Au risque de passer pour quelqu’un qui caresse dans le sens du poil ou pour un ignorant, comme aiment certains « démocrates » qualifier tous les avis contraires à leurs opinions, il y a une vérité à dire absolument, quoi qu’il en coûte. Il y a des limites que l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures des pays, quels que soient ses alibis, ne doit pas dépasser. Ces limites sont le respect mutuel des Etats, des institutions, des peuples, des cultures et des choix souverains que les peuples peuvent faire en élisant leurs dirigeants. N’en déplaise à Bernard Kouchner. Et sous nos cieux, nous avons toujours refusé qu’on se mêle, plus que ne le permettent les relations d’amitié, de nos affaires internes.
Ces derniers temps, force est de constater que dans notre pays, ces limites ont, toutes, été dépassées, sans égards aux Tunisiens – autorités et citoyens réunis – avec le soutien et la complicité affichés de certains de leurs compatriotes. Cela nous préoccupe au plus haut point car la Tunisie a de tout temps été ouverte sur le monde, veillé à préserver les bonnes relations qu’elle entretient avec tous ses partenaires et amis étrangers et surtout à ne pas s’ingérer dans leurs affaires intérieures par respect à leur souveraineté et à la libre opinion de leurs citoyens. Vous me direz que c’est parce que l’Etat tunisien est affaibli, que la Tunisie n’a pas les moyens nécessaires pour s’imposer comme une nation influente. Soit. Mais la Tunisie est (au moins) un pays indépendant qui est en droit d’être maître de ses décisions et de se réserver exclusivement la gestion de ses affaires intérieures en fonction de la réalité tunisienne, que seuls les Tunisiens connaissent sous tous ses angles, et non du point de vue exclusif des intérêts de ses amis et partenaires étrangers.
Les récentes et multiples manifestations à connotation sociale dans divers pays d’Europe dénonçant la dégradation du pouvoir d’achat, l’inflation galopante, la « scandaleuse » facture énergétique, n’ont choqué personne en Tunisie ni ailleurs, n’ont suscité aucune critique contre les gouvernements de ces pays et n’ont vu aucun responsable syndicaliste étranger battre « leur » pavé (avec eux et chez eux). La situation sociale est critique dans tous les pays du monde depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Pourquoi une manifestation de l’Ugtt, autorisée par les autorités tunisiennes, pour les mêmes motifs sociaux (pouvoir d’achat…) aurait-elle besoin de la présence physique de la plus haute responsable syndicale d’Europe, Esther Lynch ? Noureddine Taboubi, Secrétaire général de l’Ugtt et membre permanent du Conseil général de l’Union africaine des syndicats, peut-il le faire en France ou ailleurs ? L’historique Centrale ouvrière et les militants politiques ne sauraient-ils plus rien faire tout seuls, même pas des manifestations, sans le soutien de gouvernements, de chancelleries ou de personnalités étrangères alors que leurs mouvements sont autorisés ? Que craignent-ils ? La prison à cause de leurs mouvements de protestations (uniquement) ? Dans le cas d’espèce, c’est Abir Moussi, présidente du PDL, qui devrait être la plus inquiète, elle bat tous les records de mouvements de rues et d’interventions musclées contre Kaïs Saïed. Cependant, chacun doit être responsable de ses propos car les déclarations des présidents de partis politiques ou d’organisations nationales ont un impact sur l’opinion, à l’étranger et sur les relations bilatérales de la Tunisie. Ces déclarations aussi critiques soient-elles doivent se garder de se transformer en injures ou en humiliations. Là aussi, les parlements et les dirigeants politiques, européens notamment, nous donnent bien des exemples qui méritent d’être pris en compte.
En matière de libertés individuelles et collectives, les Tunisiens s’en chargent bien et sont irréversiblement sur la même longueur d’onde depuis le fameux 14 janvier 2011. Il n’est plus question de revenir en arrière et aucun régime autoritaire ne pourra à l’avenir s’implanter en Tunisie. D’ailleurs, les opposants à Kaïs Saïed ont gagné en dynamisme et en verve, au fil des jours, et ce, en dépit du décret 54 et malgré les interrogatoires subis par certains responsables de partis politiques et avocats pour des propos jugés diffamatoires contre le président de la République. Il reste toutefois que la liberté d’expression est une ligne rouge dans un régime démocratique. N’en déplaise à certains.
Les amis de la Tunisie qui s’inquiètent pour nous ces derniers jours peuvent trouver des raisons à leur inquiétude vu les intérêts économiques, les leurs, qu’ils ont à défendre et à préserver. On peut comprendre leurs inquiétudes quand ce sont leurs intérêts qui sont menacés. Sans plus. Nos amis sont des Etats de droit où personne n’est au-dessus de la loi, même pas le président de la République, nous les avons vus à l’œuvre.
La Tunisie, également, est un pays souverain et une bonne partie des Tunisiens demande à connaître la vérité sur ce qui s’est passé durant la décennie « noire » et exige la reddition des comptes. C’est leur droit et leur doléance. Kaïs Saïed s’y est engagé, mais c’est sa méthode qui est critiquable : une vague d’arrestations simultanées sans motifs apparents de la part des autorités concernées et que certains avocats de présumés coupables de « complot contre la sûreté de l’Etat» ou de « blanchiment d’argent » accusent d’être entachées d’entorses aux procédures judiciaires, en plus du fait que « les dossiers » seraient « vides ». Il faut peut-être prendre son mal en patience et attendre que « les dossiers parlent », si l’on doit croire Kaïs Saïed qui a promis lors d’un entretien avec Najla Bouden, « des révélations sismiques » autour des récentes arrestations. Les réseaux sociaux sont, quant à eux, plus parlants en comparaison des autorités politiques, judiciaires et sécuritaires qui gardent un silence olympien.
Dans le cas d’espèce, il faut laisser parler la justice. Elle finira par se prononcer sur les innocents et les coupables s’il y en a.
Cela doit se faire sans aucune forme d’ingérence ou d’atteinte à la souveraineté nationale.