Depuis son invention, le feu exerce un effet de séduction. Les yeux rivés sur la cheminée, les subjugués cessent de parler. A travers les ruelles tortueuses de la médina, les gavroches hurlent « flousse il gaz ».
Ils réclament aux passants leur contribution à l’achat du pétrole requis par l’allumage du brasier sur lequel sauter avec le risque et la joie entremêlés.
Chaque fois, la scène réapparaît lors de l’achoura. Hélas, la Tunisie n’est plus la Tunisie et le feu prend une autre signification.
Avec les barbus, maîtres du vice, du machisme et des pires sévices, l’imaginaire confère au feu des zones forestières, un sens délétère. Au cœur de la subjectivité collective, la représentation du feu change et l’aspect festif de l’achoura évacue les territoires envahis par l’allure macabre de la nakba. Vu leur concomitance, le rejet des nahdhaouis, ravageurs du pays, et la démultiplication des incendies originent le soupçon porté sur les intéressés à la terre brûlée. Une question prime : à qui profite le crime ? Cependant, à l’instant même où une convergence de probabilités notoires oriente l’investigation vers les revanchards, leur gourou déclare : « Ennahdha ne doit son émergence ni au temps de Bourguiba, ni à celui de Ben Ali, son avenir est lié au devenir de la démocratie en Tunisie ».
Le cheikh a bel et bien raison, tant la chronique de l’usurpateur, mot cher à Victor Hugo, pactise avec la sinistre Hillary et son chaos destructeur.
Le passage d’un feu à l’autre exhibe le sabotage de l’option démocratique par la tendance théocratique.
Avant l’usurpation du pouvoir par les bagnards, le feu attirait un regard nimbé de positivité.
Une fois les céréales fauchées, les glaneuses ramassaient les épis tombés. Puis, la mise à feu des champs déploie l’épandage des cendres fécondatrices des sols soumis à la culture sur brûlis.
Le feu des saboteurs succède au feu du laboureur. Tel apparaît l’un des marqueurs de la catastrophe économique, politique et culturelle réussie par les nahdhaouis. Leur mise à feu des zones forestières prémunit l’incendiaire contre l’enfer divin par l’entremise de la géhenne infligée aux humains. Et au cas où pareille représentation religieuse ne hanterait pas leur éthos islamiste, l’explication humaine, trop humaine, serait l’espoir de revenir au pouvoir.
Les feux croisés, dirigés vers le Carthaginois par la bande à Ghannouchi, le présumé invincible, ratent leur cible. Car, si doué soit-il, aucun personnage singulier ne serait parvenu à sabrer la mafia si le ressentiment populaire ne l’avait vomie déjà.
Interviewé le 9 août, Fathi Trabelsi, âgé de 37 ans, résident à hay Mnihla et collecteur de plastique, me dit : « On m’achète le kilo à 750 millimes et il me faut trouver beaucoup de bouteilles pour nourrir mes deux enfants, un garçon et une fille. Tout ce travail pour gagner de quoi manger. Regardez mon visage et mes habits. Les khouanjias ont pris la place de Ben Ali et ils ont apporté la misère. Ils nous ont esquintés ».
Parmi bien d’autres, ce genre de propos cligne vers le mot d’Henry Miller : « Ce n’est pas des ravages consécutifs aux tremblements de terre, aux volcans, aux tornades et aux raz-de-marée dont souffre l’homme, mais de ses propres méfaits ». Or le cheikh Rached Ghannouchi n’a jamais cessé de nier sa responsabilité.
Coriace, de moins en moins efficace, il paraît divorcer avec le sens du réel et interrompt la médiatrice par ces paroles factices : « Vous essayez de me placer dans la cage des accusés ». La répétition colérique de sa réplique rejoint « la résistance » opposée lorsque le psychanalyste approche de la vérité cachée.
Pour le gourou accablé, il s’agit avant tout de nier sa responsabilité avérée.