Jean Luc Bernasconi : «2015 sera encore une année de transition»

A l’origine du rapport «Tunisie la Révolution inachevée», l’économiste principal au sein de la Banque Mondiale chargé du dossier tunisien, Jean-Luc Bernasconi fait un état des lieux de l’économie tunisienne pour Réalités Online.

Certains prétendent que la Tunisie est en faillite. Où en est-on réellement aujourd’hui ?

Non la Tunisie n’est pas en faillite du tout. La croissance est faible. Les déséquilibres extérieurs sont très importants. Mais si vous regardez le niveau d’endettement il est encore soutenable. La Tunisie arrive très bien à honorer le service de sa dette. Par définition si on est en faillite cela veut dire que l’on arrive plus à rembourser ses dettes. La Tunisie paye ses factures. La Tunisie rembourse sa dette et elle est capable de mettre en œuvre des programmes. Donc la situation est difficile mais la Tunisie n’est pas en faillite.

Vous avez prévu un taux de croissance de 3% pour 2014 alors que la Tunisie n’a réalisé que 2,3%. Vos prévisions seront revues à la hausse pour 2015 ?

Nous tablons sur une légère amélioration vers les 2,6%. Elle n’est pas très spectaculaire parce que l’accélération se fera par le canal de l’investissement et quelques parts tant pour l’investissement public que pour l’investissement privé, 2015 sera encore une année de transition. Les investisseurs privés vont encore attendre un peu. Ils vont commencer à revenir mais ils vont attendre un peu que la situation soit vraiment claire et qu’il y ai un programme clair du gouvernement. Sur le front public il y a peu d’espace de marge de manœuvre budgétaire parce que les dépenses courantes pèsent lourds dans le budget. Donc faire l’inflexion entre dépenses courantes et dépenses d’investissement ça va prendre aussi un peu de temps. C’est pour ça que 2015 sera une année de transition avec un taux de croissance pas trop fort de 2,6%. C’est notre prévision. Et après ça va redécoller vers 3.5%, 4,5% dans les années suivantes.

La Tunisie pourrait finalement devenir un «tigre de la méditerranée» comme vous l’avez évoqué dans le rapport «Tunisie la Révolution inachevée» ?

Le potentiel est là. Les atouts sont là. Les capacités sont là, rien ne l’empêche je pense qu’on est bien partis maintenant. Et pour atteindre le taux de croissance de 6 voire 7% cela va prendre 3 ou 4 ans sans doute le temps nécessaire pour que les réformes puissent avoir l’impact.

Quelles sont les mesures que l’Etat doit entreprendre ?

L’Etat ne pourra pas à lui tout seul résorber le chômage. C’est ce qui s’est passé depuis la Révolution. Il y a eu une très grande augmentation du recrutement dans la fonction publique et des entreprises publiques mais là on atteint les limites.  Cela veut dire que l’étape suivante c’est plus d’emploi dans le secteur privé et donc plus d’investissement dans le secteur privé. Donc les réformes prioritaires à notre avis c’est vraiment renforcer le climat des investissements et renforcer aussi le financement de l’investissement parce que le financement de l’investissement par le marché bancaire et par d’autres marchés en Tunisie est un peu limité et souffre des problèmes dans le système bancaire c’est pour ça le système financier et le climat de l’investissement à mon avis sont très important pour l’emploi.

Selon vous les récentes revendications salariales surviennent à un moment inopportun ?

C’est un dialogue social sur lequel je ne vais pas me prononcer. Une négociation sociale qui est tout à fait normal. La question qu’on doit se poser et je pense que tous les partenaires sociaux ont une responsabilité. Est-ce que la Tunisie a les moyens de ces politiques d’augmentations salariales. C’est-à-dire que si elles sont accordées, qu’est-ce qu’il va se passer au niveau macroéconomique ? Quel impact ça va avoir sur l’investissement public ? Parce que ce qu’on dépense en salaire on ne peut pas le dépenser en investissement public. Je pense qu’il faut une véritable prise de conscience et une responsabilisation de tous les acteurs sociaux pour faire ces arbitrages-là dans la négociation.

Propos recueillis par Meher Hajbi

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