«Jbel Lahmer» !

Il y a des moments où l’Art colle bizarrement à l’actualité. Il propose un aperçu effrayant d’un quotidien aveugle dans une société en désarroi, dans laquelle espoir et désespoir se contrebalancent dramatiquement. Il ne s’agit pas d’écrire le réel en promenant un miroir le long d’un chemin, mais de regarder l’arrière-plan d’une société en dérive pour découvrir de sauvages obscurités dont chacun voudrait bien éviter la vue. Prenons le cas de «Jbel Lahmer», feuilleton diffusé sur la chaîne nationale. En plein débat national sur la misère, la délinquance, la corruption, le népotisme, la prédation et les inégalités, ce feuilleton tombe à pic pour les femmes et les hommes qui mènent le combat de la vérité contre ceux qui ont intérêt à la contourner ou la falsifier. En regardant les épisodes diffusés, je me retrouve avec le sentiment tenace d’avoir assisté à une entreprise de dévoilement, comme si la puissance des émotions, des attitudes et des sentiments grandissants de l’humiliation sociale, qui s’affichent, à l’identique, au fil des images, avait arraché le filtre d’habituation qui fait voir le quotidien d’un quartier populaire avec le regard de la banalité ! On a tort de croire que ces horreurs profondément choquantes sont à venir. Elles sont là, sur terre et elles ont pour nom : «le quartier populaire de Jbel Lahmer».
Vous souhaitez de nouvelles lumières pour aujourd’hui et demain ? Alors acceptez tout d’abord de reconnaître la longue et interminable nuit de ce quartier.
Nous sommes en 2023. Au coeur d’une bourgade habillée de misère et à travers ses ruelles noyées de pauvreté, où le destin a damné les habitants dès leur naissance, la violence rôde. Atmosphère asphyxiante, nébuleuse, fantasmagorique et une allégorie où chacun des damnés voudrait prendre son envol, mais la tragique loi de la misère le fait retomber, à chaque fois, sur l’asphalte de la réalité. Les habitants de «Jbel Lahmer» et surtout les jeunes, portent ces cauchemars sur leurs épaules. Le feuilleton aborde frontalement, pour mieux les exorciser, les démons de ce quartier maudit. À coup de répliques insolentes, de scènes palpitantes, de sources de tension et d’un ballet de surprises très hitchcockien, le jeune réalisateur Rabii Tekkali surfe sur des sujets tabous et les préjugés en tout genre. C’est parfois difficile à regarder, notamment les scènes de violence à la dimension quasi concentrationnaire. Mais c’est en les identifiant courageusement, non en les minimisant ou en les niant complètement, qu’on a une chance de pouvoir les régler un jour. Il fallait être bien déconnecté des réalités dans ce quartier d’en-bas pour ne pas comprendre le sentiment d’injustice qu’éprouvent les gens de peu et de rien. Comment conserver son humanité dans une société qui la nie ? Comment rester sain d’esprit quand les hommes et les femmes ont cédé à la folie ? Le réalisateur a maîtrisé impeccablement cette ambiance anxiogène qui monte crescendo. Il a eu la bonne idée d’utiliser plusieurs formes techniques pour illustrer parfaitement les confrontations entre les personnages. Cette maturité artistique trouve son prolongement dans le jeu des comédiens qui ont essayé de rendre crédibles des situations aussi sensibles et choquantes. Ils ont conjugué souvent un hyperréalisme et une imagination qui flirte avec le fantastique. Les comédiens sont tous aux petits oignons, à commencer par Nasreddine Shili, un surdoué, toujours prêt à monter au front pour défendre son «message» contre l’injustice et qui sait entretenir parfaitement les traits anguleux et ascétiques de son visage, et le style combatif de sa personnalité. Ce feuilleton est, tout simplement, un véritable coup de poing dans le cœur de la triste réalité.

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