Jeu dangereux

Fallait-il que le Chef du gouvernement fasse le déplacement à Tataouine, deux semaines après le déclenchement de mouvements sociaux, amplifiés par les interférences de partis politiques qui tirent leur légitimité du chaos et jouant à fond la carte d’un régionalisme primaire et d’un populisme d’un autre âge ?
Alors que le terrain est devenu extrêmement miné, la tension a atteint son paroxysme, l’on assiste à une certaine démission des autorités régionales et à un jeu dangereux auquel s’adonnent des parties prenantes dans la coalition gouvernementale, quel argument pourrait satisfaire les protestataires instrumentalisés à volonté et cherchant à faire monter les enchères en profitant de la faiblesse de l’Etat ? Dans le cas d’espèce, le double discours du mouvement Ennahdha ne constitue plus une surprise, loin s’en faut. Au lieu de chercher à éteindre le feu, il ne fait qu’attiser les flammes de la discorde pour en tirer un certain avantage.
Comme il fallait s’y attendre, les propositions mises sur la table par le Chef du gouvernement lors de son déplacement périlleux à Tataouine ont été rejetées en bloc par une foule en furie qui ne cherche pas à négocier ou à trouver des pistes de solution, mais à régler des comptes politiques d’une manière indirecte.
Le retour en scène de Moncef Marzouki, ex-président provisoire qui n’a pas encore digéré sa défaite de 2014, trahit bien ses manœuvres qui tendent à tous les instants de semer le doute et la zizanie dans le pays. Ne jure-t-il pas lui, dont la présence  à  l’ARP  est plus que symbolique, de  faire tomber le projet de loi sur la réconciliation en faisant appel à la rue et ne se présente-t-il pas, comme l’alternative démocratique. Ce qui est paradoxal chez certains acteurs politiques, c’est leur perception à géométrie variable du jeu et des principes démocratiques. On daigne en effet refuser des règles  qui sont l’expression de la volonté populaire qu’on est en position d’infériorité et on appelle à la désobéissance civile en se cachant derrière des slogans que personne ne peut croire, pour se refaire une nouvelle légitimité.
Dans ce climat délétère, il aurait fallu que Youssef Chahed prenne en considération ces facteurs et conscience du postulat qui soutient que la nature a horreur du vide. Sa visite aurait dû être programmée dès les premiers jours, non pour éteindre le feu, mais pour entendre et prendre l’initiative à son compte et ne pas continuer à subir la pression. Le Chef du gouvernement ne peut s’en prendre qu’à la qualité de son administration et de ses conseillers qui, au lieu de jouer  pleinement leur rôle, se sont plu à un jeu trivial, désordonné et manquant de consistance.
Le rôle des gouverneurs et des autorités régionales est également en question. Ce qui s’est passé à Tataouine ne constitue pas un cas isolé. Partout, dans nos régions, les gouverneurs n’usent pas de leur autorité et ne répondent pas aux sollicitations pour appliquer la loi et mettre un terme à l’anarchie qui règne. La multiplication des zones de non droit, où l’Etat est absent avec les  routes coupées, les entreprises empêchées de produire, les citoyens pris au piège et les contrebandiers font la loi, se banalise.
Quand l’autorité se trouve incapable de restaurer l’ordre et d’assurer la sécurité, quand les partis politiques rallument le feu partout et quand, enfin, le gouvernement est laissé face à lui-même, tout indique que, consciemment ou inconsciemment,  tous les acteurs ont réuni leurs forces pour précipiter le pays dans une anarchie dont personne n’en sortira gagnant.

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 A l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, Reporters Sans frontières  a lancé,  à nouveau,  un signal de détresse estimant que « jamais la liberté de la presse n’a été aussi menacée » dans le monde.
Pour la Tunisie qui occupe le milieu du tableau mondial, c’est « la banalisation des attaques contre les médias et le triomphe d’hommes forts » qui inquiètent le plus. Ce diagnostic au demeurant juste, ne révèle que la moitié vide  du verre et occulte les problèmes de fond dont souffrent nos médias. Des problèmes structurels que tout le monde essaye de taire en se cachant derrière des slogans pompeux  dont l’impact est limité pour l’émergence d’une presse crédible, professionnelle et indépendante dans notre pays.
A l’évidence, malgré la persistance des menaces, les tentatives désespérées de certaines parties d’étendre leur influence sur ce secteur et l’intrusion des lobbies, la liberté d’expression et l’indépendance des médias ne peuvent être remises en question que si on continue à tourner le dos au professionnalisme, à l’éthique professionnelle et à se complaire dans les voies glissantes de la facilité et de l’approximation.
Défendre la liberté d’expression et l’indépendance des médias relève d’une conscience qui doit habiter les journalistes tunisiens et guider leur travail. L’appauvrissement affligeant du contenu offert au public, le recours systématique à la diffamation, à la diffusion de nouvelles non recoupées, la résistance au changement et l’inflation de titres douteux  ne plaident pas la cause de la liberté d’expression. Pour renforcer l’indépendance des médias et rendre la liberté d’expression un acquis irréversible, il faut que nos médias gagnent la confiance du public qu’on doit savoir interpeller, non susciter ses bas instincts.

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