Journées IACE : Capital humain et Entreprise

 Fidèle à sa tradition et à sa réputation bien établie, la session 2014 des journées de l’entreprise de l’IACE a remporté un grand succès en raison des différents ingrédients mis en place par le management de l’IACE.

Une grande affluence de cadres supérieurs, de chefs d’entreprises, d’universitaires, d’experts et de journalistes a été constatée.

Le thème était riche et d’une actualité brûlante : le capital humain et l’emploi.

Des hommes politiques et des responsables de premier plan d’organisations nationales et internationales, d’employeurs et de travailleurs étaient présents ainsi que des orateurs de talent et donc des débats passionnants.

M. Ahmed Bouzguenda, a prononcé le discours d’ouverture de la 29e session de l’IACE et a attaqué directement le thème de la rencontre en posant la problématique suivante : que pouvons-nous apporter comme réponse, à la population notamment les jeunes, concernant la création d’emplois ? C’est une responsabilité collective qui conditionne la cohésion sociale.

Le président de l’IACE a affirmé que nous voulons une deuxième république mobilisatrice du secteur privé national, attractive pour les capitaux étrangers et aussi pour et par le capital humain.

L’entreprise est un levier incontournable de croissance économique et un puissant vecteur de progrès social. Un appel pressant a été lancé par l’IACE au prochain gouvernement sur la nécessité de maîtriser avant tout les deux préalables à la croissance économique : la sécurité et la stabilité politique.

Il faut également un socle de consensus minimum sur lequel on peut bâtir les réformes nécessaires pour libérer le potentiel de croissance. Il est urgent de concentrer les efforts sur les réformes structurelles, même si elles sont coûteuses sur le plan social et économique. Quel niveau de croissance maximale pouvons nous atteindre pour réduire le chômage qui a atteint 750.000 personnes dont 270.000 diplômés du supérieur. Alors que 150.000 offres d’emplois restent insatisfaites ?  

Une nouvelle stratégie de développement s’impose pour valoriser le capital humain dont dispose notre pays.

Nous avons certes une abondance apparente de cadres, mais une pénurie de bons managers, c’est au sein de l’entreprise que se crée la valeur ajoutée : le partage équitable de cette valeur engendre productivité et paix sociale. Dialogue social et flexibilité font la qualité de l’emploi.

Nous devons valoriser la perception sociale du travail qui doit être érigée en valeur culturelle.

Reconstruire les relations sociales au sein des entreprises

M. Tarek Chaabouni, coordinateur général de la 29e session de l’IACE a prononcé en langue arabe la présentation du thème des journées à savoir l’entreprise et le capital humain : productivité et partage. M. Chaabouni a affirmé que si nous voulons restructurer notre économie, procéder à des réformes profondes, nous engager dans la déconcentration de l’Administration et la décentralisation de la décision nous devons définir de nouvelles relations dans l’entreprise, à travers un dialogue approfondi portant sur les thèmes suivants.

La capacité de notre économie à créer concrètement des emplois.

Diffuser la culture du travail dans toutes les catégories sociales et construire de nouvelles relations sociales au sein de l’entreprise.

Mettre au point un pacte social national portant sur la productivité à partir du concept établi par l’IACE et définir une politique de décentralisation de l’emploi conforme aux spécificités de chaque région.

Établir des relations professionnelles au sein de l’entreprise permettant à celle-ci une flexibilité de l’emploi et donnant en même temps aux salariés des garanties réelles relatives à leur stabilité sociale.

Mehdi Jomaa : « cesser d’emprunter pour consommer »

L’intervention de Mehdi Jomâa, relativement improvisée, avait des accents de sincérité d’une part et des allures de bilan de mandature d’autre part. Ce discours n’a pas manqué de moments forts ni de vérités douloureuses à insuffler que nous synthétisons ci-dessous.

Nous vivons une transition douloureuse et coûteuse depuis près de quatre ans : “nous avons oublié l’économie mais celle-ci nous a rattrapés ”. Certes l’économie tunisienne a fait preuve d’une certaine dose de robustesse pour résister aux pressions. Nous sommes actuellement dans un tournant pour entamer et poursuivre les réformes engagées et devons avoir une vision d’avenir et nous doter d’une stratégie pour atteindre nos objectifs.

“Les Tunisiens sont d’accord pour les réformes pourvu qu’elles ne lèsent pas leurs privilèges”. « Il faut s’attendre à des sacrifices de la part de tous dans les années qui viennent ».

Nous devons parier sur l’avenir : « Les acteurs économiques doivent investir et les salariés doivent se remettre au travail”.

Pour initier un cycle vertueux il faut restructurer l’économie et pratiquer la bonne gouvernance. À propos de l’Administration, le chef du gouvernement a été critique : lourdeur, faible efficacité, doit être dégraissée. Il a même affirmé qu’elle est incapable d’exécuter les projets de développement. C’est ainsi que les cadres régionaux se référent souvent à leurs ministres pour prendre des décisions alors que c’est le rôle des gouverneurs. Lorsque les ministres ont parrainé certains gouvernorats les projets auraient avancé plus vite.

“Nous devons cesser l’emprunter à l’étranger pour consommer”.

Les salaires dans la fonction publique ont augmenté de 45% en 4 ans, ce qui est beaucoup. Notre budget est de 29 milliards de dinars alors que nos ressources ne dépassent pas 20 milliards de dinars.

« Nous avons un potentiel de croissance et une capacité à rebondir, pour cela il faut du travail et de la discipline dans le sens de respect des lois ».

Nous n’avons pas le choix : l’âge de la retraite doit être porté à 62 ans, étape intermédiaire vers le 65 ans.

Croissance et plein-emploi entre mythe et réalité

Selon une étude réalisée pour le compte de l’IACE     à propos de la croissance potentielle et de la création d’emplois durant la période 2005-2010, il ressort un ensemble de conclusions.

Il y a une différence entre la croissance potentielle et la croissance effective. En effet, durant cette décennie la croissance potentielle a été de 4,5 à 5% alors que la croissance réelle n’a pas dépassé 3,8% par an.  

Or durant la même période, la création d’emplois n’a pas dépassé 70.000 par an alors que le nombre de primo-demandeurs d’emplois est de 90.000 emplois chaque année.

Certes, le plein-emploi est un objectif impossible à atteindre au 21e siècle, les pays les plus performants ne peuvent pas faire baisser le taux de chômage en dessous de 5 à 6% de la population active. Cependant si la qualité de la croissance compte pour beaucoup en matière de qualification des emplois à créer, les activités à haute valeur ajoutée, le niveau de croissance impactent directement le nombre d’emplois à créer (activité à basse qualification), c’est la productivité globale des facteurs qui détermine cela. Comment améliorer le taux et la qualité de la croissance ?

Pour cela, on doit agir sur l’amélioration de la qualité du financement, celle de la formation, celle de l’incitation à l’investissement, la promotion de l’innovation,… Selon les prévisions de l’étude, les deux types de croissance durant la période 2014-2017 seront de 5,6% par an pour la croissance potentielle et de 3,8% seulement pour la croissance réelle.

Promouvoir les investissements croisés Nord-Sud

Pour Elisabeth Guigou, ancienne ministre de la Justice en France, le chômage des jeunes diplômés du supérieur est une aberration économique et une calamité sociale. C’est pourquoi, la promotion de la coproduction entre pays du nord et du sud de la Méditerranée avec des investissements croisés et un partage équitable de la chaîne de valeurs est susceptible d’assurer la croissance mutuelle des pays du Nord et du Sud.

L’atout majeur de nos pays est d’être un trait d’union entre l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient.

Nous devons assumer ensemble des défis communs dont le réchauffement climatique, la sécurité alimentaire, la sécurité tout court la santé, les mouvements de population et le chômage des jeunes.

« Soyez audacieux, investissez »

M. Philippe De Fontaine-Vive, vice-président exécutif de la BEI est intervenu sur le thème de la croissance et du plein-emploi.

Selon le représentant de la BEI, un des plus importants bailleurs de fonds de notre pays, la croissance potentielle de la Tunisie est de l’ordre de 7 à 8% par an alors que la croissance réelle 2014-2017 sera de 5,6%, hypothèse prudente qui a été retenue.

La priorité politique de la Tunisie sera d’instaurer la sécurité globale et la sécurité financière qui consiste à payer les dettes pour conforter la confiance des institutions financières internationales.

Le secteur privé doit être audacieux et prendre des risques en investissant, notamment dans la formation des compétences.

De son côté, Miguel Moratinos ancien ministre des Affaires étrangères d’Espagne est intervenu essentiellement pour plaider en faveur de la création d’une banque euro-méditerranéenne destinée à financer de grands projets de développement dans la région. Faute d’être créée dès le départ avec la participation des pays de l’UE, elle pourrait être fondée au début par les pays maghrébins qui seraient bientôt rejoints par les pays du Nord selon le diplomate espagnol du gouvernement Zapatero.

Dialogue et emploi dans l’entreprise

L’organisation de débats du type «face à face» entre employeurs et salariés  avec bien sûr un rôle actif pour le modérateur à propos des questions relatives à la qualité de l’emploi, au niveau de la rémunération, aux relations sociales au sein de l’entreprise, au partage de la valeur ajoutée et à la productivité soulève les passions et provoque parfois des éclats.

C’est ce qui est arrivé samedi matin lorsqu’il y a eu deux débats successifs.

Rémunération et productivité

Plusieurs questions se sont imposées dès le début du débat :

Comment instaurer un climat de paix sociale dans l’entreprise et insuffler la confiance ?

Que faut-il faire pour passer du syndicalisme revendicatif au syndicalisme participatif ?

Le débat organisé entre John Evans de la Confédération syndicale internationale et Wilson Brent OI des employeurs a permis d’élaborer plusieurs pistes de réflexion.

Il faut savoir concilier les intérêts économiques et les intérêts sociaux, pratiquer le dialogue pour résoudre les problèmes et ne pas laisser la situation se détériorer dans l’entreprise. L’État a sûrement un rôle à jouer pour mettre de l’ordre dans les relations parfois conflictuelles entre patronats et syndicats.

D’autre part rôle de l’État est irremplaçable en matière de protection et de sécurité sociale, de santé publique et d’éducation.

Pour ou contre la flexisécurité de l’emploi     

Le débat tant attendu réunissait Wided Bouchamaoui, présidente de l’UTICA et Houcine Abasssi, Secrétaire général de l’UGTT et avait pour modérateur Chakib Nouira, président d’honneur de l’IACE.

L’UTICA est d’accord pour augmenter les salaires des travailleurs à condition qu’il y ait une amélioration sensible de la productivité, sinon ce serait favoriser l’inflation. Mme Bouchamaoui admet qu’il y a un besoin réciproque de relations professionnelles étroites et cordiales au sein de l’entreprise. Il y a d’ailleurs une commission mixte pour résoudre les conflits dans les entreprises ce qui réduit les grèves.

L’UTICA et l’UGTT ont signé le pacte social, le 14 janvier 2013, qui est considéré par l’UTICA comme un acquis positif et qui instaure le dialogue et la négociation pour régler toutes sortes de désaccords.

La présidente de l’UTICA affirme que la centrale patronale ne défend que les entreprises responsables, qui honorent leur devoir fiscal et social et respectent scrupuleusement la réglementation en vigueur, mais exige de son personnel l’amélioration de la productivité.

L’entreprise a besoin de la flexibilité de l’emploi pour s’adapter aux fluctuations du marché et de la mondialisation.

Certaines activités comme le tourisme, le transport aérien et l’agriculture comportent une haute et une basse saison, ce qui implique des contrats de travail à durée déterminée. «Si on peut licencier, on a tendance à recruter beaucoup plus facilement.»

Selon l’UTICA, les relations employeurs-salariés doivent être inspirées par la confiance, la transparence et le dialogue.

De son côté Houcine Abassi trouve que la flexibilité du travail correspond à une fragilité de l’emploi. On ne peut plus admettre de nos jours que les travailleurs ne bénéficient que de bas salaires et d’une protection sociale minimale.

«Celui qui finance n’a pas tous les droits et les travailleurs sont un partenaire de taille dans l’entreprise, qui doit participer au dialogue et à l’élaboration de l’avenir de l’entreprise.»

L’UGTT ne peut accepter une plus grande flexibilité du Code du travail puisque celui-ci comporte dans son article 6 la possibilité de contrats de travail à durée déterminée durant quatre années consécutives. Le ministère des Affaires sociales est même habilité à admettre une prolongation de cette durée si certaines conditions l’exigent.»

Pour ce qui est de la productivité, M. Abassi exige une motivation et un intéressement des travailleurs en plus du salaire.

Du reste, l’instauration de la productivité implique la définition de normes et cela dépend des matières premières, de la formation du personnel et de la technologie utilisée.

L’UGTT conteste et rejette toute forme de sous-traitance et d’intérim. Pour M. Abassi il n’est pas question que l’État cède certaines de ses activités de production industrielle ou de services publics actuels à des intérêts privés sous prétexte de manque de rentabilité ou d’endettement.

De son côté M. Walid Bel Haj Amor, intervenant dans le débat, a insisté sur la nécessité de sauvegarder la pérennité de l’entreprise, celle qui investit, crée de la valeur ajoutée, exporte, crée de l’emploi, respecte la législation fiscale et sociale. C’est dire qu’il n’y a pas de consensus.

L’IACE organisera un débat durant le premier trimestre 2015 portant sur le dialogue dans l’entreprise avec la participation de l’UTICA et de l’UGTT.

Ridha Lahmar      

 

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