Côté bonne humeur et bon humour, je garde malgré tout un heureux souvenir, vieux d'une année à peine, de notre retour à Tunis venant de Sousse où nous avons participé à un colloque. Dans la voiture privée qui nous transportait, M. Lourimi était assis, siège arrière, à côté de… Choukri Belaïd et, pendant tout le trajet le conducteur et moi étions en admiration en présence de deux politiques de notre pays que tout opposait dans l'arène politique précisément et que ce parcours de deux heures a rassemblé dans une rieuse fraternité, se congratulant, se racontant des blagues, évoquant tendrement les prénoms originaux de leurs petites filles respectives…
Côté redoutable " idéologue " d'un parti fondamentaliste au pouvoir, ce même Lajmi Lourimi monte rarement au créneau, mais pour rendre compte dans de formules lapidaires et sibyllines l'état des lieux à l'intérieur de son Mouvement. Généralement c'est dans le désarroi d'Ennahdha que sa voix fuse pour signaler à l'opinion que ce parti se cabre, puis se ramasse avant de rebondir, opérer un virage ou une vrille ou renverser la table d'un jeu auquel son parti a feint de participer activement et le plus sérieusement du monde !
Face à l'échec des négociations de " la dernière chance " sous l'égide de l'UGTT, l'UTICA et de deux représentants élus des deux plus importantes ONG de la place, la Troïka mue par Ennahdha et toujours " inspirée " par cette sœur aînée despotique, " sûre d'elle et dominatrice ", comme disait De Gaulle d'Israël, semble frétiller, comme agonisante, ayant épuisé ses ressources et sa crédibilité. Et c'est alors que M. Lourimi apparaît sur les planches d'une scène vide, tel Arlequin, pour nous réciter la bonne vieille fable de la main de fer dans le gant de velours : Du haut de son siège devant les caméras d'Al-Watanya I (le choix de la chaîne n'est sans doute pas fortuit !) : " Nous demeurons pour le dialogue (Al-Hiwâr) et pour la recherche du consensus (Al-Wifâq), mais si nos efforts échouent, ni Ennahdha, ni la Troïka ne sont impuissantes ('âjiza)… " ! Diable ! Mais de quelle puissance sont-elles munies, Ennahdha et son excroissance, ce " machin " nommé Troïka ? De celle qui construit, conçoit la paix civile, la prospérité économique ? Tout le monde sait que Nenni, " que dalle ", comme chantent les rappeurs. Mais alors, de quoi donc sinon de briser une alliance à trois qui n'a plus aucun sens depuis longtemps et de dévoiler la vraie nature d'un Mouvement qui a toujours eu la terrible vocation du Samson de la Bible : dans l'impasse, casser l'édifice sur la tête de tous ceux qui ont élu refuge, y compris sur la tête de l'auteur de cette solution géniale…
M. Lajmi Lourimi, qui a des lettres pas seulement dans notre sainte langue nationale devrait relire la très belle pièce de Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, pour découvrir ou redécouvrir que c'est un " intellectuel " politicard, le poète Déroulède, qui a décidé de l'affrontement guerrier, après que tous les personnages déterminants de la pièce ont convenu de faire la paix, rien que pour les beaux yeux et le bonheur d'une Andromaque enceinte !
Youssef Seddik