Parmi les politicards de cette époque, j’en connais ceux qui disent la chose et son contraire. Ils prêchent la liberté et n’hésitent pas à pratiquer ouvertement la répression. Ils prétendent être les chantres de la tolérance et adoptent la voix de l’exclusion. Ils affichent leur alliance avec une personnalité publique ou un appareil, mais ils ne tardent pas à les stigmatiser dans leurs réunions privées et leurs balades chaleureuses.
De ces «marchands de balivernes», j’en ai connu beaucoup. Je fus même, à plusieurs reprises, victime de leurs morsures venimeuses. Des fois, j’ai cru qu’il s’agissait d’une confrontation sincère avec des gens dont les idées n’ont cessé de charmer les esprits. Mais, ils changèrent brusquement pour tomber dans les marécages des contradictions. C’est ainsi qu’ils sont devenus des entremetteurs et des courtiers.
J’ai connu ceux qui ont consacré une bonne partie de leur carrière politique à louanger certaines personnalités emblématiques de l’actuel pouvoir. Mais quand ce sont d’autres personnes qui firent les mêmes éloges, elles furent accusées d’opportunisme et de servilité.
Je me souviens aussi, alors que j’étais encore au début de ma vie littéraire et journalistique, à la fin des années soixante-dix, de celui qui a censuré certains de mes écrits. Devenue, aujourd’hui, responsable politique, la même personne se présente comme un apôtre de la liberté d’expression. Alors tout sonne faux, outré, c’est bidon comme on dit, on va de caricature en caricature.
Nos grands-parents ont dit à propos de ces derniers : «Ces gens-là sont pareils à celui qui vous serre fort dans ses bras pour vous poignarder ensuite dans le dos». On assiste à l’introjection de l’hypocrisie, l’ingratitude et le reniement dans la machine politique. Cette situation en dit long sur la tragi-comédie d’une scène politique aux acteurs interchangeables sans talent ni morale. Une situation qui a fait couler beaucoup d’encre et alimente encore des discussions depuis plus de douze ans. Et qui n’a pas fini de nourrir maintes querelles.
On n’aurait peut-être pas dû y prêter attention. Et puis quand même. Il s’agit d’un phénomène fort dangereux, d’autant que les fourbes se vantent aujourd’hui d’être ce qu’ils sont. Les hypocrites affichent leur versatilité. Les gens masqués se targuent de porter plusieurs masques à la fois. Ainsi, l’irrationnel, l’arbitraire et le cynique sont devenus un fléau généralisé dans le domaine politique (censé représenter la gent policée) dont le maître-mot est devenu aujourd’hui : l’incivilité à toute épreuve. Notre ambition n’est pas de jeter de l’huile sur le feu. Au contraire, tout ce qu’on veut : comprendre la profondeur de champ de cette «singularité tunisienne», éclairer sa portée en esquissant sa généalogie. Peine perdue. Mission impossible !
Baissons les bras alors ? Non. Juste une pause. Et mon conseil d’hygiène mentale pour cette pause : prendre congé des politicards, braillards médiatisés et analystes sur canapé, à qui les scandales de l’inaptocratie politique n’ont rien enseigné, saisir dans sa bibliothèque un livre de la «belle époque», et ouvrir grand ses poumons. Faut-il pour autant que nous abordions notre passé avec un angélisme incandescent ?
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