C’est une rencontre religieuse majeure. Le pape François, plus haut dignitaire du catholicisme, s’est entretenu samedi 6 mars avec le grand ayatollah Ali Sistani, plus grande autorité religieuse pour la plupart des musulmans chiites d’Irak et du monde. Il s’agissait d’une rencontre à huis clos. Elle a eu lieu dans la ville sainte chiite de Najaf à l’occasion de la visite de François en Irak, qui a rencontré vendredi le clergé catholique local.
Le souverain pontife argentin tend ainsi la main à l’islam chiite après avoir signé, il y a deux ans, un document sur « la fraternité humaine » avec une grande institution de l’islam sunnite, l’autre branche majeure de l’islam. La rencontre entre Ali Sistani et François est une double première. Outre le fait que jamais un pape ne s’était rendu en Irak, aucun contact direct n’avait eu lieu auparavant dans l’histoire entre le Vatican et le chiisme.
La minorité chrétienne du pays, catholique pour environ les deux tiers (souvent chaldéenne et syriaque), est l’une des plus anciennes au monde. Elle est passée de 1,5 million de membres, avant la chute du régime de Saddam Hussein, à quelque 400 000 en seulement 20 ans, à la fois victime des guerres successives et cible d’attaques contre les églises, confiscations de propriété, kidnappings et meurtres.
*«Nous ne pouvons pas nous taire lorsque le terrorisme abuse de la religion»
Après cette rencontre, le pape François a célébré en l’église Saint-Joseph, à Bagdad, la première messe publique de son voyage en Irak devant une assemblée de fidèles et d’officiels clairsemée en raison de la pandémie de Covid-19.
Le représentant chiite a évoqué la situation des chrétiens d’Irak lors de son entretien avec le chef d’Etat catholique. Ils doivent « vivre en paix et en sécurité » et bénéficier de « tous les droits constitutionnels », a-t-il dit. Les chrétiens d’Irak représentent 1 % de la population irakienne et se disent régulièrement victimes de discrimination.
François, pour sa part, s’est exprimé à l’issue de l’entretien, lors d’une prière à Ur, ville natale d’Abraham, selon la tradition, le patriarche des religions juive, musulmane et chrétienne. Faisant écho aux propos d’Ali Sistani, il a souhaité que « la liberté de conscience et la liberté religieuse soient respectées et reconnues partout ». « Hostilité, extrémisme et violence (…) sont des trahisons de la religion. Et nous, croyants, nous ne pouvons pas nous taire lorsque le terrorisme abuse de la religion », a-t-il ajouté. Priant pour la paix, il a rappelé l’importance de « cheminer du conflit à l’unité dans tout le Moyen-Orient et en particulier en Syrie, martyrisée ».
Ali Sistani, 90 ans, n’apparaît pas en public. François, 84 ans, s’est rendu dans sa modeste maison, située à 200 km au sud de Bagdad, la capitale irakienne. Ni la presse ni d’autres invités n’ont été autorisés à assister à ce dialogue inédit. Cet échange est en tout cas source de fierté pour de nombreux chiites dans un pays qui va depuis 40 ans de conflits en crises, en passant par une guerre civile meurtrière entre musulmans chiites et sunnites. « Nous sommes fiers de ce que représente cette visite (…) elle va donner une autre dimension à la ville sainte », se félicite le dignitaire chiite Mohammed Ali Bahr al-Ouloum.
*Sistani défend une mise en retrait du pouvoir religieux face au pouvoir politique
À sa descente d’avion, le souverain pontife est passé devant un immense appel au dialogue placardé sur l’aéroport pour sa venue. « Les hommes sont de deux sortes : soit vos frères dans la foi, soit vos égaux en humanité », assure la banderole, citant l’imam Ali, gendre du prophète Mahomet et figure fondatrice du chiisme enterré dans la ville sainte.
De nationalité iranienne, le grand ayatollah Sistani se pose depuis des décennies en garant de l’indépendance de l’Irak et dirige une école théologique qui prône le retrait des religieux de la politique (ils doivent seulement conseiller), au contraire de l’école de Qom, en Iran. L’unique rival religieux de Sistani est d’ailleurs le Guide suprême iranien, le grand ayatollah Ali Khamenei.
« L’école théologique de Najaf est plus laïque que celle de Qom, davantage religieuse », rappelle le cardinal espagnol Miguel Angel Ayuso, président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux. Najaf, ajoute-t-il encore, « accorde plus de poids à l’aspect social ».
La visite du pape, sous très haute sécurité, se déroule aussi sur fond de confinement total avec plus de 5 000 contaminations par le Covid-19 chaque jour. Si le pape a été vacciné avant son voyage, le bureau du grand ayatollah n’a pas fait état de telles mesures. Le pape se rendra dimanche dans les villes de Mossoul et Qaraqosh, dans la plaine de Ninive. Au programme pour François, des rencontres avec les communautés chrétiennes ayant fui les exactions du groupe État islamique, avant la célébration d’une dernière messe à Erbil, capitale du Kurdistan irakien
(Le Parisien, avec AFP)