Les élections législatives du 17 décembre 2022 vont-elles être retardées ? Et dans le cas échéant, quel en sera l’intérêt ? La rumeur a couru sur le report du scrutin à moins de deux mois de la date prévue du 17 décembre 2022. En attendant que cette rumeur se confirme ou soit démentie, c’est le deadline de dépôt des candidatures auprès de l’Isie qui est effectivement retardé de trois jours, du 24 au 27 octobre courant. Mardi dernier, en fin de matinée, ils étaient, selon les chiffres de l’Instance, 1249 candidats déclarés dont 181 femmes à postuler pour les 151 sièges du futur parlement réservés aux Tunisiens de l’intérieur. Trop peu, selon les commentateurs et l’opposition, comparé à l’affluence des candidatures aux scrutins précédents de 2011 à 2019, une affluence encouragée par des critères d’éligibilité laxistes et peu contraignants qui ont fini par charrier une diversité de profils aussi insolites qu’inopportuns, à quelques exceptions. L’inculture politique et le manque d’expérience dans la gestion de la chose publique – pour certains, le poste de député était leur premier emploi – ont eu les conséquences désastreuses que nous vivons aujourd’hui au triple niveau politique, économique et social.
Les nouveaux amendements de la loi électorale et le serrement de la vis au niveau des critères d’éligibilité aux élections législatives, qui ont introduit le B3, le règlement des impôts, le non-cumul de la fonction et de la mission parlementaire, ont changé la donne pour le prochain scrutin dont l’artisan, Kaïs Saïed, veut en outre le préserver de la corruption et de l’achat de parrainages. Un puritanisme d’un autre temps qui contraste avec « le tout permis » des précédents scrutins sous l’œil vigilant des islamistes d’Ennahdha et qui restreint considérablement les marges de manœuvre pour les citoyens qui acceptent les règles du jeu imposées par Kaïs Saïed. Résultat : la difficulté de rassembler les 400 parrainages requis par la loi électorale amendée explique l’atermoiement ambiant qui aurait touché même les partisans du 25 juillet et de Kaïs Saïed. Autrement dit, un futur élu serait dans l’incapacité de recueillir 400 soutiens dans son propre fief uniquement en se basant sur sa notoriété, sa crédibilité, son engagement, sur son pouvoir de convaincre.
Pour qui, pour quoi aspire-t-il donc à siéger au Parlement ? La réponse est évidente et l’heure de vérité a sonné pour les novices de la politique qui ne jouissent d’aucune notoriété, d’aucune popularité quand « l’argent sale » ne coule plus à flots. Ne parlons pas de leur inexpérience et incompétence. Il n’en reste pas moins que ce nombre de parrainages s’est avéré effectivement inaccessible pour les Tunisiens à l’étranger, ce qui est de nature à porter un coup de froid à l’ensemble de l’opération électorale, sachant que la loi électorale réserve 10 sièges au Parlement pour cette catégorie d’élus.
La situation n’est pas pour autant aussi transparente et fluide qu’on le souhaite. La distance qui se creuse entre les citoyens et leurs dirigeants actuels, figés dans un mutisme frustrant et offensant n’augure rien de bon. Il faut craindre, pourquoi pas, que l’on n’ait pas de Parlement le 17 décembre prochain alors qu’il nous tarde de voir les institutions constitutionnelles reprendre leurs fonctions. Ce scénario est envisageable si une majorité écrasante de Tunisiens ne vont pas voter. Ou, l’autre scénario : l’on aura une ARP pire que les précédentes en termes de représentativité et de qualité des élus. Une certitude : Kaïs Saïed ne fera pas marche arrière, ce n’est pas dans ses habitudes de revenir sur ses choix et ses décisions, et ce n’est pas propre à lui. C’est une question de mentalité bien ancrée chez nous, nous les Arabes, celle de nous accrocher au pouvoir et de ne plus vouloir le quitter. Ainsi, la loi électorale n’a pas été (ré) amendée bien qu’il l’ait signifié à Najla Bouden lors d’un entretien au Palais de Carthage. Deuxième certitude : les figures politiques de la dernière décennie regarderont les travaux de l’ARP devant leur écran de télévision comme tous les citoyens quand bien même ces travaux seraient retransmis par la télévision nationale, sinon, ce sera le black-out, comme celui qui prévaut actuellement.
Si le premier scénario est réducteur, le second sera bien triste et reflètera l’échec cuisant d’une classe politique qui n’aura pas su se renouveler et tirer les leçons d’une expérience récente, d’une décennie de crises et d’impasses politiques en raison d’un ego exubérant nichant en chacun des dirigeants politiques. La Tunisie a atteint le sommet de l’émancipation avec l’engrangement du processus démocratique aux lendemains de la chute du régime de Ben Ali. Mais les avidités, les rivalités, l’inexpérience et l’incompétence ont eu raison d’une expérience démocratique jeune, audacieuse et unique. Il n’en reste aujourd’hui que l’aigreur des « recalés » de cette expérience, ils sont nombreux et de tout bord, et le « Moi » débordant d’un usurpateur de la République, néophyte et déterminé.
Les prochains jours, mois et semaines se dessinent sur fond d’un large boycott des prochaines Législatives par les partis d’opposition et d’une onde de colère qui traverse de jour les rues de Tunis et de plusieurs autres villes et enflamme les nuits de certains quartiers populaires dans des confrontations avec les forces de l’ordre. Il y a urgence à inverser la vapeur et à calmer les ardeurs.
Kaïs Saïed en perte de popularité dans la perception générale risque gros s’il ne commence pas, avec Najla Bouden, à changer le quotidien des Tunisiens vers une amélioration de leur pouvoir d’achat et vers la mise en branle de la machine économique. L’accord avec le FMI ouvre la voie à d’autres financements extérieurs et opportunités de relance des projets, en souffrance ou nouveaux. Mais avant cela, Saïed et Bouden doivent pouvoir relancer le dialogue national sur les grandes orientations futures du pays et les défis qu’ils ne pourront relever qu’avec la contribution des forces vives de la nation.
Bouden a annoncé en début de semaine le prochain lancement du Conseil national du dialogue national, une sorte de Conseil économique et social. Il était temps. Il faut espérer à présent que toutes les compétences, les vraies, seront admises dans ces assises et que, pour une fois, la porte sera fermée devant le clientélisme. Car ce Conseil sera l’espace idoine pour tracer ensemble la voie de l’avenir de la Tunisie.