Et c’en est bien une. Dans le contexte que l’on vit depuis un certain temps.
Et cette boîte, une fois ouverte, ne peut que révéler les maux, et ils sont multiples, de la société et les problèmes, connus ou dissimulés, auxquels est confrontée la Tunisie et qui fait face à plusieurs crises simultanément.
Le résultat de l’ouverture de cette boîte est inédit : un scandale en cache un autre. On n’a pas fini de digérer le désastreux scénario qui a frappé un de nos trésors nationaux dans la catégorie des complexes économiques de dimension nationale et de portée internationale, en l’occurrence Henchir Chaâl, qu’un autre, tout aussi dramatique, est exposé aux yeux incrédules des Tunisiens, celui du Domaine d’Enfidha. Deux imposantes exploitations agricoles multidisciplinaires et centenaires dilapidées, surexploitées comme des vaches à lait, aujourd’hui en état d’abandon et de décrépitude.
Pourquoi est-ce que c’est Kaïs Saïed qui en dévoile les dessous, qui s’y déplace inopinément pour nous livrer ce constat amer ? La question se pose et s’impose et nous renvoie à plein de supputations. Bref.
Choquantes sont donc, les informations qui remontent des terres domaniales agricoles (500 mille hectares, le dixième de l’ensemble des terres arables) livrées au racket systématique depuis de longues années sans que les responsables du ministère de l’Agriculture, les autorités régionales et locales ne voient, n’entendent, ni ne parlent. Vingt mille hectares ont été subtilisés à Henchir Enfidha (Sousse) sans que l’on sache comment ni pourquoi. Ni vu, ni connu et, bien sûr, ni entendu notamment s’agissant des pratiques illicites d’abattage des oliviers et des arbres fruitiers pour les transformer en charbon. Le même sort, l’abandon, a été réservé aux deux domaines agricoles. La connotation péjorative de l’expression « Rizk El Bilik » prend, ici, tout son sens, voire son ampleur, et met à nu la complicité ou la passivité de tous les responsables qui se sont succédé à la tête des structures de gestion de ces domaines agricoles publics ou à la tête du ministère de tutelle, celui qui veille à la bonne marche et à la promotion du premier secteur stratégique, économique du pays, le secteur agricole. Mais là aussi, où est passé l’Office des terres domaniales en charge de la gestion de ces domaines ?
Inutile de minimiser l’impact de ces révélations sur la conscience collective car l’ampleur géographique des deux complexes agricoles (Chaâl s’étend sur cinq délégations, Enfidha sur 4 délégations avec une superficie de 100 mille hectares initialement), leur importance dans l’échiquier économique national et le sort macabre qui leur a été réservé n’ont jamais fait la Une des médias ni n’ont été cités dans la moindre déclaration politique, y compris à « l’âge d’or » de la liberté d’expression. C’est l’état déplorable et déconcertant dans lequel se trouvent les terres appartenant à l’Etat, qu’on appelle couramment terres domaniales, une richesse inestimable qui aurait pu changer le sort de l’économie tunisienne mais qui a été dilapidée dans le silence, loin des regards, sans que personne ose dénoncer, par peur ou par complicité. C’est sans doute l’un des plus grands dossiers de corruption qu’ait connus le pays. A ce rythme, on n’est sûrement pas au bout de nos surprises et de nos peines.
C’est bien que la vérité sorte au grand jour, mais, encore une fois, pourquoi c’est le chef de l’Etat qui doit en être l’auteur, au risque de coller une étiquette politique ou celle de populisme à cette action on ne peut plus juste à l’égard du pays, alors qu’elle aurait dû relever de la responsabilité des techniciens et des administratifs censés veiller sur la bonne marche de leur travail. Voilà pourquoi il est question de libération du pays, des crocs des rapaces, cela s’entend.
L’ampleur de la corruption, qui gangrène le pays, est colossale. Le laisser-aller qui frappe tout ce qui appartient à l’Etat est légendaire. La reconstruction sera titanesque, le travail devra être collectif et sans répit. Il est clair que la lutte contre la corruption sera longue, sur des années, sans relâche et avec fermeté. Les coupables devront rendre des comptes et payer leur culpabilité ou leur complicité ou leur lâcheté ou leur désinvolture. Les responsables qui se sont relayés à la tête du ministère de l’Agriculture, des commissariats régionaux, de l’Utap, les agriculteurs qui ont normalisé avec la corruption et avec le rapt des biens de l’Etat devront en répondre devant la justice. On m’en voudra peut-être d’être aussi catégorique. Mais, il ne s’agit pas d’une affaire personnelle de Kaïs Saïed ou de qui que ce soit, il s’agit de l’avenir de nos enfants. A la fin, ils doivent bien cela à leur pays.
Et dire que la Tunisie « démocratique » s’est même dotée d’une Instance de lutte contre la corruption ! Pour quel résultat ? Pour qui ? Pour quel véritable objectif ?
Qu’a-t-on fait des deniers publics ? C’est une question à laquelle il faudra trouver les réponses qui rétablissent la vérité dans un contexte de lutte apaisée contre la corruption, une lutte sans vengeance pour rétablir les droits d’un peuple spolié de ses terres, de ses biens, de ses rêves de prospérité.
La dilapidation et la corruption n’ont épargné aucun domaine, aucun établissement public, qu’il soit industriel, agricole, éducatif, culturel, social, sportif, patrimonial. Que sont devenus nos stades, nos jardins publics, nos vestiges archéologiques, nos écoles, nos hôpitaux, nos routes… ? La corruption a gangrené la société, l’Etat profond a paralysé la conscience. On peut comprendre pourquoi Kaïs Saïed a exigé, avant de se résigner, des hommes d’affaires corrompus de financer des projets dans les régions appauvries en guise de remboursement de leurs dettes auprès du peuple tunisien.
A quelles réponses faut-il s’attendre des responsables qui ont veillé aux destinées des institutions publiques agricoles, lorsqu’ils seront interrogés sur ce qui s’est passé, sur le pourquoi et le comment en est-on arrivé là ? Peut-être n’y en aura-t-il jamais. Il faut espérer qu’ils auront au moins honte.