Jusqu’où ira Kaïs Saïed ?

Le 24 août, les 30 jours d’état d’exception décrétés par Kaïs Saïed prendront fin. Mais pour l’heure, le président reste muet sur la suite.
Les Tunisiens ont les yeux rivés sur le calendrier. Une question est sur toutes les lèvres : que se passera-t-il le 24 août, au terme du délai de 30 jours d’état d’exception fixé par le président Kaïs Saïed ? Le 25 juillet dernier, jour de la Fête de la République, le chef de l’Etat s’est arrogé les pleins pouvoirs pour « sauver » la Tunisie, en proie à une triple crise – politique, économique et sanitaire – de « périls imminents ». Avec le gouvernement limogé, le Parlement suspendu, lui seul tient désormais entre ses mains l’avenir du pays. Kaïs Saïed a promis de nommer un gouvernement rapidement. Mais le chef de l’Etat tarde à dévoiler ses intentions. Quels scénarios pour l’après-24 août ?
*La Cour constitutionnelle fantôme
En théorie, Kaïs Saïed peut rétablir l’ordre institutionnel dans le temps imparti, nommer un Premier ministre qui composera un gouvernement et rétablir les travaux du Parlement. L’article 80, invoqué par le président le 25 juillet pour établir des mesures d’exception, indique d’ailleurs que ces dernières « doivent avoir pour objectif de garantir le retour dans les plus brefs délais à un fonctionnement régulier des pouvoirs publics. » Et de préciser que « ces mesures cessent d’avoir effet dès que prennent fin les circonstances qui les ont engendrées. » Mais qui d’autre que le président pour en juger ? La Cour constitutionnelle ? Sur le papier, c’est son rôle. Dans la réalité, cette institution, prévue par la loi fondamentale de 2014, n’a jamais vu le jour. « Nous n’avons pas de garde-fou contre l’autoritarisme », alerte sur le site d’informations Inkyfada Sana Ben Achour, professeure de droit public.
Le président de 63 ans se défend, lui, de toute ambition despotique. « Ce n’est pas à cet âge que je vais commencer une carrière de dictateur », a-t-il déclaré à la presse vendredi, reprenant une citation de Charles de Gaulle. Les premiers actes posés depuis le 25 juillet en inquiètent toutefois plus d’un, à l’instar du politologue Mohamed-Dhia Hammami, à Tunis. « D’abord, l’interprétation douteuse de l’article 80 de la Constitution laisse sceptique. Par exemple, il ne prévoit pas du tout que le Parlement soit suspendu. Cela montre à quel point la loi n’est, pour Kaïs Saïed, qu’un instrument au service de ses actions. Ensuite, la traduction de plusieurs députés devant des tribunaux militaires depuis le 25 juillet envoie un signal négatif en matière de respect des droits de l’homme, car cela fait prévaloir une justice alternative à la procédure habituelle. »
Pour l’heure, Kaïs Saïed, qui n’est affilié à aucun parti politique et surfe volontiers sur son profil d’outsider, compte sur le soutien de la rue, lasse d’une classe politique corrompue. Selon le dernier sondage d’opinion du cabinet Emrhod Consulting, publié le 28 juillet, près de 9 Tunisiens sur 10 soutenaient le président et 77% se disaient optimistes quant à l’avenir de la Tunisie, contre 45% le mois précédent. C’est dire à quel point le coup de force de « Monsieur Propre » – surnom donné au chef de l’Etat pour ses promesses en matière de lutte contre la corruption – a suscité l’espoir. La désillusion pourrait être d’autant plus amère, selon le chercheur Mohamed-Dhia Hammami. « Je m’attends à un renouvellement des mesures d’exception. Mais pour l’instant, Saïed est populaire, c’est son atout maître », analyse-t-il.
*L’article 163, la botte secrète de Saïed ?
Jusqu’où ira Kaïs Saïed ? Le chef de l’Etat, qui maintient qu’il agit conformément à la loi, pourrait bien en faire à nouveau usage, avec un article susceptible de signer l’arrêt de mort de son plus féroce opposant : le parti islamiste Ennhadha, dominant à l’Assemblée, mais politiquement affaibli. L’article 163 du code électoral énonce que tous les membres élus d’une liste électorale qui a reçu un soutien financier de l’étranger pour sa campagne sont exclus du Parlement. Or, le 14 juillet dernier, la justice tunisienne a ouvert une enquête – rendue publique le 28 – contre Ennahdha, son allié Qalb Tounes et la formation Aïch Tounsi… pour financement étranger de leurs campagnes en 2019. Si les faits sont avérés, le président pourrait invoquer l’article 163. Une arme fatale, puisque ce dernier stipule aussi que les élus reconnus coupables seront rendus inéligibles.
(L’Express)

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