L’avenir, c’est aujourd’hui

C’est l’une des nombreuses pièces qui manquaient au puzzle pour tracer la trajectoire de la Tunisie dans le domaine des relations internationales et comprendre l’orientation de sa politique diplomatique, après plus d’une décennie d’hibernation. En recevant le ministre des Affaires étrangères, lundi dernier, après une absence de plusieurs jours due à un « congé de maladie » sujet à polémique, Kaïs Saïed a entériné sa décision de (re)normaliser les relations avec la Syrie, chargeant le ministre d’engager la procédure pour la nomination d’un ambassadeur en Syrie, et a souligné «la nécessité de respecter les principes diplomatiques de la Tunisie ». Ces derniers se basent, selon Kaïs Saïed, essentiellement sur le non-alignement derrière les coalitions et sur l’indépendance de la décision nationale, précisant que « les décisions diplomatiques de la Tunisie émanent des seules aspirations du peuple tunisien ». 
Ainsi, les choses sont claires : la Tunisie ne se rangera ni derrière le bloc occidental représenté par les Etats-Unis et l’Union européenne, ni celui oriental dirigé par la Chine et la Russie, précisément dans le conflit russo-ukrainien dont l’enlisement a entraîné d’importants changements géostratégiques et rebattu les cartes des anciennes alliances et autres coalitions. Ceci ne veut nullement dire que la Tunisie va couper les ponts avec tous ses anciens partenaires, mais signifie plutôt la volonté politique de sauvegarder les liens et les bonnes relations avec toutes les parties comme cela a toujours été le cas depuis l’époque de Bourguiba. 
Au cours d’un récent entretien téléphonique, les ministres des Affaires étrangères tunisien, Nabil Ammar, et russe, Serjey Lavrov, ont souligné l’importance des positions pondérées et responsables dans un monde où des changements profonds et rapides s’opèrent. Ce qui signifie que chacun des deux pays reste attaché à la défense de ses intérêts sans nuire aux intérêts de l’autre. Il n’en demeure pas moins que derrière ce contact téléphonique se joue la confection de la nouvelle carte du monde qui devrait voir émerger deux blocs influents, voire trois : bloc Ouest (USA-UE), bloc Est (Russie, Chine, Iran, pays asiatiques, pays latino-américains) et le Moyen-Orient (Pays du Golfe et autres pays arabes) soutenu et encouragé par la Chine et la Russie. La Tunisie devra à terme choisir son camp pour renforcer son immunité géostratégique, quand elle sera sortie de sa crise économique endémique. 
La récente initiative arabe annoncée pour aider la Tunisie à sortir de l’impasse économique, dont on n’a encore rien de concret, en attendant d’obtenir (ou pas) le prêt du FMI, est un indice du choix qui devra être fait, si l’initiative est menée à terme. Ce que le camp occidental n’est pas prêt, semble-t-il, à concéder, au regard du rétropédalage constaté dans les propos des officiels américains et européens qui sont désormais prêts à aider financièrement la Tunisie pour peu qu’elle s’engage à lancer les réformes exigées par le FMI, des réformes sociales douloureuses auxquelles Kaïs Saïed s’oppose pour éviter l’explosion sociale. C’est donc l’impasse, à moins que la guerre pour l’hégémonie mondiale entre les Occidentaux d’un côté, et les Russes et les Chinois de l’autre, n’engendre des opportunités pour la Tunisie dont la situation géographique aux portes de l’Afrique et de l’Europe, et voisine de l’Algérie et de la Libye, a son pesant d’or.
Avec la guerre russo-ukrainienne, le monde est en pleine reconstruction et toutes les opportunités offertes par ce nouvel ordre mondial sont à saisir pour se faire à nouveau une bonne place dans le concert des nations. Malheureusement, les crises internes interminables bloquent le pays et l’empêchent de se tourner vers l’avenir. La responsabilité de ce blocage revient aussi bien au pouvoir en place, qui refuse tout dialogue, toute communication et toute collaboration avec les forces vives de la nation pour trouver une issue à la crise, qu’à l’opposition dont l’unique souci est de revenir aux premières loges du pouvoir et profiter de ses avantages. 
C’est le bilan de cette opposition qui a « gouverné » pendant dix ans, qui a ruiné la Tunisie et affaibli son Etat, et ses représentants ont perdu toute crédibilité auprès des Tunisiens qui ont revendiqué leur éloignement du pouvoir. Cette opposition s’accroche encore aujourd’hui au pouvoir et cela crée des tensions, car une bonne partie des Tunisiens ne croient plus à ses promesses de démocratie qu’elle prétend vouloir instaurer et ce, depuis 2011. 
Il faut espérer à présent que le nouveau Parlement, élu et installé, s’attelle rapidement, sans perdre de temps, à réviser la législation et à voter d’autres textes pour faire sauter les verrous qui bloquent l’économie nationale, l’initiative privée et les horizons pour les jeunes. 
Ce premier Parlement post-25 juillet est censé être exemplaire en termes de loyauté à la nation et d’intégrité personnelle, ses membres sont appelés à bien faire leur travail et à ne pas décevoir. Dans le cas contraire, le pire est à craindre, car la Tunisie ne résistera pas à une nouvelle déception nationale. Ce Parlement est, également, appelé à se pencher au plus vite sur la crise de l’eau pour sauver notre agriculture et notre sécurité alimentaire. Il est grand temps que toute l’Administration publique se réveille et que l’on se mette au travail avec le plus grand sérieux et la plus grande discipline, car à terme, si aucune initiative étrangère n’arrivait pour secourir l’économie tunisienne, le salut national dépendrait de notre propre effort pour sortir le pays de sa léthargie.

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