Par Mohamed Ben Naceur
La Tunisie traverse aujourd’hui une crise économique sans précédent, marquée par une situation critique de ses réserves de change et une balance des paiements sous tension. Les dernières données de la Banque centrale de Tunisie (BCT) confirment un déclin alarmant : les réserves de change sont tombées à 98 jours de couverture des importations, franchissant ainsi le seuil symbolique des 100 jours, considéré comme un point d’alerte. Cette situation dénote une instabilité croissante de l’économie tunisienne, déjà fragilisée par des défis structurels profonds.
Un contexte économique difficile
La Tunisie navigue dans un environnement économique déjà extrêmement tendu. Plusieurs indicateurs économiques sont au rouge : une croissance anémique, un chômage et un endettement public élevés et une monnaie nationale, le dinar, en perte de vitesse face aux devises étrangères. La baisse des réserves de change aggrave encore cette situation, mettant en péril les équilibres extérieurs du pays.
Les causes de cette crise sont multiples et interdépendantes. Le secteur touristique, traditionnellement une source majeure de devises, a été durement touché par la conjoncture internationale et les crises successives (pandémie, conflits géopolitiques). Les transferts de fonds des Tunisiens résidant à l’étranger (TRE), autre pilier de l’économie, ont maintenu le cap, mais ne suffisent plus à compenser les pertes. À cela s’ajoutent la flambée des prix mondiaux des matières premières et les difficultés structurelles persistantes, notamment une dépendance excessive aux importations et une faible compétitivité des produits tunisiens sur les marchés internationaux.
Sur le terrain, les effets de cette crise commencent à se faire sentir de manière tangible. De nombreux produits importés, essentiels à la vie quotidienne, sont devenus indisponibles ou difficiles à se procurer. Les entreprises importatrices signalent des retards croissants dans l’obtention des devises nécessaires à leurs activités, avec des délais qui s’étirent sur plusieurs semaines, voire des mois. Certaines pharmacies rapportent des pénuries de médicaments, tandis que les prix des produits importés, y compris les denrées alimentaires, augmentent de manière exponentielle, fragilisant encore davantage le pouvoir d’achat des ménages.
Deux scénarios pour l’avenir du dinar
Face à cette situation critique, deux scénarios se dessinent pour l’avenir du dinar et de l’économie tunisienne.
- Laisser le dinar se déprécier librement
Ce scénario implique une dépréciation du dinar sans intervention massive des réserves de change. Bien que pouvant temporairement limiter l’érosion des réserves, cette approche entraînerait des conséquences économiques et sociales dévastatrices. Une dépréciation rapide du dinar se traduirait par une hausse immédiate des prix des importations, alimentant une inflation galopante. Les coûts de production des entreprises augmenteraient, réduisant leur compétitivité et freinant la production nationale. De plus, une telle dépréciation pourrait affecter la confiance des investisseurs et provoquer une fuite des capitaux, aggravant encore la crise.
Pour atténuer ces effets, une augmentation rapide de la production locale serait nécessaire, permettant de substituer certaines importations et d’améliorer l’offre de biens et services. Cependant, compte tenu des difficultés structurelles des secteurs industriel et agricole tunisiens, ainsi que du climat d’incertitude actuel, cette option semble peu réaliste à court terme.
- 2. Défendre la parité du dinar
Le deuxième scénario repose sur une stratégie de défense du dinar, nécessitant l’utilisation des réserves de change pour stabiliser sa valeur face aux devises étrangères. Cependant, cette approche n’est viable que si elle est accompagnée d’une entrée continue de devises, permettant de maintenir les réserves et d’assurer un minimum de stabilité monétaire. Pour cela, plusieurs leviers doivent être activés :
- Stimuler les exportations: renforcer la compétitivité des entreprises tunisiennes sur les marchés internationaux, notamment par des incitations fiscales et des politiques de soutien aux secteurs industriel et agricole à fort potentiel.
- Relancer le secteur du tourisme: investir dans la diversification de l’offre touristique et l’amélioration des infrastructures d’accueil pour attirer davantage de visiteurs.
- Encourager les TRE à investir en Tunisie: simplifier les procédures administratives et offrir des incitations attractives pour les transferts de fonds et les investissements dans des projets nationaux.
Sans une mobilisation rapide et efficace de ces leviers, la BCT rencontrera des difficultés pour défendre durablement la parité du dinar. Une érosion continue des réserves de change sans contrepartie économique risquerait d’aboutir à une dépréciation brutale et incontrôlée, avec des conséquences encore plus sévères pour l’économie nationale.
En somme, la Tunisie se trouve à un tournant crucial. La décision entre laisser le dinar se déprécier librement ou défendre sa parité dépendra des choix économiques à venir. Cependant, quelle que soit la stratégie adoptée, la seule issue viable à long terme réside dans la mise en place de réformes économiques profondes. Ces réformes doivent viser à réduire la dépendance aux importations, accroître la production nationale et améliorer la compétitivité des entreprises.