Kaïs Saïed : Un nouveau discours… un nouveau président !

Le télescopage de l’actualité ces derniers jours était cruel, impitoyable même. L’atmosphère dans le pays, pétri de tensions et de frustrations accumulées, reste hautement inflammable. Dans son livre «la religion française», Jean François Colosimo écrivait : «Les nations ne meurent pas, ni se suicident d’un geste, en un coup sec qui les ferait tomber de leur hauteur….Rien n’est écrit, tout peut être sauvé à tout moment «. Cela commence étrange, et puis, mine de rien, on entend un petit cliquetis, la phrase a quitté ses rails, elle part ailleurs, et on se retrouve, tant bien que mal, dans le désarroi. Cette fois-ci ce n’est pas «une mule qui a trébuché en Irak» ! Mais un coup de tonnerre. On se souvient peut-être de ce que disait Descartes à propos de la cire. Une fois livrée à la flamme, elle change, et change si radicalement qu’on pourrait croire que ce n’est plus la même cire. C’est le nouveau Kaïs Saïed. «Le secret d’ennuyer est celui de tout dire», avertissait Voltaire. Ce n’était pas, semble-t-il ce que pensait notre président, dans ses discours d’avant le 25 juillet,  il succomba au pouvoir des mots, lesquels semblent tout rendre superflu jusqu’au si ancien métier de prêcheur qui consiste à mêler la tragédie à la farce, les malheurs de l’histoire au ridicule du quotidien.   Histoire d’être plus proche du patrimoine arabo-musulman qui est, n’en doutons pas, plongé dans un marécage de misérabilisme. Donc raison pour qu’il parle comme si Al Ma’ari lui tendait un prompteur : «ahmilini zakafouna» (portes-moi à califourchon) ! Par quelle mystérieuse alchimie d’allure, de méthode, de stratégie même écrit-il son nouveau discours ? De quelle force morale  et politique s’autorise-t-il, de quelle  philosophie politique témoigne-t-il ? Les réponses à ces questions permettent de mieux comprendre le changement radical et surprenant de son discours. Kaïs Saïed n’a rien d’un artisan du concept ni d’un architecte systématique d’une vision politique qu’on a souvent tendance à le croire, généralement sans l’avoir bien écouté. Mais enfin, il vient de rappeler un principe façonné par l’histoire de la démocratie dans le monde : aucun responsable ne peut se placer au-dessus de l’État de droit. Ce rappel à l’ordre par le président sonne comme le pire camouflet qu’un pouvoir législatif et exécutif en place puisse essuyer. Un retour à la démarche première du Grand Bourguiba  qui ne forgeait de théories que pour guider la foule, et ne rédigeait de discours que pour créer l’évènement. Kaïs Saïed, qui n’aime rien tant que jouer avec les mots, les étirer comme des élastiques ou les retourner comme les doigts d’un gant, joue à l’envi avec ses idées. son dernier discours est pluriel, s’y croisent un courant autoritaire (Omar Ibn Al-Khatab), l’assimilation républicaine (Bourguiba), le combat pour la justice sociale (Nasser) et «la grande tactique» (Hannibal et  Napoléon), «Le grand art, c’est de changer pendant la bataille. Malheur au Général qui arrive au combat avec un système» a dit Bonaparte citant Hannibal. Reste, il manque un élément essentiel dans ce nouveau discours : une radiographie de son clan explorant ses couches, ses strates, bref sa dynamique interne, qui puisse expliquer pourquoi certaines questions se posent et d’autres sont tues. Ce n’est pas une lubie libertaire, ni  un rêve de people déjanté, mais bien un choix politique qui va dans le sens voulu par le peuple. Kaïs Saïed a certainement lu  plusieurs fois l’œuvre d’ Al-Hamadhānī qui disait  «je change avec le temps, comme je change de nom et d’origine ; le temps dispose à son gré de ma généalogie, quand elle lui déplaît, j’en adopte une autre». Et d’une lecture à l’autre, on ne saute jamais les mêmes passages !!!

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