Par Hatem Bourial
Dix ans après la Révolution tunisienne, la jeunesse est loin d’avoir réussi à réaliser ses aspirations. Parents pauvres de la transition démocratique, les jeunes ne parviennent toujours pas à tirer leur épingle d’un jeu dont leur promotion est pourtant l’un des objectifs proclamés. Diplômés au chômage, jeunes en pleine désillusion et candidats à l’émigration se comptent par centaines de milliers dans un pays désenchanté.
Après avoir contribué à porter Kaïs Saïed à la présidence de la République, les jeunes les plus politisés escomptent toujours des bénéfices, mais n’ont trouvé que des formules rhétoriques.
Entre espoirs et amertume, la grande masse des jeunes s’est quant à elle installée dans un malaise persistant et attend une hypothétique sortie du tunnel.
Être un jeune Tunisien en 2021 est loin de constituer une sinécure. Pourtant, en janvier 2011, l’espoir semblait permis grâce à une Révolution tunisienne qui exprimait alors son identité sociale et ses objectifs de promotion de la jeunesse et des périphéries. Dix ans plus tard, le reflux est palpable, à la mesure de la désillusion qui s’est emparée de tout un pays.
Le potentiel inestimable des forces vives
Avec une jeunesse aux abois, la Tunisie ne parvient toujours pas à mettre ses forces vives en mouvement. Pourtant, le pays est jeune et peut compter sur le potentiel inestimable de la fougue des générations montantes. Paradoxalement, malgré les discours et les promesses, les jeunes sont restés à la croisée des chemins. La volonté politique les concernant ne s’est jamais traduite en projets d’envergure ou en actions au long cours. De fait, rien n’a été véritablement entrepris en direction de la jeunesse. Les vœux pieux ont pris le pas sur les résolutions alors que le pays subit de plein fouet une crise multiforme qui va en se compliquant. Dix années n’auront pas servi à grand-chose alors que les agendas stratégiques sont renvoyés aux calendes grecques. Pire, le délabrement progressif du service public et la tempête que traverse l’éducation nationale peuvent pousser à parler d’une génération perdue ou sacrifiée.
Les jeunes d’aujourd’hui avaient huit ans en 2011 et n’ont connu qu’un pays en crise, des années de plomb marquées par le terrorisme, la montée de l’islam politique et du salafisme, ainsi qu’une instabilité politique permanente. Difficile dans ce contexte de trouver les ressorts pour progresser. Présents dans les discours, les jeunes n’ont pas encore vu la concrétisation de leurs aspirations légitimes. Malheureusement, ils sont nombreux à basculer dans la délinquance, le hooliganisme et l’intolérance. Des cohortes de terroristes ont trouvé un terreau favorable à leur endoctrinement alors que le maillage du territoire par les activistes islamistes est de plus en plus dense. Beaucoup de jeunes tentent aussi de macabres traversées méditerranéennes et périssent en mer ou se retrouvent confinés dans des camps en attendant leur expulsion vers la Tunisie. Que leur offre-t-on au pays? Des horizons étriqués et un ministère de tutelle qui n’a toujours pas évolué dans le sens exigé par la réalité d’aujourd’hui. Condamnés à vivoter, confrontés à un ascenseur social en panne et quasiment abandonnés par les pouvoirs publics, les jeunes continuent à ronger leur frein.
«Paradise now» en 2011, «No Future» dix ans après
Certains s’engagent dans des actions de résistance et se transforment en activistes sur plusieurs fronts. Toutefois, hormis le secteur public, il leur est difficile de trouver des fenêtres d’opportunités. La jeunesse dans les régions se trouve ainsi prise au piège du désœuvrement et devient la proie de populistes prêts à tout pour entretenir une agitation endémique. Ne faisant pas confiance aux politiques, n’étant pas syndiqués ou affiliés à des institutions, ces jeunes deviennent la chair à canon de l’économie informelle et du marché noir.
Le «Paradise now» de l’enthousiasme post-révolution s’est transformé en «No Future» pour une jeunesse à laquelle l’avenir semble tourner le dos. Pourtant, les jeunes ont fortement contribué à l’élection de Kaïs Saïed à la magistrature suprême mais leur champion, malgré le suffrage universel, n’a que des prérogatives limitées. L’élection présidentielle est aujourd’hui perçue par les jeunes comme un miroir aux alouettes et un scrutin trompeur. Lassés par les partis politiques et irrités par les fausses promesses, les jeunes sont aujourd’hui entre démission et rêves de nouveaux grands soirs révolutionnaires.
Le Dialogue national prôné par l’Union générale tunisienne du travail, devrait leur accorder une tribune à l’initiative du président de la République. Toutefois, ce dialogue ne fait toujours pas l’unanimité et d’autre part, cette participation de la jeunesse reste illisible et sera forcément limitée. De plus, même porté par une démarche volontariste, cet appel à la participation des jeunes au Dialogue national en cours de construction, n’offre pas le cadre adéquat à l’expression du malaise actuel. Les problèmes subis par les jeunes sont connus de tous mais nul ne les prend en considération à l’échelle stratégique. C’est à ce niveau que résident le mal et l’incapacité à mettre en place une véritable politique pour la promotion de la jeunesse.
Pour une refondation des politiques pour la jeunesse
Alibi rhétorique, le recours aux jeunes permet de se référer aux objectifs de la Révolution sans véritablement s’engager dans un changement profond et progressif. La précarité est aujourd’hui le lot commun de beaucoup de jeunes qui ne trouvent ni une école performante ni des débouchés porteurs. La classe politique sait qu’elle n’a pas les moyens ni l’ambition de s’attaquer à ce problème majeur. Dès lors, on palabre, on fait comme si et on botte en touche, laissant les familles tirer le diable par la queue pour ouvrir des perspectives décentes à leurs enfants. Simultanément, des organisations non gouvernementales et la société civile colmatent les brèches avec les moyens du bord. Un constat empirique permet de mesurer toute l’incohérence actuelle : les budgets alloués aux programmes pour la jeunesse et l’emploi des jeunes proviennent en grande partie, des partenaires internationaux de la Tunisie. Ainsi, par exemple, l’Union européenne se mobilise pour les jeunes Tunisiens presque davantage que l’État national. En soi, cette observation permet d’affirmer que la politique pour la jeunesse a besoin d’une refondation et d’une implication stratégique de l’État.
Parler n’est pas agir, offrir un strapontin dans un dialogue national a certainement une teneur symbolique mais ne peut être productif. Il est temps de s’atteler à l’élaboration sérieuse d’un plan de développement durable pour sortir la jeunesse d’une crise qui risque de mener tout le pays vers une impasse. Cependant, les jeunes les plus qualifiés quittent la Tunisie contribuant à un exode massif des cerveaux et soulignant cette idée tenace selon laquelle il n y aurait plus d’avenir dans notre pays. Aux politiques d’entendre ce message lancinant et désespéré et se mettre au diapason de notre jeunesse. Le temps n’est plus aux discours creux mais à la prise de conscience que dix ans d’échecs ont compromis le futur de toute une génération. Le bluff et les esquives n’ont que trop duré.