Chaotique, telle est la situation qui sévit en Irak et qui inquiète, tant dans la région qu’à l’échelle internationale. Mardi 10 juin, l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), accompagné de milices sunnites disparates, s’emparait de la seconde ville du pays, Moussoul. Tour d’horizon d’un pays qui ne cesse de se décomposer…
"La chute d’une grande ville comme Mossoul et la fuite des forces de sécurité a quelque chose de vraiment dramatique", annonçait gravement le ministre (kurde) des Affaires étrangères irakien, Hochiar Zebari.
Depuis le retrait des forces américaines d’Irak, la situation ne fait qu’empirer et la partition du pays sur des bases confessionnelles menace chaque jour davantage. Chiites et sunnites s’affrontent avec acharnement, si bien que l’ONU et les autorités irakiennes déploraient 900 morts durant le mois de mai. Dernier fait marquant en date qui a une importance géopolitique dans la région du Moyen-Orient, l’État islamique en Irak et au Levant, qui assiégeait depuis le 7 juin la deuxième plus grande ville du pays, Mossoul, l’a capturée mardi 10 juin. En janvier, c’était la ville de Fallouja qui était tombée sous le contrôle des forces antigouvernementales.
Bref rappel. EIIL est un groupe armé de djihadistes salafistes qui est une branche d’Al-Qaïda en Mésopotamie. Le groupe, formé en octobre 2006, est présent sur tous les terrains de la région : en Syrie où il représente une des plus fortes oppositions armées au régime d’Al Assad et en Irak où il déstabilise le pays et l’ensemble de la région. Leur principal objectif étant l’instauration d’un califat islamique gouverné par la charia dans la région. L’organisation disposerait de plus de 8.000 combattants.
L’Irak est constitué de plusieurs communautés religieuses et ethniques, (chiites –majoritaires–, sunnites, chrétiens, Kurdes, Turkmènes… Le nord du pays, région montagneuse, est contrôlé par les Kurdes qui possèdent un gouvernement et une milice faisant figure d’armée (peshmerga)…
Une situation qui empire
La prise de Mossoul n’est que la première étape avant de convoiter Bagdad. La capitale irakienne est à moins de 100 kilomètres des positions d’EIIL. Son porte-parole, Abou Mohammed al-Adnani, a d’ailleurs exhorté la semaine dernière les insurgés à «marcher sur Bagdad» tout en qualifiant le Premier ministre irakien d’incompétent. La réaction interne du gouvernement n’a pas tardé et, mercredi, Nouri Al Maliki, Premier ministre, demandait lors d’une allocution télévisée, de décréter l’état d’urgence. Il a aussi annoncé la distribution des armes aux citoyens (exclusivement chiites ?) qui seraient prêts à s’engager bénévolement pour s’opposer au djihadistes. Selon M. Al Maliki, le gouvernement a créé un service spécial en charge des volontaires, mais aussi de leur armement et de leur équipement.
Le passage des djihadistes s’est accompagné de violences extrêmes. Dans la province de Mossoul, le Ninive, on dénombrerait des cadavres par centaines jonchant les pavés, selon le quotidien français La Croix. Par ailleurs, l’organisation terroriste s’est emparée du consulat turc en Irak et a fait des otages. On dénombre 49 otages turcs, dont le consul, ses adjoints et des gardes du corps. Mais aussi 28 chauffeurs de poids lourds turcs sont également détenus par l’organisation terroriste.
Dimanche, 15 juin, l’organisation salafiste annonçait l’exécution de plus de 1.700 soldats chiites. Du côté de l’armée régulière, un responsable de la sécurité annonçait que ses forces avaient tué 279 terroristes au cours des vingt-quatre dernières heures. Par ailleurs les avancées importantes d’EIIL ont forcé l’exode dans des régions plus sûres. On dénombre déjà plus d’un demi-million de réfugiés de la province, notamment dans la région du nord de l’Irak contrôlée par les Kurdes.
Les Kurdes, dernier recours ?
Dans un pays de plus de 32 millions d’habitants, 8 millions d’habitants représentent une communauté importante. Les Kurdes sont très présents en Irak, en Iran, en Syrie, mais aussi en Turquie et veulent créer, depuis plus de 50 ans, un pays niché entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Ils ont leur propre gouvernement le GPK — gouvernement provisoire kurde —, qui représente une force non négligeable dans le conflit que subit l’Irak. Pourquoi ? Tout d’abord parce que près de 500.000 personnes se sont réfugiées dans la zone montagneuse du nord. Ensuite parce que environ 10.000 soldats irakiens en déroute s’étaient réfugiés en territoire kurde. C’est un danger auquel le «Kurdistan» doit faire face avec l’approche imminente de l’armée rebelle. Selon Karim Pakzad, spécialiste de l’Irak à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) «Maliki (NDLR le Premier ministre irakien) sait qu’il aura du mal à se passer de l’aide kurde. Sans les peshmerga, qui sont des soldats aguerris, l’armée irakienne peinera à reconquérir seule les villes aux mains des djihadistes». Les Kurdes n’ont pas défendu la ville de Mossoul comme le voulait son gouverneur, ils ont cependant repris la ville de Kirkouk. Ce qui permet aux Kurdes de gagner en territoire ?
Réaction internationale
Les appels à une riposte internationale ont été émis à la fois par les autorités irakiennes dépassées par les événements, mais aussi par la Turquie. La communauté internationale est largement préoccupée par ce problème.
Pour les États-Unis, B. Obama a déclaré ne rien exclure pour venir en aide au peuple irakien et étudier «toutes les options». En coulisses, on n’opte pas pour une intervention terrestre, mais plutôt pour des frappes aériennes effectuées par des hommes ou des drones pilotés par les bases américaines. Mais on envisage aussi une assistance militaire et logistique ainsi que de fournir des armes aux autorités concernées.
Une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU a appelé au dialogue urgent dans le pays entre toutes les parties. En France, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a déclaré que l’avancée des djihadistes en Irak était «une menace sérieuse» pour la région.
Le week-end dernier, un porte-avions et deux navires de guerre américains étaient lancés dans le Golfe persique afin de patrouiller dans la région. Selon John Kerry, chef de la diplomatie américaine, Washington est engagé à soutenir l’Irak.
Pour sa part, l’Iran a affirmé envisager une coopération avec les États-Unis, qui se disent prêts à aider Bagdad, mais sans «intervenir au sol», et a rappelé son hostilité à toute intervention militaire étrangère.
La contre-offensive se prépare, en interne, pour reprendre les territoires occupés par les rebelles et défendre la capitale Bagdad. Reste à savoir si l’unité du pays va pouvoir être préservée.
Loris Gouillaume