La Banque asiatique pour les infrastructures : Une nouvelle étape dans la concurrence Chine/Etats-Unis ?

La question était sur toutes les lèvres lors des dernières Assemblées du Printemps de la Banque mondiale et du FMI, qui se sont déroulées du 17 au 19 avril 2015. Il faut dire qu’à l’échéance du 31 mars 2015 fixée par la Chine aux pays désireux d’intégrer l’AIIB, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, c’est un raz de marée de pays qui ont répondu par la positive à l’appel des autorités chinoises. Parallèlement aux pays asiatiques dont la Corée du Sud, de grands pays et non des moindres ont décidé d’adhérer à l’initiative chinoise dont le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse et le Luxembourg. Un seul pays manquait cependant à l’appel; il s’agit des Etats-Unis. C’est cette absence qui a ouvert la porte à tous les questionnements et à toutes les interrogations. Et, si l’AIIB était un nouvel épisode dans la concurrence Chine-Etats-Unis dans la quête de l’hégémonie mondiale ?

Le projet de cette banque remonte à l’automne 2013 lorsque le Président Chinois Xi Jinping avait proposé à ses homologues asiatiques lors du Forum de la coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) la création d’une banque asiatique pour financer les infrastructures et renforcer la croissance économique dans la région. Et depuis cette annonce, la diplomatie chinoise s’est déployée dans le monde entier pour convaincre ses partenaires non seulement asiatiques mais également européens de l’intérêt de leur nouvelle initiative. En mai 2014, le ministre chinois des Finances, Lou Jiwei, a saisi l’occasion des Assemblées annuelles de la Banque asiatique de développement tenues à Astana au Kazakhstan, pour mieux expliquer ce nouveau concept et les appeler à rejoindre le projet chinois. Un appel qui n’est pas resté vain à en croire le nombre de pays asiatiques et non asiatiques qui ont rejoint l’AIIB. La plupart de ces pays, notamment les pays européens, avaient fait le pari et le choix d’intégrer cette nouvelle initiative et de pouvoir ainsi formuler des critiques et des observations de l’intérieur, notamment sur le respect des normes écologiques et environnementales dans le financement des infrastructures.

Et depuis, nous en savons un peu plus sur ce nouveau projet. L’idée part du déficit important des infrastructures en Asie estimé à 8000 milliards de $ dans un rapport de la Banque asiatique de développement datant de 2010. Ce déficit n’est pas propre à l’Asie; toutes les régions du monde, notamment l’Afrique, sont confrontées à ces difficultés qui pèsent lourdement sur leur compétitivité. Cette situation a été à l’origine d’une multiplication d’initiatives et de nouveaux projets afin de mobiliser les ressources pour construire les infrastructures nécessaires au développement et au désenclavement des régions intérieures des pays en développement. Dans cet effort, toutes les études ont montré que les ressources publiques étaient limitées et ne pouvaient par conséquent pas répondre à l’ensemble des besoins en termes d’infrastructures des pays en développement. C’est dans ce cadre que les experts ont suggéré une plus grande ouverture sur le secteur privé notamment à travers les partenariats publics privés. Ces nouveaux cadres législatifs pourraient ouvrir les investissements dans les infrastructures pour le secteur privé dans des domaines susceptibles de dégager une rentabilité économique et permettre aux pouvoirs publics de concentrer leurs interventions dans des secteurs permettant le désenclavement des régions défavorisées et des populations rurales.

L’AIIB s’inscrit dans cette dynamique de développement des infrastructures avec un capital de 50 milliards de $. Elle sera installée à Pékin et une concurrence devrait opposer les pays non asiatiques pour siéger dans le conseil d’administration qui comprendra 20 membres dont trois leur seront seulement accordés. Le mandat de cette banque tournera autour du financement des infrastructures et plus particulièrement de la nouvelle route de la soie avec un réseau dense d’aéroports, de ports, de voies ferrées et de routes rapides afin d’accélérer l’intégration de la Chine dans son environnement régional. Mais d’autres observateurs considèrent que cette banque permettra probablement à la Chine de mieux mutualiser ces engagements et les risques qu’elle a pris dans beaucoup de régions notamment en Afrique dans le financement des infrastructures.

Mais, au-delà du financement des infrastructures, cette banque n’est pas sans arrière-pensées politiques et institutionnelles. La première question soulevée par les observateurs concerne l’ordre international et la volonté des BRICS en général et de beaucoup de pays émergents de réformer l’ordre multilatéral hérité des accords de Bretton Woods de 1944. La Banque des BRICS et l’AIIB sont deux nouvelles initiatives qui devraient, pour ses pays, réduire l’hégémonie des institutions héritées de cet accord, notamment la Banque mondiale et le FMI. Cette volonté est d’autant plus importante que les efforts de rééquilibrage de ses institutions rencontrent de grandes difficultés. Ainsi, par exemple, le projet de réforme du FMI adopté en 2010 et qui devrait renforcer le poids de la Chine et de l’Inde attend toujours la ratification du Congrès américain.

D’autres observateurs soulignent également la dimension politique de cette nouvelle institution qui s’inscrit dans une nouvelle conception de l’ordre régional suggéré par l’empire du milieu. Cette nouvelle conception est développée par les dirigeants chinois, notamment par le Président chinois Xi Jinping lors de différents forums comme celui de Shanghai en mai 2014. A la pax americana basée sur le principe de « sécurité pour tous », la Chine cherche à construire une « pax sinica » guidée par le principe de « sécurité économique » autour de la prospérité chinoise et dont l’AIIB serait un des instruments.

Au-delà des controverses, cette nouvelle initiative chinoise, comme celles de la Banque africaine de développement avec le Fonds Africa50 ou la Banque mondiale, les infrastructures sont les nouveaux domaines d’investissement dans la mesure où elles permettent d’améliorer la compétitivité des économies et permettent de sortir de la « croissance médiocre ». Chez nous, ce débat doit prendre sa place et nous devons sans plus tarder développer un grand projet national d’infrastructures qui permettra de lancer une nouvelle espérance. Mais ce projet a besoin d’un cadre législatif en accélérant l’adoption de la loi sur le PPP. Il a aussi besoin d’un outil financier et une CDC ambitieuse pourrait jouer ce rôle. La relance de la croissance est une grande priorité pour la transition économique et les infrastructures pourraient être ce nouvel eldorado pour notre pays comme pour le monde.

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