Il tire sur le collier, le fil casse et les boulons, jusqu’ici maladroitement alignés, s’éparpillent et rebondissent dans toutes les directions ! À l’instar de Don Rodrigue dans le Cid de Corneille, Kaïs Saïed avertissait : «Mes pareils à deux fois ne se font point connaître. Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître» (acte 2, scène 2). La crise se creuse depuis plus d’une décennie. Plusieurs coups de semonce auraient dû sonner l’alarme. Les responsables politiques, fort peu responsables ou complètement irresponsables en l’occurrence, les ont superbement ignorés. Il s’est avéré que le mode d’organisation de l’État, choisi après la chute de l’ancien régime, n’est en fait qu’une recette pour une politique instable, sujette aux caprices des foules, dans laquelle lobbyistes, prédateurs et agents d’influence règnent en maîtres. Entre les principes démocratiques, les difficultés juridiques, les interprétations de la Constitution, la réalité chaotique sur le terrain, la colère populaire devant cette situation dramatique et les réticences politiques, l’équation est redoutable et l’influence des illusions grande. Notre président n’y va pas par quatre chemins. Il traque les détails de l’actualité, entre politique et histoire. Il va direct, en vitesse, à l’essentiel. Quoi de plus libérateur que de regarder les prédateurs politiques en face, droit dans les yeux, sans illusion ? Tout bon dirigeant ne doit pas hésiter, si nécessaire, à s’écarter de quelques principes sans écorner son image de marque. Tout l’art politique est là ! Machiavel l’a bien dit : «Celui qui veut en tout et partout se montrer homme de bien ne peut manquer de périr au milieu de tant de méchants.» C’est la «realpolitik». Toutefois, s’en tenir là est trop court. On peut en effet combattre les usages politiques pervers et dénoncer leurs puissances manipulatrices, sans rejeter pour autant une certaine moralité de gouvernance. Le problème est le «comment fait-on» et non le «que fait-on». Pour Kaïs Saïed, la «Révolution», avec une majuscule, signifie l’accouchement d’une société nouvelle, délivrée de l’exploitation de l’homme par l’homme. C’est ce moment décisif où les damnés de la terre renversent la domination des oppresseurs et accèdent à un pouvoir libérateur, et c’est pour cela qu’il veut inculquer au peuple le dévouement patriotique plus que la raison démocratique. Il visait à resserrer les rangs des «gens d’en bas» contre la tentation d’opposer à une «bonne» révolution, celle des jeunes et des pauvres, des droits de l’homme et du citoyen, une «mauvaise» révolution, celle des prédateurs, des opportunistes et des extrémistes. Son obsession se situe, en un certain sens, par-delà le légal et l’illégal. C’est la fondation et la conservation d’un Etat stable qui le préoccupe, conscient que toute autorité est jugée selon ses résultats. Cette approche répond en tout cas à une double préoccupation. Le Président sait que le pays reste un volcan. Il doit convaincre qu’il n’est plus tout à fait le même depuis l’embrasement de la «fièvre» du 25 juillet dernier et qui couve toujours, comme les débordements de violence récurrents le démontrent. Il a aussi en tête l’idée de savoir ne pas aller trop loin. C’est-à-dire de ne pas détruire sa crédibilité par une dose excessive de «passions». Tunisiens, n’écoutez plus les sectes, les médias apocalyptiques, les marchands de la peur, les complotistes, les pessimistes, les talibans bleus. La Tunisie est féconde. Pour vous en convaincre, courez ouvrir un livre sur notre Histoire trois fois millénaire.
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