Kaïs Saïed a prêté serment : Pas de changement de cap

« Je n’ai pas le droit de décevoir ». C’est ce que déclarait Kaïs Saïed, dix jours après son élection à la magistrature suprême le 15 octobre 2019, lors de la cérémonie de prestation de serment devant l’Assemblée des représentants du peuple.
Cinq années sont passées depuis et le revoilà réélu pour un second mandat qui le mènera à la tête du pays jusqu’en 2029. Et il est opportun de se rappeler l’allocution qu’il avait prononcée à l’occasion. Une allocution aux accents tantôt solennels et fermes, tantôt rassembleurs. Celle de ce lundi 21 octobre 2024 n’en est pas loin, ni par le ton ni par les engagements et l’attitude.
Se plaçant dans une position suprapartisane, Kaïs Saïed avait fait du « peuple » son interlocuteur privilégié. Aujourd’hui, il a pris ce peuple pour témoin pour renouveler ses engagements, notamment ceux en rapport avec les libertés et les acquis sociaux qu’il avait promis de renforcer.
Autre engagement qui revient dans le discours d’investiture d’aujourd’hui, celui qu’il n’y aura aucun pardon, « même pour un centime dilapidé », jurant d’être impitoyable dans la lutte contre la corruption et ses dérives.
Pas de changement de cap donc, le président de la République, égal à lui-même, ne laisse entrevoir aucun changement dans le processus engagé depuis le 25 juillet 2021. Et c’est à peu près avec les mêmes termes qu’il a, à nouveau, esquissé les contours d’un «monde nouveau», avec pour maîtres-mots : «espoir», «liberté» et «dignité».
Kaïs Saïed rappellera dans ce contexte que la décision de geler les travaux de l’ARP n’était connue de personne et qu’elle était dictée par le sentiment de responsabilité nationale et de devoir historique. « Grâce au processus politique déclenché par la proclamation de l’état d’exception, le peuple a récupéré sa révolution ». « La tâche n’était pas aisée, les dangers étaient grands. Nous étions comme celui qui marchait dans des champs pleins de mines. Les anciens bras du régime étaient comme des vipères circulant partout. Nous entendions leurs sifflements même si nous ne les voyions pas. Outre les traîtrises et les tentatives d’envenimer les situations par tous les moyens. Certains disaient qu’ils ne connaissaient pas toutes les réalités et qu’il y avait un retard, mais il s’agit de prendre son temps pour préserver la continuité de l’État et la paix sociale afin qu’aucune goutte de sang ne coule. Dernièrement, il y avait un plan de faire sombrer le pays dans un conflit de légitimité ; même la date était fixée, mais heureusement que le Parlement était présent pour sauver le pays d’un plan sioniste et maçonnique ».
Il soutiendra dans ce contexte : « Nous allons œuvrer de pied ferme et sans relâche pour répondre au mieux aux aspirations des Tunisiens et réaliser les vrais objectifs de la révolution qui a connu des dérives pendant plusieurs années ».
Ceci dit, il a réaffirmé sa détermination à « relever tous les défis et à surmonter tous les obstacles ». Et d’ajouter : « Nous serons au rendez-vous de l’Histoire pour répondre aux attentes légitimes du peuple tunisien ».
« Le devoir exige de saluer tous ceux qui se sont sacrifiés pour l’indépendance du pays, mais aussi ceux qui ont libéré le pays des traîtres, des voleurs, des tyrans et ceux qui espéraient faire imploser le pays et le disloquer. Le peuple souverain a dit son dernier mot en toute liberté le 6 octobre 2024 ».
Ceci n’est pas sans rappeler pareils propos quand, en 2019, il remerciait «ceux qui ont choisi une autre voie et ont élu librement une autre personne.»
Le ton donné étant le même, Saïed souligne que « cette responsabilité que nous assumons tous, exige de redoubler d’efforts dans tous les domaines pour que le peuple tunisien puisse vivre librement et dignement dans un Etat souverain ».
« Le peuple a choisi de traverser et de poursuivre la guerre de libération des résidus, des reptiles venimeux et des vipères. Le peuple a choisi le défi et il va relever tous les défis. Nous ne craignons aucun défi ». Dans ce contexte et donnant l’impression d’avoir pris acte de l’important taux d’abstention des jeunes le 6 octobre dernier, et qu’il avait entendu leur message, il fera savoir qu’« il s’agit d’ouvrir une nouvelle voie devant les chômeurs, notamment les jeunes qui sont victimes des décennies de corruption et des choix économiques défaillants. Les classes appauvries ont beaucoup souffert et il n’est pas impossible de trouver des solutions nationales. Il faut se débarrasser des principes désuets et même des expressions révolues. Il faut créer de nouveaux concepts au service de la communauté nationale. Les entreprises communautaires sont une solution, mais il est tout à fait possible d’en trouver d’autres. Les Tunisiens ont besoin de solutions radicales et nous n’acceptons plus les demi-mesures. C’est pourquoi une révolution législative s’impose ».
Dans la même optique, Kaïs Saïed indiquera que c’est le peuple qui mettra désormais en place les stratégies. « Certains parlent encore de modèle de développement. Ce modèle de développement sera créé par le peuple marginalisé et celui qui déterminera l’évolution de l’avenir et c’est lui qui édifiera la construction qu’il veut ».

Droit dans ses bottes
Tout en dénonçant la corruption qui ronge tous les rouages de l’Etat et de l’administration publique, Saïed a promis d’œuvrer à mettre fin aux inégalités, à l’économie de rente qui profite à une dizaine de familles et à rétablir le rôle social de l’Etat dans le cadre d’une économie qui crée les richesses en se basant sur les ressources nationales.
« L’économie de rente ne sert point l’économie nationale, les éléments retenus pour le calcul du taux de croissance sont tous erronés et biaisés. En effet, dans les années 90, le taux de croissance oscillait entre 3 et 6%. Si ces taux étaient corrects, il n’y aurait jamais eu de révolution. Ils établissent les taux de croissance à leur convenance et ils veulent perpétuer un ordre mondial ayant montré ses limites. Un autre défi se dresse devant nous, à savoir la préservation des entreprises publiques après leur assainissement. Il ne s’agit pas de bloquer l’initiative privée, mais la liberté doit être encadrée et le partenariat entre les secteurs public et privé est garanti par la Constitution », a-t-il encore souligné.
Egal à lui-même, fidèle à ses principes et droit dans ses bottes, c’est vers ce qu’il appelle les traîtres et les agents de l’étranger qu’il adressera ses menaces. « Il n’y a pas de place pour les traîtres, les mercenaires et ceux qui se jettent dans les bras du colonisateur ». Et de préciser que la « question sur laquelle nous nous accordons, c’est la patrie ».
Tout en évoquant ceux dont il venait de parler, Kaïs Saïed a déclaré, dans le même ordre d’idées : « Ils veulent être dans les pas d’un ordre mondial qui s’est retourné contre lui-même et qui a atteint son apogée. Aujourd’hui, nous voyons tous le nouvel ordre humain qui commence à prendre forme et qui remplacera cet ordre mondial basé sur une division injuste de la révolution ».
Cela dit, les défis sont multiples et le contexte ne permet pas de les énumérer tous. « L’objectif est de créer un nouveau pays où tout le monde peut vivre dans la dignité. Le défi ne peut s’accompagner que par la lutte, notamment la lutte contre le terrorisme, la corruption ».
Il ne s’empêchera pas de mentionner un autre défi et non des moindres, celui de la préservation des entreprises publiques après qu’elles ont été «purgées et assainies pour rétablir leur équilibre par rapport à ceux qui les ont infiltrées, pillées et torpillées en vue de leur démantèlement».
« La libre initiative n’est pas soumise au chantage ou à l’extorsion », a-t-il affirmé, ajoutant que « la liberté est garantie dans la sphère économique, et qu’elle est préservée et protégée dans la sphère politique également, mais que la liberté ne signifie pas le chaos, la calomnie, les insultes, les jurons et la diffamation, ni qu’elle porte atteinte aux droits et viole la loi ».
Le président de la République a, d’autre part, mis l’accent sur la nécessité pour l’Etat de renouer avec son rôle social plein et entier. « Les droits sociaux tels que l’éducation publique, le transport, la santé publique, le logement décent, le travail stable, les salaires équitables et la couverture sociale sont autant de défis que l’État doit relever, car il s’agit de droits humains naturels », précisant que cela ne signifie pas qu’il faille s’en prendre à la libre entreprise, car la Constitution garantit la coexistence des secteurs privé et public sur la base de la justice sociale.
Il faut retenir que pour le président de la République, et il l’a souligné à plusieurs reprises dans l’exercice de sa fonction, « il n’y a de place que pour celui qui veut travailler sincèrement pour réaliser les aspirations et les revendications du peuple. Aucune place, pour ceux qui entravent le fonctionnement des rouages de l’État. Nous avons besoin d’une nouvelle révolution culturelle qui change les mentalités et les anciens concepts ».
En guise de conclusion, Kaïs Saïed affirmera qu’il était désormais possible d’élaborer d’autres solutions et de ne pas se contenter de mesures partielles, et appelle pour ce faire, au lancement rapide d’une « révolution législative » visant à concrétiser les aspirations du peuple tunisien.
« Il faut bâtir une économie nationale basée sur la création des richesses, à la lumière de choix économiques nationaux issus de la volonté du peuple. De ce fait, il sera possible de réaliser ce qui était considéré comme un rêve ou relevant de l’impossible ».
Le ton est donné, les objectifs n’ont pas changé et le processus va se poursuivre. Reste à définir les moyens de concrétisation de ces ambitions.
La séance s’est déroulée en présence des présidents des deux chambres parlementaires, du Chef du gouvernement, du Mufti de la République, de l’Archevêque de l’église catholique de Tunis et du Grand Rabbin de Tunis, en plus des membres du gouvernement, des députés et des membres du CNRD.

FB

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