La nouvelle Chambre des députés doit assumer un héritage lourd de conséquences laissé par l’ANC.
Tout d’abord une image ternie par l’absentéisme et les tergiversations partisanes interminables lors des discussions relatives à l’adoption de la Constitution et à l’examen de la loi portant sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.
Ensuite, elle doit relever le défi de l’efficacité et de la pertinence par l’examen et l’adoption, vraisemblablement après amendement, des projets de lois à caractère économique et financier restés en suspens depuis des mois, sinon des années, alors qu’il s’agit de véritables leviers pour la relance de la croissance économique et du financement des projets de développement dont le pays a tant besoin.
Tout cela sans occulter ni négliger l’examen du Budget 2015 et la loi de Finances.
La loi sur le PPP est en souffrance depuis deux ans à l’ANC
La loi relative à la promotion du partenariat public privé (PPP) est en souffrance sur le bureau de l’ANC depuis deux ans. Or elle est destinée à impulser l’investissement privé dans les grands projets d’infrastructure de base indispensables au développement du pays. En effet l’État ne dispose pas de capitaux nécessaires pour financer les grands projets, mais il doit veiller au respect des normes techniques internationales, des conditions économiques d’exploitation, de la tarification et de l’application stricte de la réglementation sociale. C’est pourquoi il met au point un cahier des charges à souscrire par les soumissionnaires, investisseurs internationaux qui présentent leurs références, les garanties techniques et financières et participent ainsi aux appels d’offres.
L’État peut ainsi, après dépouillement des offres, accorder des concessions à la meilleure offre selon un prix déterminé, un délai et des conditions précises.
Plusieurs projets de grande envergure qui attendent un financement depuis des années pourront ainsi voir le jour. C’est le cas du port en eau profonde de l’Enfidha, de l’extension de ports de Bizerte et de Radès, de l’implantation de zones logistiques d’Enfidha et de Radès, de la centrale électrique de 600 mégawatts de Mornaguia, de la raffinerie de pétrole de la Skhira, de l’aménagement de la Sebkha Ben Ghayadha, dans le Sahel, ainsi que de l’aménagement du projet Taparura à Sfax.
Il y a aussi l’aménagement de zones industrielles. Ces grands projets de développement sont d’autant plus vitaux pour la croissance économique du pays qu’ils sont susceptibles d’attirer l’implantation de projets économiques privés, créateurs de richesse et d’emplois.
Il y a donc une extrême urgence à amender et à adopter cette loi qui donne des garanties légales aussi bien aux investisseurs privés qu’à la communauté nationale.
La restructuration des trois banques publiques
La situation des trois banques publiques, STB, BNA et BH, est inquiétante avec un déficit cumulé de plus de 200 Md et appelle des solutions urgentes surtout que les auditeurs ont déposé leur rapport auprès des autorités financières.
Les sociétés d’audit ont remarqué le taux élevé des créances accrochées, le manque flagrant de liquidités, les défaillances au niveau du système de communication ainsi que le déficit de gouvernance, la non-maîtrise des risques et le non-respect des normes prudentielles de Bâle II et III.
Le projet de loi relatif à la réforme des banques publiques, élaboré par le ministère des Finances et de l’Économie en étroite coopération avec la BCT dans le cadre d’une commission et déposé à l’ANC, porte sur plusieurs aspects.
La restructuration des trois banques publiques dans l’optique d’un repositionnement stratégique ainsi que la révision de la participation de l’État dans le système bancaire tunisien.
La recapitalisation des banques publiques par l’injection de capitaux frais est destinée à renforcer les fonds propres des trois banques.
L’assainissement du portefeuille des trois banques «encombré» par les créances carbonisées en confiant les titres de créances à des sociétés de recouvrement.
Rappelons que les trois banques publiques contribuent à hauteur de 40% au financement de l’économie du pays. Il y a lieu de remarquer qu’en dehors des trois banques publiques, l’État participe à titre minoritaire dans plusieurs autres banques où son rôle n’est toutefois pas décisionnaire. Il a donc intérêt à céder sa participation.
L’orientation dominante va dans le sens de la création d’un pool bancaire public sans recourir à une fusion-acquisition proprement dite qui aboutirait à un échec en raison de l’incompatibilité des cultures d’entreprise entre banques.
Une coordination s’impose entre ces trois banques pour aboutir à une complémentarité et non à une concurrence des rôles.
Le plan de redressement des banques publiques est prévu sur quatre ans, 2015-2019, avec injection de capitaux évalués à 2.016 millions de dinars pour les trois banques dont 1.000 millions de dinars déjà votés dans le cadre des budgets 2013 et 2014, mais non encore libérés.
Un système de communication commun pourrait être implanté pour les trois banques.
Il n’est pas exclu de faire appel à la participation des actionnaires privés à travers la Bourse pour l’augmentation des fonds propres. L’État doit cependant rester majoritaire.
Les entreprises exportatrices et les investisseurs tunisiens à l’extérieur ont besoin d’une banque tunisienne puissante implantée à l’étranger pour les soutenir dans leurs activités.
Le problème majeur des banques publiques est celui de la gouvernance, des bonnes pratiques bancaires, du respect des normes prudentielles, de la maîtrise des risques, du contrôle et de l’audit internes.
Les permis d’exploration énergétiques en suspens
Quel sort sera dévolu aux nouveaux permis d’exploration énergétique actuellement en suspens à l’ANC et proposés par le ministère de l’Industrie et de l’Énergie ? Plusieurs décisions de prorogation de permis d’exploration déjà accordés à certaines compagnies depuis plusieurs années sont en panne. Il faut croire que l’article 13 de la Constitution, qui donne un droit de regard à la Chambre des députés sur l’exploitation des richesses du sous-sol, constitue «un obstacle dans la machine» qui gère l’exploration des ressources énergétiques du pays, constituée par la direction générale de l’énergie et l’ETAP, bras exécutif de l’État en la matière.
Il faut dire que dans l’opinion publique plane une suspicion de corruption présumée sur l’octroi des permis d’exploration et les conditions d’exploitation, avec constat de certaines infractions commises par l’administration par rapport à la législation et à la réglementation en vigueur selon la commission de l’énergie de l’ANC.
Il faut cependant reconnaître que l’exploitation du pétrole et du gaz est un domaine complexe qui a besoin de plus de transparence, mais qui n’est accessible qu’aux experts.
Le résultat est que nous sommes dans une «impasse énergétique dramatique» qui échappe aux responsables politiques de l’ANC, inconscients de la gravité de la situation et met l’administration ainsi que le pouvoir exécutif dans une embarrassante situation d’attentisme.
En effet un seul puits de gaz a été foré en 2014 (au large de Mahdia) et aucun permis d’exploration n’a été accordé cette année, ce qui constitue une situation catastrophique.
Il faudrait rappeler que notre déficit énergétique se creuse chaque année un peu plus : il atteindra cette année près de 3 millions de tonnes-équivalent-pétrole (TEP.)
En effet, notre production d’énergie est passée de 68.000 barils/jour en 2013 à 57.000 en 2014 à cause de l’évolution négative de plusieurs facteurs, dont l’épuisement naturel des gisements les plus productifs, l’arrêt de production de certains gisements soumis à des demandes de prorogation de délais d’exploitation, ainsi que des mouvements de grève et sit-in du personnel de certaines compagnies ou de demandeurs d’emplois originaires des régions du sud.
Rappelons que l’État tunisien bénéficie de recettes évaluées entre 65% et 82% des revenus qui découlent de l’exploitation des ressources énergétiques pour les compagnies pétrolières. Car en plus des impôts acquittés par les compagnies étrangères aux recettes des impôts, il y a la quote-part des bénéfices de l’ETAP qui participe à 50%, selon le code des hydrocarbures, à toute exploitation de gisements énergétiques.
C’est pourquoi la nouvelle Chambre des députés doit trouver d’urgence des solutions concrètes pour sortir de l’impasse énergétique, car la consommation nationale va bon train et les importations de pétrole et de gaz plombent la balance des paiements.
L’endettement bancaire des hôteliers
La création d’une société de gestion d’actifs en matière d’hôtellerie, qui n’a pas associé dans sa conception les hôteliers, soulève une vive polémique entre le gouvernement de technocrates, l’ANC et les hôteliers.
Ce qu’il faut savoir c’est que de la solution selon laquelle le problème de l’endettement bancaire de l’hôtellerie sera résolu dépend l’avenir du secteur du tourisme en Tunisie.
Il y a lieu de remarquer qu’il y a un véritable problème pour les banques, notamment la STB qui supporte 80% de cette créance accrochée évaluée à plus de 1 milliard de dinars pour les effets échus et impayés, alors que l’endettement total du secteur s’élève à plus de 3 milliards de dinars.
À l’origine, il s’agissait d’assainir le portefeuille des banques et de sauvegarder leur santé financière grevée de créances impayées. En fait, il y a un certain nombre d’hôtels, peu ou non rentables, fermés ou en situation structurellement déficitaire.
La mesure concerne environ 150 unités hôtelières, mais il y a beaucoup d’hôtels qui ont souffert des crises du tourisme qui ont cependant montré leur bonne foi en remboursant une partie de leurs dettes bancaires.
Il ne faudrait pas sanctionner leur bonne volonté par une spoliation pure et simple. En fait, il faut reconnaître que les banques n’ont pas respecté la réglementation en vigueur en pratiquant des taux d’intérêt abusifs qui ont atteint 17% par an. En outre, les banques ont capitalisé les intérêts de retard qui sont devenus à leur tour producteurs d’intérêt.
Le principe de création d’une société de gestion d’actifs hôteliers n’est pas contesté par les hôteliers qui en acceptent le principe, mais ils refusent les prérogatives exceptionnelles que le gouvernement souhaiterait lui attribuer. Il faut dire qu’avec 150 millions de capital, elle ne peut aller très loin. Il est inadmissible de lui attribuer des pouvoirs en dehors du recours aux tribunaux ni de lui permettre de racheter des hôtels au quart ou à la moitié de leur valeur sur le marché et encore moins de les revendre à n’importe qui et à n’importe quel prix. Par contre, elle pourrait négocier à l’amiable, au cas par cas, avec les hôteliers en difficulté pour restructurer leurs bilans, rééchelonner leurs dettes, renforcer les fonds propres ou prendre en gestion ou consentir des participations dans les unités hôtelières ou encore racheter à un prix raisonnable les hôtels en vue de leur revalorisation, la vente se faisant par appel d’offres
Sinon il est toujours possible de passer par les tribunaux et les évaluations des experts.
La Chambre des députés doit statuer rapidement sur ce dossier, l’avenir de notre tourisme en dépend.