L’exemple de l’Ugtt

Par Faouzi Bouzaiene

C’est ce qu’on appelle choisir le juste milieu ou tenir le bon bout. L’exemple nous est donné par l’Ugtt qui fait savamment preuve de ruse en maniant, avec tact, tour à tour, le chantage, la surenchère et la patience, voire même le compromis. L’expérience de l’organisation de Hached y est sans doute pour quelque chose. La Centrale ouvrière sait manier la carotte et le bâton avec le gouvernement et avec le président de la République qui, eux, restent figés, inertes, sans réaction. 
Alors, Noureddine Taboubi et ses lieutenants n’y vont pas avec le dos de la cuillère quand il s’agit d’affronter verbalement pour se faire entendre et de menacer de fronde sociale Najla Bouden et ses ministres ; ou, quand ils défient l’irréductible Kaïs Saïed en décrétant une première grève générale du secteur public au moment où une délégation du FMI visite la Tunisie, et en annonçant une deuxième de la fonction publique au moment où le projet de constitution est sur le gril et que la campagne électorale pour le référendum est sur le point de démarrer. Aucun parti politique n’a aujourd’hui le poids de l’Ugtt ni son influence sur le cours des choses. L’Ugtt peut faire débrayer des secteurs entiers de l’économie nationale et de l’Administration, tandis que la plupart des partis politiques n’arrivent plus à mobiliser que quelques dizaines, voire des centaines de sympathisants. Les partis politiques ont perdu la face devant les Tunisiens. Ils ne jouent plus leur rôle d’éclaireurs de l’opinion publique et ne peuvent plus prétendre être l’alternative au pouvoir en place. C’est ce qui explique la popularité inébranlable de Kaïs Saïed et du coup de force du 25 juillet. 
La force de l’Ugtt réside, en fait, dans sa capacité à mieux gérer les crises politiques. L’organisation de Hached ne réfute pas le processus de réformes en cours, joue son rôle d’acteur clé de la scène politique nationale et ne condamne pas à l’échec prématurément le projet politique de Kaïs Saïed avant d’avoir pris connaissance de son contenu et de l’avoir étudié. C’est ce courage qui a manqué à nombre de partis politiques pris de panique devant la probabilité que Kaïs Saïed réussisse son référendum et fasse passer sa constitution qui promet bien des changements par rapport à celle de 2014. La Centrale syndicale a même accepté de participer à la campagne du référendum et attend de voir le texte de la nouvelle constitution avant de choisir de voter pour ou contre. Une position réfléchie, malgré tous les reproches que l’Ugtt est en droit de faire au président Kaïs Saïed, comme celui de refuser de tenir un dialogue national inclusif sur les réformes politiques et sociales futures, ou de ne pas tenir compte des propositions socio-économiques et politiques de l’organisation de Hached qui a été de toutes les étapes historiques du pays. L’Ugtt n’a pas de complexes parce qu’elle a une histoire. Taboubi non plus, bien qu’étant lui aussi en disgrâce depuis quelque temps après avoir été la personnalité nationale la plus reçue par Kaïs Saïed au Palais de Carthage. Mais les contacts ont été subitement interrompus sans que personne sache, ou en révèle les raisons. Des sources évoquent un différend autour de certains dossiers de corruption liés à des syndicalistes. Ce serait une épine dans le pied de Taboubi, si ces affaires s’avéraient authentiques, et un obstacle devant tout espoir de voir les deux hommes se réunir à nouveau. Sauf miracle.
En réaction, Taboubi a choisi de faire pression. On ne traite pas la Centrale ouvrière comme n’importe quelle autre organisation ou n’importe qui, fut-il responsable politique ou homme d’affaires. L’Ugtt est un facteur d’équilibre de la vie nationale, la paix sociale en dépend. Les coups de pied dans la fourmilière ne sont pas permis, même s’ils sont présidentiels. 
Alors Taboubi manœuvre. Face à l’inertie de la Cheffe du gouvernement Bouden, qui ne veut ni retirer la circulaire 20, ni la revoir, ni négocier un échéancier de mise en application des anciens accords sociaux signés avec de précédents gouvernementaux, il tient des propos incendiaires et décrète une grève générale dans le secteur public puis une autre, comme souligné ci-haut, avec la fonction publique, sans toutefois en fixer la date pour sans doute laisser le temps à Bouden de réagir, parce qu’il reste ouvert au dialogue. « On ne trouve pas d’oreilles attentives, nous ne demandons pas d’augmentations de salaires mais le rééquilibrage du pouvoir d’achat qui a dégringolé et nous ne faisons pas la grève pour la grève», déclarait Taboubi au terme de la réunion de la commission administrative tenue lundi dernier et qui a avalisé la nouvelle grève dans la fonction publique.
La méthode de Kaïs Saïed, quant à elle, est plus rigide et dans la durée. Il laisse faire, il laisse protester, il ne s’oppose pas aux grèves et ne revient pas sur ses décisions. Les magistrats sont à leur quatrième semaine de grève et ils n’ont toujours pas été reçus par le président de la République, ni la liste des 57 magistrats limogés retirée. L’Ugtt finira sans doute par tenir sa deuxième grève générale sans que la Kasbah ou Carthage donnent signe de vie. Kaïs Saïed compte peut-être sur l’épuisement des grévistes d’autant que les jours de grève ne seront pas payés en vertu de la loi en vigueur. Il compte peut-être aussi sur l’agacement et le ras-le-bol des Tunisiens face aux grèves répétitives, parfois pour un oui ou pour un non, et à terme sur l’impopularité des grévistes et des donneurs d’ordre. La vaste campagne de diabolisation lancée sur les réseaux sociaux contre l’Ugtt après avoir décrété la grève du 16 juin dans le secteur public en est un exemple. 
Kaïs Saïed pourrait avoir gain de cause auprès de ses partisans et de tous les Tunisiens qui assurent que l’économie nationale a souffert des grèves successives et interminables depuis 2011. Mais le revers de la manche sera violent. Si le référendum échoue, Kaïs Saïed coulera, parce qu’il ne trouvera personne pour lui tendre une perche. Et Taboubi qui l’a soutenu le 25 juillet 2021 et soutenu son coup de force, ne pourra plus rien pour lui. 

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