Jeu d’échecs

Gouvernement d’union nationale ou de salut national ?  Quelle est la meilleure potion qui ferait sortir le pays d’une crise politique, économique et sociale sans précédent ?  Alors que le contexte grave commande d’agir et de chercher les voies qui conduisent rapidement au consensus et à l’identification des pistes qui abrègent les peines des Tunisiens, dissipent leurs doutes et renforcent leur confiance, notre classe politique préfère la fuite en avant, tournant le dos à une situation complexe et grave.

Le Front populaire, notamment, continue de réclamer, à tue-tête, la deuxième solution celle-là même qui lui offre, sur un plateau, une revanche dont il ne finit pas de rêver. Il a hâte d’obtenir des parties qui forment la coalition au pouvoir, un aveu explicite d’échec et une reconnaissance de leur responsabilité dans l’impasse actuelle. C’est cette condition qui obsède Hamma Hammami, plus que le fait de s’impliquer positivement dans les affaires du pays et de sauver ce qui pouvait l’être.

 Béji Caïd Essebsi, qui a joué son dernier joker en lançant son initiative de former un gouvernement d’union nationale comprenant impérativement l’UGTT et l’UTICA, loin d’improviser, a mesuré son coup. Il a, d’abord, voulu pointer du doigt une certaine opposition, dont le Front populaire qui, à ses yeux, « fait fausse route » et ne peut pas s’impliquer dans un processus de construction, en prenant le pli de tout discréditer et de tout mettre en doute.

Il a, ensuite, voulu impliquer les deux organisations nationales les plus influentes, plus particulièrement l’UGTT, qui n’a pas cessé depuis cinq ans d’entretenir l’agitation sociale et maintenir constamment un bras de fer avec le gouvernement, sur fond de revendications salariales excessives,  qui ont mis à mal les équilibres financiers du pays, aggravé les difficultés des entreprises et occasionné la paralysie de l’activité économique.

Il a, enfin, voulu faire bouger les choses, montrer qu’il se présente en gardien de la démocratie et des intérêts du pays et, qu’il est en mesure de redistribuer les cartes, quitte à consentir des sacrifices et courir des risques.

Au-delà de la portée de son initiative, de ses lendemains incertains et du refus de l’UGTT de saisir la perche qu’il lui a tendue, Béji Caïd Essebsi semble résolu à aller jusqu’au bout de son projet. Pour sauver le pays des risques sécuritaires rémanents, des troubles sociaux aigus et d’une situation économique grave, changer d’équipe gouvernementale, de style de gestion des affaires publiques et de profils de responsables, devient, selon lui, plus que nécessaire.

Il entend, surtout, susciter une rupture avec une période trouble, une gestion cacophonique et une situation intenable et faire savoir aux Tunisiens que ni le gouvernement, ni l’ARP, ni lui-même, n’assument totalement la responsabilité d’une crise qui ne cesse de s’amplifier, en partie, par la faute d’acteurs et de partenaires qui refusent de mettre la main à la pâte tout en ne ratant aucune occasion pour dénoncer aveuglément l’incapacité et l’incompétence de ceux qui ont été portés par les urnes aux commandes du pays.

Dans ce jeu périlleux, Béji Caïd Essebsi n’a pas pris en considération certaines inconnues. Le refus de l’UGTT, qu’il a voulu impliquer directement pour renforcer la paix sociale et apaiser les tensions, d’adhérer à cette initiative était prévisible. La centrale syndicale, à la veille d’un congrès important, a refusé de se compromettre dans un processus qui pourrait aboutir à son affaiblissement et à  l’émergence de dissensions graves en son sein. Cela peut-il, pour autant, annoncer l’échec de cette initiative ? Dans tous les cas de figure, même si la condition posée par le président de la République pour la formation d’un gouvernement d’union nationale qui suppose la présence de l’UGTT et de l’UTICA, est devenue caduque, la survie du gouvernement Essid 2 est devenue impossible. Dans ce jeu d’échecs, il paraît qu’en l’absence de solutions de rechange sérieuses, l’effet recherché a fini par se produire. Le prochain gouvernement, quelles que soient sa composition, les compétences de la personne qui sera nommée pour le piloter et la coalition qu’il comportera, sera dans l’obligation de travailler conformément à un autre esprit, à une autre feuille de route et à d’autres exigences.

Il aura à donner rapidement des signaux clairs, sur sa disposition à agir dans l’urgence, non dans le désordre, pour assumer ses responsabilités essentielles. Préserver la stabilité du pays et sa sécurité, lutter efficacement contre le terrorisme, la corruption, donner des réponses à des jeunes meurtris par le chômage et l’exclusion, redonner confiance aux régions intérieures du pays longtemps exclues du développement, remettre les Tunisiens au travail et la machine économique en marche, exigent plus qu’un programme, une détermination et un engagement.

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