Chercher sa nourriture parmi les ordures confronte l’investigation aux confins extrêmes où survit la population.
Ici, la frange la plus marginalisée livre ses pires secrets. Produit de la misère, cette manière alimentaire, pratiquée par les damnés de la terre attire en outre la colère.
Celle des personnes logées tout près des lieux pollués. Maher Mbarki me dit : « Trop fiers pour mendier, ces pauvres gens retirent des bennes à ordures les sacs en plastique, les déchiquettent, récupèrent le nécessaire et dispersent le reste à même le sol ainsi sali.
C’est tout près de ma supérette, je fais procéder au nettoyage mais, chaque fois, cela recommence ».
A divers recoins de l’espace habité, autour des bennes à ordures et par terre, couscous, pâtes, riz ou ragoûts de pommes de terre avariés donnent à voir les déchets laissés par les premiers arrivés, chiens, chats et rats. Ces privilégiés prélèvent les morceaux de choix, os et chairs faisandées ou quasi pourris. Certains possesseurs de chiens viennent, aussi ramasser de quoi les gâter sans rien débourser. Des mouches ajoutent leur touche à ces foyers microbiens au plus haut point malsains. Vers dix heures du matin, à deux pas de la benne où je m’apprêtais à vider mon sac, j’aperçois un humain retirer des ordures un bout de pain et le porter à sa bouche entrouverte.
Je l’aborde et ce dénommé Abdelmajid Rihani me dit : « Tout devient plus cher sauf ces bouteilles de plastique. Avant, je les vendais à 850 millimes le kilo. Maintenant, c’est descendu à 700 millimes. Cela ne rémunère même pas l’effort fourni pour le ramassage ».
A l’heure de la crise et de la pénurie, l’envol des prix appauvrit encore davantage les plus démunis. Dans ces conditions, la problématique des prix charrie le marqueur des classes en devenir avec les privilégiés, plutôt épargnés à l’instant même où les déshérités affrontent encore plus de précarité. Tel est l’un des aspects de « La condition humaine », intitulé de l’ouvrage le plus connu d’André Malraux.
Ce titre cligne vers la double appartenance de l’auteur, à la fois académique et politique. Malraux unit la rédaction à l’action. Car, si talentueuse soit-elle, à quoi sert l’écriture débranchée des problèmes posés ?
Les propos médiatiques, dits ou écrits, peuvent éclairer, influencer ou critiquer les dépositaires de l’autorité. Ce procès, quotidien, barre l’art pour l’art, enfermé dans sa tour d’ivoire.
Ce lien établi avec la communauté ajoute sa prégnance au sentiment d’appartenance et procure, peut-être à l’écriture, l’une de ses raisons d’être. A ce propos, celui de l’éventuelle superfluité, François Quesnay inscrit les partis politiques parmi la foule de la « classe stérile » Aujourd’hui, la supercherie des partis, emblématisée par la bande à Ghannouchi et celle de Hammami ajoute sa gabegie à la crise financière corsée par la pénurie alimentaire.
A l’extrême limite atteinte par la condition humaine, l’ordure devient nourriture. De là provient le paradoxe du flux clandestin venu de pays subsahariens. Les conflits survenus ont à voir avec l’interrogation soulevée par l’air du temps : comment les sociétés nanties peuvent-elles imposer des « taux prédateurs » quand « des millions de gens ne peuvent mettre de la nourriture sur la table », demande le Secrétaire général des Nations unies, à ce point désunies.
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