L’« arrêté municipal » de Thigibba

La ville berbéro romaine, qui s’appelait Thigibba, dont le site, aujourd’hui, porte le nom de Hammam Zouakra est unique en Tunisie et sans doute en Afrique du nord. Elle est située à une dizaine de kilomètres du grand camp militaire de Souk Jemaa, à une vingtaine de kilomètres de Makthar. Elle a été bâtie sur le plateau des Ouled Ayar dans une région connue pour le nombre important de ses sites archéologiques. L’historien, Mustapha Khanoussi, a découvert le nom de la cité en traduisant une inscription funéraire s’adressant à une défunt : « Tigimma te genuit, tenet Thigibba sepultum » : « Tigimma t’a engendré, Thigibba (te) tient enseveli ».

 

Présentation

La superficie estimée de l’étendue des ruines est d’environ 80 ha, ce qui classe la ville parmi les nombreuses cités moyennes de Tunisie telles que Bulla regia, Mactaris / Makthar, Simithus / Chemtou, etc …

Le site de Thigibba n’a pratiquement été fouillé qu’en certains endroits. Méconnue des savants, ignorée du grand public, cette cité existait déjà au début du IIIe Siècle av. J.C. comme le prouvent les tessons de céramique ramassés sur le site. Elle a donc été fondée ou plutôt elle a dû commencer à exister en tant que noyau urbain quelques décennies plus tôt, à l’époque où la Numidie, dont la ville faisait partie, commençait à s’organiser et à s’urbaniser.

La céramique prouve que Thigibba a été occupée jusqu’aux premiers siècles après la conquête arabo-musulmane.

Cette ville a donc connu plus de mille ans d’histoire qui restent à découvrir.

Ce qui surprend d’abord le visiteur, c’est l’énorme nécropole mégalithique qui, avec plus d’une centaine de « monuments » – sans compter ceux qui ont été détruits par les hommes ou l’érosion !- forme l’ensemble mégalithique le plus important connu actuellement. Ces sépultures ont été construites à flanc de collines, étagées en plusieurs lignes le long de la pente.

La plupart de ces « monuments » sont recouverts d’énormes dalles de pierre. La chambre sépulcrale qu’ils contiennent est, elle aussi, construite avec de grandes dalles. L’entrée est souvent encadrée par deux dalles assez bien équarries et en partie recouverte par un mégalithe qui fait partie du toit du monument. Passée la porte d’entrée, on se trouve dans une petite « chambre » qui communique avec la chambre sépulcrale par une ouverture assez petite, souvent obstruée par de grosses pierres, ménagée dans le mur situé en face de la porte d’entrée.

Manifestement, ces « monuments » sont des sépultures collectives qui ont été utilisées durant des siècles comme toutes celles de la région et de Makthar en particulier.

L’importance de la « cité des morts » prouve que de nombreux vivants vivaient en ces lieux, à l’époque numide et que Thigibba, qui est manifestement un toponyme d’origine berbère, était une ville importante.

La construction de ces monuments exigeait une cohésion et une organisation sociale très forte, des croyances religieuses bien établies et des compétences techniques, empiriques certes, qui permettaient de déplacer des mégalithes de plusieurs tonnes.

Cette nécropole mégalithique, la plus importante de Tunisie, peut être facilement visitée puisqu’une petite route goudronnée, traversant des paysages très pittoresques, la relie à Makthar et à Ellès.

 

Les autres vestiges 

Mais ce n’est pas la seule raison de visiter le site de Thigibba. L’histoire dira un jour que la ville berbère a intégré les influences carthaginoises comme ses voisines Makthar, Thala, Medeina / Althiburos, etc …

Les stèles funéraires, caveaux, mausolées, construits entre les alignements de sépultures mégalithiques prouvent, d’une part, que la ville continua à vivre aux époques romaine et byzantine, d’autre part, que la population est bien berbère « romanisée » puisque les sépultures se mélangent alors que les cultes et les dieux sont différents.

Les vestiges d’une imposante muraille qui entourait la ville sont visibles par endroits. Daterait-elle de l’occupation byzantine à l’époque où la Berberie était constamment révoltée ou du début de la conquête arabe ?

De la ville « romaine » on ne voit que très peu de monuments : les archéologues ne se sont guère intéressés à cette cité.

Cependant, un monument justifie à lui seul une visite du site. C’est une porte ou arc triomphal qui devait être l’entrée principale du forum de la cité. Il a été un peu dégagé et sur un de ses pieds droits, en lettres majuscules, de 20 cm de haut, une inscription en latin avertit :

« SI QUI HIC URINAM FECERIT HABEBIT MARTEM IRATUM »

« Si quelqu’un urine ici, il aura Mars irrité » ! 

Tout le monde reconnaîtra que le risque d’éveiller la colère de Mars – le dieu de la guerre ! – dissuade davantage n’importe quel « incontinent » qu’un quelconque avis municipal.

Manifestement cette inscription originale est unique au monde et, à ce titre, elle mériterait d’être conservée. Hélas ! Les pierres dans lesquelles elle est gravée, attaquées par les intempéries, se délitent progressivement et l’inscription risque de disparaître avant … que le public ne l’ait connue !

Avant que cette épigraphie, curieuse pour le moins, certainement unique au monde, ait disparue, serait-il impensable d’imaginer qu’on puisse en faire un moulage ? Ce ne serait ni très difficile, ni très long, ni très onéreux. Ce moulage pourrait être « imprimé » dans un support résistant tel que de la pierre reconstituée qui aurait exactement les mêmes dimensions, les mêmes couleurs et les mêmes formes que les pierres de l’arc de triomphe de Thigibba. Et, à partir de là les « choses » deviennent un peu moins urgentes puisque l’inscription est sauvée.

Les pierres de l’arc de triomphe peuvent être « protégées » par un abri ou traitées pour renforcer leur dureté et leur résistance aux intempéries.

On pourrait imaginer de les retirer du monument et de les remplacer par des « copies » plus résistantes. Mais cette solution est non seulement difficile à mettre en œuvre mais aussi très onéreuse. Mais n’importe quelle solution, permettant de sauver cette inscription, serait préférable au « laisser-faire » actuel qui va aboutir à la destruction, la disparition d’un document unique.

 

Les promenades

Tout autour de Hammam Zouakra, il existe de multiples possibilités de randonnées pédestres. A quand des promenades à cheval ? Les marcheurs peuvent envisager de belles escapades : escalader la Kalaat El Harrath toute proche, couverte d’orchidées au printemps, aller à Ellès, à Magraoua, escalader des Kalaat au sud de ce dernier village. Presque tous les sommets voisins ont plus de 1000 mètres d’altitude. Si on n’est pas un champion, une belle ballade sous les pins de la forêt des Ouled Ayar ne manque pas de charmes.

Fasse le ciel – et le dieu Mars – qu’on prenne prochainement la copie de cette inscription afin que les générations futures puissent en avoir connaissance ! Il serait tout à fait souhaitable que Makthar et ses alentours se dotent d’une infrastructure hôtelière, non pas d’énormes « palaces » nécessitant des investissements très importants, mais de petits hôtels disparaissant dans l’environnement et des gîtes ruraux hospitaliers. Thigibba fait maintenant partie d’un « circuit des mégalithes » comprenant les sites d’Ellès, de Mididi et de Makthar.

Par Alix Martin

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