La journée mondiale de la population est célébrée tous les 11 juillet de chaque année. Pour cette saison, l’Office national de la famille et de la population, l’institution la plus engagée dans les programmes pour jeunes, lance de nouvelles stratégies. Nous avons demandé au Docteur Ridha Gataâ, Président directeur général, de nous en dire plus sur ces nouveautés.
Pour la journée mondiale de la population, quel sera le programme de l’ONFP ?
Cette année, la journée mondiale de la population sera célébrée sous le thème : «investir dans la jeunesse». C’est un sujet qui nous incite, en tant qu’ONFP, à prévoir des activités et des manifestations dans toutes les régions. L’objectif est de sensibiliser les jeunes à propos de la santé sexuelle et de reproduction. Nous voulons toucher particulièrement la tranche d’âge de 15 à 29 ans, qui représente presque le tiers de la population tunisienne (27,9%.)
L’investissement de l’ONFP dans les programmes pour jeunes n’est pas nouveau, il a commencé en 1994. Après avoir évalué les activités de cette année, nous allons essayer de changer la vision de l’ONFP quant à ses différentes actions dans les programmes pour jeunes.
Depuis le début des années 2000, les espaces «amis des jeunes» qui sont des structures destinées à l’écoute, au conseil et à la prise en charge psychologique et médicale, existent. Mais il s’est avéré, avec du recul, que ces espaces sont sous -exploités dans le sens où la fréquentation par les jeunes, notamment les garçons, n’est pas celle espérée. Peut-être que la préoccupation première des jeunes n’est pas la santé ! Nous allons revoir les mécanismes de fonctionnement de ces espaces, nous sommes en train de déterminer les obstacles qui font qu’il y a une certaine réticence à venir dans ces centres.
Connaissant l’énorme travail fait par l’ONFP dans la composante jeunes et santé sexuelle et reproductive, comment évalueriez-vous ce parcours ?
L’Office a été le pionnier en matière de santé sexuelle et reproductive. C’est la première institution qui a fourni des services dans ce domaine aux jeunes et ceci partout, dans toutes les régions. L’accès aux espaces jeunes a toujours été libre, indépendant.
Depuis les années 92, l’ONFP a élaboré des programmes d’éducation, de sensibilisation. Des efforts énormes ont été faits pour les jeunes. Actuellement, on passe à une autre étape, celle des services proposés aux jeunes selon leurs besoins. Pour réussir, nous avons besoin de la collaboration de tout le monde, y compris et tout particulièrement de la société civile.
Selon la dernière enquête nationale MICS 4, en ce qui concerne le VIH/SIDA, le taux de connaissance de cette thématique est limité chez les femmes de 14 à 24 ans. Comment expliquez-vous ce phénomène, alors qu’on sait que le fonds mondial de lutte contre le Sida Found a beaucoup investi financièrement dans ce programme chapeauté par l’ONFP ? Comment comptez-vous remédier à cette situation?
En ce qui concerne le VIH/SIDA, l’ONFP continue son programme de sensibilisation et de prévention. C’est tous les jours que des équipes se déplacent vers les jeunes, dans les lycées, les cités universitaires, les cafés, les festivals, la plage, etc. C’est un travail sans relâche. Pendant longtemps nous avons ciblé les jeunes des milieux non organisés et maintenant nous sommes en train d’aller également vers les milieux organisés comme les lycées, les facultés, etc.
La jeunesse tunisienne a beaucoup de problèmes et c’est là que la santé est reléguée en deuxième plan. Les Tunisiens sont dans une situation de réelle précarité ; en dehors du système éducatif, ils sont exposés à un avenir incertain et au sein du système éducatif l’inadaptation du marché de l’emploi avec une formation trop académique les fragilise également. Le problème majeur des jeunes est le travail. Ils trouvent refuge dans des comportements à risque pour fuir leur quotidien : tabagisme, alcoolisme, mauvaises habitudes alimentaires, toxicomanie, relations sexuelles précoces et non protégées, violence, conduite de véhicule non responsable, addiction à l’Internet et aux jeux vidéo, etc. Les études effectuées ces dernières années (2007-2013) sur les comportements à risque des jeunes ont démontré que la catégorie des adolescents serait plus exposée aux comportements à risque, particulièrement à ceux relatifs au VIH/SIDA à cause des rapports sexuels de plus en plus précoces, l’usage de drogues en tous genres. Cette situation serait due à un manque d’encadrement adéquat pour ces jeunes adolescents.
D’après les données collectées en 2012, les jeunes appartenant à la tranche d’âge 15-19 ans sont plus actifs sexuellement que leurs ainés de 20-24 ans, respectivement 61,6% et 21,5%.
Combinées à la censure sociale, au manque d’information sur la sexualité des jeunes et à la faible réalisation des droits productifs des filles, ces pratiques exposent aux IST et SIDA, aux grossesses non désirées et aux risques de l’avortement. Malgré l’absence de statistiques précises sur les IST (infections sexuellement transmissibles) on estime entre 75.000 et 100.000 nouveaux cas d’IST chaque année. Le ministère de la Santé rapporte que chaque année 50.000 nouveaux cas d’IST sont répertoriés dans les dispensaires.
Pour ce qui est de l’infection au VIH/SIDA, l’épidémie, même si elle a une prévalence très faible, inférieur à 0,1% dans la population générale, se transforme progressivement en une épidémie concentrée auprès des populations les plus exposées. Dans ces cas, la prévalence grimpe à 3,1% et 2,4% (2009-2011) pour les usagers de drogues injectables, 4,9% et 13% (2009-2011) pour les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes, 0,43 et 0,61% (2009-2011) pour les travailleuses du sexe.
Cette situation est inédite et préoccupante, elle reflète une transition vers une épidémie qui peut exploser.Comment contrer ces problèmes ?
L’ONFP a engagé un processus de réflexion stratégique à ce propos. Mais il faut une stratégie nationale, globale, qui impliquerait plusieurs intervenants de la société tunisienne. Nous allons vers des stratégies innovatrices, modernes. C’est au niveau des comportements que nous allons intervenir et essayer de les changer. Pour cela nous devons développer ce qu’on appelle «les compétences de vie» chez les jeunes. Ce sont des compétences psychosociales basées sur la communication, l’estime de soi et la prise de décision. Les jeunes apprendront à communiquer, à dire non, à négocier quand les copains insistent.
Les jeunes manquent d’assurance et c’est très mauvais pour leur comportement. Il faut leur renvoyer une image positive, valorisante. Cela s’apprend, tout comme on peut apprendre à décider pour soi, à prendre la décision que l’on aura choisie.
Quel message voulez-vous faire passer ?
Le message que j’aimerais faire passer est que les jeunes tunisiens ont besoin de tout. Les problèmes sont diversifiés, leurs besoins sont énormes. Ils sont toujours à la recherche d’une solution sur tous les plans : travail, éducation, santé, etc. Il faut avoir une vision globale, non éparpillée et élaborer un programme consistant, intégré, spécifique pour les jeunes. L’ONFP a commencé à travailler sur ce programme depuis 2013.
Propos recueillis par Samira Rekik