La cité aux deux portes

 

Par Alix Martin

 

En ce moment où le temps, très perturbé, « souffle le chaud et le froid », sortir, en direction du sud, c’est prendre une double assurance. Si le temps, « incertain » au départ, « se dégage », les premières pentes boisées de la dorsale tunisienne offrent de superbes objectifs de promenades à moins de cent kilomètres de la capitale.

 

La promenade

Voulez-vous essayer d’emprunter un matin la route d’El Fahs ? Dans l’air frais, voilà qu’apparaissent les hautes arches de l’aqueduc de Carthage. Caressées par la lumière blonde d’un lent soleil hivernal, elles se dressent et découpent leur silhouette ocre sur l’azur du ciel et le vert cru des champs.

Là-bas, à votre gauche, blotti au creux des collines, au-dessus du « dos » de la conduite de l’aqueduc qui serpente dans la plaine, exactement à l’est, se dressent les colonnes restaurées du Capitole d’Uthina / Oudhna.

Voilà bientôt les silos à céréales de « Cheylus » / Jebel Oust. Ce qui n’était naguère qu’une gare où l’on chargeait les blés que la plaine environnante produisait à profusion, est devenu un bourg actif qui grandit vite.

À quelques kilomètres devant nous, au sommet d’une colline bordant la route, appelée le Jebel Sidi El Ajmi, on remarque la blancheur des murs du marabout qui a donné son nom à la colline. Il est curieusement construit sur ce qui semble bien être les restes d’un tumulus de terre cendreuse mêlée de pierres et de tessons de céramique antique. Vestiges d’une « M’zara » plus ou moins musulmane ? D’une « R’madiya » préhistorique ? D’un lieu de culte berbéro-romain ? Le petit marabout est curieux : sa coupole n’est pas hémisphérique. Elle est très surbaissée et sa base paraît ovale. Il était vénéré et recevait régulièrement des offrandes sous forme de pièces de monnaie et de céramiques. Sa construction remonterait aux années 1970-71.

Un peu plus loin, juste avant l’embranchement vers Thuburbo majus, à gauche de la route, d’autres pilleurs – c’est très à la mode en ce moment ! – ont éventré, sans aucun profit, un antique petit tumulus berbère.

Nous dépassons le temple de Saturne qui domine le versant oriental du site de Thuburbo majus. Nous traversons El Fahs qui s’étend très rapidement.

Nous pourrions aussi décider de continuer vers le village de Jougar afin d’atteindre Aïn Jougar et le captage monumental. La source doit son nom à Zucchar : un bourg de l’époque romaine situé au lieu dit Henchir Bent Saïdane.

Le nymphée un peu postérieur à celui de Zaghouan, date du règne des empereurs Sévère au IIIe siècle après J.C. L’aqueduc qui en part rejoint celui de Carthage à Mograne à une trentaine de kilomètres de là, au lieu-dit « La Maison de l’embranchement ».

Le nymphée souterrain qui mérite, à lui seul, d’être l’objectif d’une promenade, est coiffé aujourd’hui d’un fortin byzantin aux murs crénelés qui devait le protéger et permettre à une petite garnison de surveiller les alentours.

Aujourd’hui, nous avons choisi d’emprunter la route qui mène au bourg appelé Bargou après avoir été traditionnellement nommé Robaâ Ouled Yahia ou Souk El Arbaâ des Ouled Yahia qui était la tribu installée dans la plaine aux alentours.

On traverse alors les pentes sud du Jebel Mansour couvertes de Pins d’Alep et de lentisques dont les sous-bois aux senteurs balsamiques abritent plusieurs espèces d’orchidées sauvages et vibrent d’innombrables roucoulements de tourterelles des bois dès le début du mois d’avril.

Soyez attentif : au creux d’une vallon, une plaque assez ancienne subsiste à l’orée d’un carrefour avec une petite route qui mène au barrage de l’Oued El Kébir. Nous y reviendrons.

Comme nous ne sommes pas en train de participer à un rallye, nous nous arrêtons auprès d’un sanctuaire important, bien entretenu, où nous sommes reçus très aimablement par un gardien fort disert. Au bord d’un humble cimetière, un arc de cercle de grosses pierres : un « assès », rappelle le souvenir du Saint gardien des lieux : Sidi Naoui et prouve que les cultes antiques préislamiques n’ont pas complètement disparu.

Quelques kilomètres plus loin, dans un hameau qui entoure un autre sanctuaire vénéré consacré au Marabout Sidi Aouidat, un carrefour indique la direction d’Oueslatia que nous empruntons avec grand plaisir.

Soudain, au bord de la route, se dresse un « arc de triomphe » dont la « baie » est malheureusement remplie de constructions maçonnées qui l’empêche de s’écrouler. Nous voilà à Seressi antique appelée aujourd’hui Oum El Abouab : la mère des portes parce qu’un autre « arc » a été construit sur la colline d’en face.

Seressi a été une ville romaine importante qui serait devenue municipe vers la fin du IIe siècle.

Des archéologues de l’Institut du patrimoine dont Melle Naïdé Ferchiou et M. Ghalia ont entrepris de dégager un certain nombre de beaux monuments. On peut y admirer ce qui nous a semblé être le Capitole transformé plus tard – à l’époque chrétienne ? – en huilerie. Les parties qui n’ont pas été fouillées laissent voir une couche de cendres et de charbons qui prouve que le bâtiment a été détruit par un incendie.

La place d’un grand marché a été dégagée. On peut deviner un théâtre. En dehors de la ville, se dessinent les murs d’un amphithéâtre et se dresse un grand mausolée. Sur une piste « coloniale » qui traverse, sans respect, le site entier, nous avons remarqué une mosaïque, sans doute unique en Tunisie parce qu’elle contient d’innombrables tesselles de gypse qui étincellent au soleil. Le pavement, à ciel ouvert, achève de disparaître : chaque pluie l’emporte un peu plus avec les eaux de ruissellement. Les pieds droits d’un arc dont la baie est très étroite ont été dégagés.

Une inscription gravée à l’intérieur de la baie, malheureusement masquée par la maçonnerie qui soutient l’arc construit à l’entrée de la ville, rappelle que Armenia Auge et Bebenia Pauliana ont participé au financement de sa construction et de sa décoration. Elles étaient mère et sœur d’un citoyen de la ville, fonctionnaire de haut rang qui avait légué, par testament, une somme d’argent pour construire l’arc.

Les habitants de Seressi avaient aussi construit, en grosses pierres de taille, des quais qui protégeaient la cité de l’érosion des eaux d’un oued la traversant.

Et … là haut sur la colline, au-dessus du hameau, caché dans les pins, il faut aller voir les vestiges d’un superbe petit temple, construit sur un podium à la façade arrondie. Peut-être était-il consacré au dieu du vent, nous a-t-on dit. Sa position, dominant la ville, nous a fait penser qu’il abritait certainement le dieu protecteur de la cité.

Pourquoi le site de Seressi n’est-il pas mis en valeur ? Il pourrait être un des joyaux des tourismes culturel et écologique – dont on parle tant en ce moment ! – du gouvernorat de Zaghouan.

Si les bois de Pins ou les clairières n’ont pas réussi à vous retenir pour un pique-nique à savourer dans un silence agreste ou si vous n’avez pas souhaité aller si loin – même pas 100 kilomètres ! – alors descendez vers le barrage de l’Oued El Kebir, blotti au fond de la vallée. Nous y avons été reçu très aimablement par les employés présents. Ils nous ont raconté l’histoire du barrage. Ils nous l’ont fait, longuement, visité. Ils nous ont montré la conduite qui amène l’eau depuis le grand captage de Bou Saadia dans le Jebel Bargou.

Nous n’en écrivons pas davantage pour ménager votre curiosité. De multiples pistes carrossables serpentent dans les bois parfumés des alentours et invitent à la promenade, au pique-nique ou aux siestes réparatrices.

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