcement et 4,9% qui n’écartent pas une éventuelle réduction. Pour ce qui concerne les entreprises allemandes non totalement exportatrices, tous secteurs confondus, 55,6% prévoient une augmentation de leurs investissements, 38,9% ne s’attendent pas à un changement et 5,6% estiment qu’il y aura une diminution des investissements.
Quels avantages compétitifs ?
Malgré la mise en place d’un gouvernement stable issu d’élections libres, le facteur qui représente encore un handicap majeur pour l’investissement allemand en Tunisie est l’incertitude politique et sociale. Viennent en second lieu, la faible productivité des employés et le manque de personnel qualifié. Questionnées sur la meilleure façon par laquelle l’UE pourrait aider la Tunisie ; les entreprises allemandes ont formulé une seule réponse : la formation professionnelle. La lenteur et la complexité des procédures administratives figurent parmi les autres handicaps dont souffre l’entreprise allemande en Tunisie. En plus des mouvements sociaux, la Tunisie a perdu en termes d’attractivité des coûts des facteurs, en témoigne l’évolution du coût du travail qui devient un obstacle pour les investisseurs allemands en Tunisie.
Malgré cela, la Tunisie occupe une position de premier plan en tant que site de délocalisation notamment dans les secteurs des services et des énergies renouvelables. Pour les entreprises allemandes, la proximité géographique par rapport à l’Europe, les coûts de production compétitifs et les avantages fiscaux octroyés aux entreprises exportatrices demeurent des facteurs compétitifs importants qui plaident pour le choix du site tunisien.
Les allemands s’attendent à un rôle plus actif de la part du nouveau gouvernement, ce qui fournira la preuve de sa volonté à améliorer les choses.
Les principales suggestions des entreprises allemandes implantées en Tunisie concernent tout d’abord la sécurité (25,8%), le dialogue entre employeurs et syndicats (21%), la lutte contre la corruption et la lutte contre une bureaucratie pénalisante. Pour les entreprises non totalement exportatrices, les principales suggestions portent sur les problèmes administratifs (41,7%) et, à un degré moindre, sur les infrastructures (25%) et l’assouplissement des règles d’importation (16,7%).
Raouf Khammassi, président de l’Association des Tunisiens à l’étranger
« Un devoir de servir la Tunisie »
Raouf Khammassi, c’est l’histoire d’une belle réussite d’un homme d’affaires, installé en Allemagne depuis plus de 46 ans, et qui prend aujourd’hui goût à la politique. Après avoir occupé des postes de responsabilité au sein de multiples entreprises hôtelières en Allemagne, il crée son propre projet en fondant un groupe de gestion spécialisé dans le domaine de tourisme et de la restauration qui emploie plus de 300 personnes, dont dix pour cent sont Tunisiens. Aujourd’hui, président de l’Association des Tunisiens à l’étranger, il parle de la diaspora tunisienne en Allemagne et son rôle pour promouvoir la Tunisie.
La Tunisie profite-t-elle aujourd’hui de votre expérience et de votre savoir-faire acquis depuis toutes ces années ?
La culture citoyenne est une attitude, un comportement au quotidien, une éducation et un apprentissage à tout âge. Pour ma part, j’ai toujours une dette envers ma patrie et je me suis engagé à mettre mes compétences et mon expérience au service de mon pays et de mon peuple. De la sorte, je n’épargnerai aucun effort pour contribuer à garantir une vie digne à chaque citoyen tunisien et servir l’intérêt national, tout en militant contre la corruption, le favoritisme, le culte de la personnalité, l’injustice et toute forme d’exclusion.
Dans quelle mesure, les hommes d’affaires tunisiens à l’étranger peuvent-ils jouer un rôle plus efficace pour stimuler le développement et les affaires dans le pays ?
Incontestablement, les hommes d’affaires tunisiens à l’étranger sont investis d’une grande responsabilité, celle qui consiste à contribuer à la réalisation des priorités nationales dans tous les secteurs économiques notamment, à travers l’identification des opportunités d’investissement et des idées de projets. Ils sont également actifs dans tout processus de mise en relation d’opérateurs tunisiens avec leurs homologues étrangers en vue de promouvoir les projets de partenariat, les opportunités d’affaires, et aussi l’organisation de manifestations économiques, de séminaires, de journées d’informations et la participation aux foires et aux salons spécialisés à l’étranger.
En tant que président de l’Association des Tunisiens à l’étranger, quel est le profil de la communauté tunisienne établie en Allemagne?
Tout d’abord, je voudrais bien préciser que les Tunisiens résidents à l’étranger sont en fait une partie prenante de la Tunisie et ce, de par le rôle de premier plan qu’ils jouent dans la préservation de l’image rayonnante de la Tunisie à l’étranger, ainsi que leur apport considérable à l’économie nationale. Concernant les Tunisiens qui résident en Allemagne, dont le nombre dépasse vraisemblablement, les 100 mille, ils sont installées pratiquement dans tout le territoire allemand avec une concentration dans les grandes villes telle que Cologne qui abrite, à elle seule, plus de cinq mille Tunisiens.
Je dois mentionner en outre que la communauté tunisienne en Allemagne est diversifiée et se compose, dans sa majorité, de compétences dans plusieurs domaines. Elle se distingue particulièrement par son adaptation et son intégration exemplaire en Allemagne.
Comment peut-on évaluer le rôle déployé par la communauté tunisienne en Allemagne pour promouvoir le site tunisien des affaires?
En tant qu’acteurs de développement, la communauté tunisienne établie aussi bien en Allemagne qu’ailleurs à l’étranger, pourra apporter une contribution économique considérable sous forme de transferts de fonds ou d’investissements. Elle est également un vecteur non négligeable d’entrepreneuriat ou de transferts de savoir-faire et de compétences. Au niveau politique aussi, elle peut faire du lobbying en menant des actions de sensibilisation ou en suscitant un intérêt pour le pays d’origine.
Entre la politique et les affaires, quel est le meilleur moyen pour promouvoir la Tunisie ?
La Tunisie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Pour réussir, il faut affronter les problèmes majeurs que sont le chômage et la pauvreté qui affectent particulièrement la jeunesse dans un pays dont la population est relativement jeune. Parallèlement, l’économie tunisienne se caractérise par un tissu économique composé de PME familiales opérant dans des secteurs peu sophistiqués, avec une faible croissance et des opportunités modestes de génération de revenus.
Au regard de cette situation, les hommes d’affaires et les politiques assument une responsabilité de toute importance. Pour changer le cours des choses, ils n’ont d’autres choix que de fédérer leurs efforts et d’affirmer leur solidarité.